Ligue 1 : sportifs de haut niveau et soumis à de fortes pressions, les arbitres aussi ont le droit à leur préparation mentale
Depuis le début de l’année 2025, une psychologue clinicienne et préparatrice mentale accompagne les arbitres de l’élite, sur la base du volontariat pour ces derniers.
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L’entraîneur de l’Olympique lyonnais, Paulo Fonseca, qui vient contester une décision tête contre tête avec l’arbitre. Le président de l’OM, Pablo Longoria, qui parle de "corruption" après une défaite de son club à Auxerre. La saison dernière, les arbitres n’ont pas été épargnés par la pression, mais ils sont accompagnés, depuis le début de l’année 2025, par Isabelle Graff, psychologue clinicienne spécialisée dans le sport et préparatrice mentale.
"Soyons clair : sur cet aspect, l’Europe a pris 30 ans de retard sur les pays anglo-saxons. Au sein de l’Europe, la France a pris 10 ans de retard sur les autres pays, et au sein de tous les sports, le foot est l’un des derniers sports qui s’y intéresse", pose Amaury Delerue, manager des arbitres de Ligue 1. Alors pour professionnaliser un peu plus des arbitres - "qui n’ont pas attendu la psychologue pour bosser sur eux-mêmes", comme tient à le rappeler Mickaël Landreau, conseiller technique de la Direction technique de l'arbitrage (DTA) - cette dernière leur propose les services d’Isabelle Graff, embauchée à temps plein.
La psychologue est présente à chaque stage collectif des arbitres, pour des séances obligatoires qui s’apparentent davantage à de la préparation mentale, mais peut aussi les recevoir individuellement, sur la base du volontariat, avec un côté plus psychologique. "La frontière est parfois floue entre ces deux domaines, explique-t-elle. En préparation mentale, on est plus dans l’optimisation de la performance. Et en psychologie, on peut avoir des arbitres qui ont subi des agressions ou des traumatismes, des arbitres qui sont très exposés, ou d’autres qui ont besoin de parler de la vie personnelle, parce qu’ils se déplacent deux à trois jours, parfois deux fois par semaine, et qu’ils ne sont pas très souvent chez eux".
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"Je trouve cela judicieux et pertinent de travailler sur ces aspects, juge Benoît Bastien, arbitre de Ligue 1 depuis 2011 et lui-même diplômé en préparation mentale. Notre activité repose sur des prises de décision, la gestion de la pression, des émotions, faire face à la critique, être capable d'avoir un niveau de concentration très élevé, la communication verbale et non verbale... On avait tous déjà développé des routines personnelles. Mais la présence d'Isabelle Graff permet de se questionner sur nos pratiques, et d'apporter des techniques qui vont enrichir notre boîte à outils pour répondre aux différentes problématiques que l'on peut rencontrer, selon le profil de chacun".
Tous ont dû prendre part à un premier entretien individuel obligatoire pour permettre à Isabelle Graff de les rencontrer et leur permettre de décider de manière éclairée s’ils souhaitaient s’engager dans un suivi plus régulier. "Au début, très peu se sont engagés, et huit mois plus tard, ils sont finalement 40% des arbitres centraux de Ligue 1 qui acceptent de me revoir de manière régulière. L’un d’entre eux m’a dit : ‘Tu nous fais du bien’, je le prends comme un compliment", sourit la psychologue. Elle peut elle-même prendre contact avec les arbitres, si ces derniers ont été particulièrement chahutés, comme elle l’a fait avec Benoît Millot, pris à partie par Paulo Fonseca lors de Lyon-Brest la saison dernière.
"On sait qu'on sera dans le viseur à un moment donné ou un autre de la saison"
Il faut dire que les pressions entourant les arbitres n’ont cessé de croître ces dernières années. "La pression a toujours existé, mais ce qui est différent, c’est le nombre de micros tendus face aux gens qui auraient quelque chose à dire. Avant, c’était moins monté en épingle", souligne Amaury Delerue. "Certains ont parfois l'honnêteté de nous dire : 'vous êtes une cible facile, je vais vous mettre la responsabilité de la défaite sur le dos, même si franchement il n'y a pas grand chose à dire, je suis obligé de protéger mes joueurs, mon institution', raconte Benoît Bastien. On sait qu'on sera dans le viseur à un moment donné ou un autre de la saison. Et il faut savoir l'anticiper, le gérer, pour ne pas subir les évènements et être moins impacté qu'on aurait dû l'être".
