Football : comment Ligue 1+ espère séduire le public et établir un modèle économique inédit en Europe

En lançant sa propre chaîne, vendredi, la Ligue 1 devient le premier championnat majeur européen à sortir du modèle classique des droits TV.

Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le logo de la nouvelle chaîne de la LFP, Ligue 1+, qui diffusera 8 des 9 matchs de Ligue 1 chaque week-end cette saison. (AFP)
Le logo de la nouvelle chaîne de la LFP, Ligue 1+, qui diffusera 8 des 9 matchs de Ligue 1 chaque week-end cette saison. (AFP)

L’histoire s’écrira au Roazhon Park. Programmé en ouverture de la Ligue 1 2025-2026, le Rennes-Marseille du vendredi 15 août restera, quoi qu’il arrive, dans les annales. Pour la première fois de l’histoire du sport européen, un championnat majeur sera diffusé par une chaîne créée et pilotée par la ligue (modèle courant aux Etats-Unis), et non par une chaîne privée s’étant assuré la diffusion des matchs en payant des droits TV. Le résultat d’une interminable crise pour le foot français, incapable de trouver un diffuseur solide depuis cinq ans.

Après DAZN, Prime Video, Téléfoot, Canal+ et beIN Sport, Ligue 1+ deviendra en effet le sixième diffuseur du championnat de France depuis 2020, le premier à ne pas avoir payé de droits TV. Majeur, ce changement révolutionne les budgets des clubs - dont la dotation ne sera plus fixe et dépendra du succès de la chaîne -, mais aussi la consommation et la diffusion du championnat. Le tout alors que les équipes de Ligue 1+ n’ont que deux mois à peine pour penser, créer et lancer la plateforme qui espère s’imposer dans les foyers français et sortir - enfin - le football tricolore d’une interminable crise.

Entre continuité et nouveautés

"On est à la fois excités, impatients et emballés. Les vacances c’est bien, mais la Ligue 1 c’est très bien, sourit ainsi Smaïl Bouabdellah, qui couvre le championnat français depuis douze ans. C’est toujours kiffant de suivre, découvrir des nouveaux joueurs, des entraîneurs. Encore plus sur un projet de nouvelle chaîne, mais surtout un projet totalement différent". Autre tête d’affiche de la nouvelle plateforme, Marina Lorenzo ajoute :"C’est stimulant surtout de partir de zéro, mais on a envie de mettre les mains dedans, d’être en direct avec l’incertitude que ça peut procurer."

Un direct qui débutera avec l’émission "Kick Off" vendredi 15 août à 19h45. "On a une pression importante pour que tout fonctionne le jour-J. On réalise quelque chose d’inédit, en lançant une chaîne payante en deux mois", note Jérôme Cazadieu, responsable éditorial de Ligue 1+. Rendue publique le 10 juillet, soit un mois et cinq jours avant le premier match, la nouvelle plateforme n’a en effet pas eu beaucoup plus de temps pour se construire. Les réunions éditoriales n'ont débuté qu'au mois de juin. Installées dans le même immeuble que la LFP, dans le XVIIe arrondissement de Paris, les équipes ont passé l’été à réfléchir à comment recréer le feuilleton Ligue 1.

Assistées par la société de production Mediawan, les équipes de Ligue 1+ ont recruté des techniciens et des consultants qui ont déjà travaillé pour la plupart sur le championnat de France chez d'autres diffuseurs. On retrouvera sur les plateaux télé des visages connus des amateurs de Ligue 1 (Adil Rami, Benjamin Nivet, Benoît Cheyrou, Johan Djourou…), mais aussi des nouveaux venus (Guillaume Hoarau, Souleymane Diawara, Swann Borsellino, Giovanni Castaldi…).

"On a un casting équilibré, très Ligue 1. On veut parler aux gens qui aiment la Ligue 1, apporter de la nouveauté et remettre de l’expertise dans le traitement de la Ligue 1, tout en restant détendu. Par exemple, Souleymane Diawara et Guillaume Hoarau vont raconter la Ligue 1 autrement."