Et la préparation est d'autant plus importante avant les rencontres entre deux grands rivaux du championnat, comme le Lyon-Marseille qui se profile dimanche soir. "Sur des matchs beaucoup plus exposés, il faut préparer l'avant-match, car on sait qu'on va subir une forme de pression avant même la rencontre, avec des commentaires dans les médias. Il y a un focus sur vous beaucoup plus important que sur d'autres matchs. Et il faut se préparer à l'après-match, en anticipant les scénarios, pour être le moins impacté possible par l'aspect médiatique qui peut-être très très important sur des matchs attendus de notre championnat", décrit Benoît Bastien, qui sera, lui, au sifflet de Monaco-Strasbourg (17h15).
Parfois hué par les spectateurs, ou insulté, le corps arbitral ne doit pas se laisser envahir par ses émotions. "C’est l’un des axes que l’on va travailler prochainement : si le focus attentionnel est bien dirigé, on arrive à ne pas entendre et à être dans sa bulle. Le cerveau est capable de sélectionner les informations, comme celles dans l’oreillette, les échanges avec les capitaines, mais pas forcément le public. L’idée est de laisser entrer ce qui est intéressant pour eux", explique Isabelle Graff.
"Quand c'est vous qui êtes le responsable de l'injustice, ça fait mal"
Parmi les autres problématiques qui ressortent de ses entretiens avec les arbitres, figure la gestion de l’erreur. "Sur le moment, pendant un match, ils ont un doute et peuvent ressasser leur raisonnement, même s’il faut déjà être dans la décision suivante. Il y a aussi tout un travail fait par la DTA, pour désacraliser la relation à la VAR, leur faire comprendre que c’est un appui, et ce n’est pas signe de mauvaise décision", poursuit-elle.
"On est un corps de métier dans lequel on déteste l'injustice, donc c'est encore plus dur quand c'est vous qui êtes le responsable de l'injustice, ça fait mal, même si ça n'a pas d'incidence sur le résultat final, abonde Benoît Bastien. J'ai toujours quelque chose qui ne me satisfait pas à la fin d'un match. Ca peut être une décision mineure, une touche ou autre, que j'aurais pu gérer différemment, avoir une posture différente vis-à-vis d'un joueur, qui n'aurait ensuite pas commis de faute derrière, qui m'aurait obligé à lui mettre un carton. Et quand médiatiquement on vous tombe dessus, à tort parfois, c'est dur à accepter, et évidemment c'est un plus d'avoir une ressource supplémentaire, comme Isabelle Graff, dans ce domaine".
Et avec la volonté d’ouverture de la DTA, qui publie désormais un débriefing de chaque journée de championnat sans hésiter à reconnaître l’erreur d’un arbitre, les hommes en noir (ou en jaune fluo), sont davantage exposés. "Ce n’est pas un sujet que l’on a évoqué pour l’instant, mais mettez-vous à leur place : c’est comme si dans votre travail, on vous pointait du doigt après le week-end pour dire que vous avez pris la mauvaise décision. On peut s’imaginer que ce n’est pas évident de se faire déjuger", reconnaît Isabelle Graff. "Si on n'y est pas préparé, oui, ça peut être dur, c'est une question d'ego. Mais il faut comprendre qu'on remet en question une décision, pas l'homme. Et quand on sait reconnaître auprès de soi-même que l'on s'est trompé, ce n'est pas dur de le dire à la presse", répond Benoît Bastien.
Et comme la psychologue et Amaury Delerue, l’assurent : dans une volonté d’exigence et d’excellence, les arbitres comprennent que leur profession a plus à gagner à reconnaître ses erreurs, car plus l’arbitrage sera transparent, moins il sera critiqué.
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