Jérôme Cazadieu, directeur éditorial de Ligue 1+

à franceinfo: sport

"Tant que Diawara, Hoarau et Rami ne sont pas sur mon plateau en même temps, je pourrai tenir l'antenne sans incident...", plaisante Marina Lorenzo qui présentera notamment l’émission du samedi soir 90+1, et l’avant match du dimanche soir en direct du stade. "Le plus important, ça reste les matchs. Je suis honoré et content de travailler sur la Ligue 1, ma passion. Mais le contexte récent fait qu’on doit travailler avec beaucoup d’humilité et de rigueur", tempère Smaïl Bouabdellah, qui a vécu de l’intérieur les échecs Mediapro et DAZN.

"On ne doit pas non plus être la chaîne de propagande de la Ligue 1"

Outre ce casting, des tarifs attractifs - avec notamment la possibilité nouvelle de partager un même abonnement sur deux écrans différents -, Ligue 1+ s’appuie sur un autre point fort : être la chaîne de la LFP, c’est être la chaîne des clubs. "Les clubs adhèrent au projet, nous le font sentir. Il y a une vraie volonté de travailler ensemble, les portes s’ouvrent plus facilement", apprécie ainsi Marina Lorenzo. "Il y a une idée d’union sacrée, c’est la chaîne de la Ligue 1 plus que la chaîne des clubs, ça apporte une dynamique différente", abonde Smaïl Bouabdellah.

Ce qui permet à Ligue 1+ de viser une diffusion plus ambitieuse du championnat, assure Jérôme Cazadieu : "On ne va pas réinventer la roue, mais le but est d’être le plus immersif possible avec des caméras dans les vestiaires et les bus, la sonorisation des échauffements, les interviews des joueurs remplacés, des arbitres… On a aussi lancé deux séries avec le Paris FC et sur la dernière saison de Dante à Nice. Et il y aura d’autres surprises. Être la chaîne des clubs, c’est top pour l'inside. Mais on ne doit pas non plus être la chaîne de propagande de la Ligue 1 : on doit trouver des aspérités, critiquer. On traitera tout ce qu’il se passe au stade avec une liberté de ton, de critique."

"L’interdépendance est la même qu’avec les diffuseurs précédents, la seule différence est le nom de la Ligue accolé à celui de la chaîne qui fait que tout le monde en a peut-être plus conscience aujourd’hui", ajoute Marina Lorenzo. Malgré l’envie de jouer la proximité et le ton détendu, Ligue 1+ renoue toutefois avec deux habitudes : le vouvoiement et les tenues correctes exigées. "Il ne faut pas faire faussement cool. On sera aussi avec un dress code sérieux, costard cravate pour tout le monde. C’est comme ça aussi qu’on respecte nos téléspectateurs", assure Jérôme Cazadieu. 

"La Ligue 1 a suffisamment d’atouts aujourd’hui pour plaire, on n’a aucun intérêt à vouloir enluminer la Ligue 1, tout trouver formidable. Ce serait une faute morale d’essayer de survendre le produit parce qu’on est la chaîne des clubs."

Jérôme Cazadieu, directeur éditorial de Ligue 1+

à franceinfo: sport

Autre retour : celui d'une chaîne linéaire diffusée 24h/24, 7j/7, en plus de la plateforme. Outre les 8 matchs du week-end (le 9e étant diffusé par BeIN Sport), et les émissions Kick Off (vendredi), 90+1 (samedi) et Le Club (dimanche), Ligue 1+ proposera des rediffusions de matchs de légendes du championnat, des séries documentaires, et réfléchit même à un programme de dessins animés quotidien.

Autant d’idées afin de voir si ce modèle peut s’imposer en Europe. "On sent une attente très forte des acteurs institutionnels, j’ai été appelé par des membres de fédérations, de ligues, de confédérations internationales. On est scruté", avoue Jérôme Cazadieu. En attendant d’inspirer l’étranger, Ligue 1+ vise 1 million d’abonnés d’ici la fin de saison, et 2 millions en 2029.

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