Cyclisme : "C'est impossible de sécuriser à 100%"... Les organisateurs face au casse-tête de la sécurisation de leurs parcours

L'intrusion de plusieurs véhicules à contresens a perturbé le déroulement de l'Etoile de Bessèges jeudi et vendredi. Ces incidents illustrent la difficulté de protéger totalement des centaines de kilomètres de tracés.

Article rédigé par Anaïs Brosseau
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une étape du Tour de France 2018. (JEFF PACHOUD / AFP)
Une étape du Tour de France 2018. (JEFF PACHOUD / AFP)

Le risque zéro n'existe pas. Le constat posé par les organisateurs de courses cyclistes est unanime après plusieurs intrusions de véhicules sur le parcours de l'Etoile de Bessèges, jeudi 6 et vendredi 7 février. Les incidents ont conduit au retrait de huit équipes engagées, pour "raisons de sécurité", et relancé le débat autour de la sécurité des coureurs. "Il est impossible de sécuriser à 100%. Il n'y a que le Tour de France qui peut avoir des gendarmes à chaque croisement", souligne d'entrée Romain Caubin, directeur de course de la Route d'Occitanie (18 au 21 juin).

"Personne n'est à l'abri. Celui qui me dit qu'il peut garantir le 100% sécurité, je demande à le rencontrer."

Jean-Luc Minette, responsable sécurité des Boucles de La Mayenne

à franceinfo: sport

"On fait tout ce qu'on peut (...). Dans quelques années, il n'y aura que quelques courses organisées par des entreprises comme ASO [Amaury sport organisation, organisateur notamment du Tour de France], qui pourront privatiser les routes et qui seront encore là. Nous, on ne sera jamais capables de le faire financièrement", a déploré de son côté Claudine Fangille-Allègre, la présidente de l'Etoile de Bessèges, auprès de l'AFP.

À l'inverse de la Grande Boucle, où les axes sont bouclés plusieurs heures en amont par arrêtés préfectoraux, les autres épreuves cyclistes sont organisées sur des routes ouvertes, avec "une bulle" de course protégée par des gendarmes. Le parcours n'est alors bouclé qu'une quinzaine de minutes au maximum avant le passage du premier coureur. Et dans la majorité des cas, l'organisation est tenue par des bénévoles passionnés, dont ce n'est pas le métier.

"Ce qui était acceptable ne l'est plus"

Des véhicules à contresens, l'ancien coureur Thomas Voeckler, aujourd'hui notamment ambassadeur du Tour de Provence, en a souvent croisé durant sa carrière. "Ce n'était pas acceptable mais on l'acceptait, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui car le vélo évolue, analyse-t-il. Les coureurs roulent plus vite, les enjeux économiques sont de plus en plus importants, il y a beaucoup plus de chutes donc il faut tout faire pour diminuer les risques."

S'il estime que les organisateurs de l'Etoile de Bessèges "ont respecté le cahier des charges", Thomas Voeckler perçoit l'incident comme "une alerte""On a la vie des coureurs entre les mains. Le vélo est déjà un sport dangereux. Il faut peut-être encore plus adapter le dispositif de sécurité", juge l'ancien coureur, qui fait remarquer que le Tour de Provence a notamment réduit son nombre d'étapes pour pouvoir assumer un budget sécurité en hausse (330 000 euros, soit 30% du budget total et premier poste de dépenses) et rehausser la présence de signaleurs et motos sur le circuit.

La présence capitale des motards

"La seule façon de minimiser les risques est la présence de motards à l'avant. Ils roulent et dès qu'ils aperçoivent un danger, ils s'arrêtent et prennent le carrefour en point fixe", détaille Romain Caubin. "Ils sont attentifs au moindre signe de mouvement. Un convoi agricole au loin prêt à partir par exemple. Dans ce cas, ils vont le voir et lui disent d'attendre", complète Jean-Luc Minette.

Mais les deux dirigeants constatent une plus grande difficulté pour les motards de doubler un peloton toujours plus rapide ou chacun cherche à gagner sa place à l'avant. "Avant, ils laissaient un couloir lorsqu'on klaxonnait. Aujourd'hui, c'est plus difficile. Mais si on a huit ou 10 motos à l'arrière, ça ne sert à rien", regrette Jean-Luc Minette, de "tout cœur" avec les dirigeants de l'Etoile de Bessèges. "Il faut peut-être trouver une solution au niveau de la réglementation pour faciliter le passage des motos", suggère Thomas Voeckler, qui appelle à davantage d'échanges entre coureurs et organisateurs, pour que chacun comprenne les contraintes des uns et des autres.

Une moto de gendarmerie sur le Tour de France 2016. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)
Une moto de gendarmerie sur le Tour de France 2016. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Sur la Route d'Occitanie, 25 gendarmes sont par exemple engagés sur les quatre jours pour sécuriser la course à moto. En plus, selon le profil de l'étape, 50 à 100 gendarmes sont mobilisés pour tenir des points dangereux ou à la fréquentation importante (carrefours, ronds-points...). "Sur certains endroits, on préfère mettre un gendarme plutôt qu'un bénévole car ils sont aussi confrontés à un certain changement de mentalité des gens", glisse Romain Caubin. 

"La voiture [qui s'est introduite sur le parcours jeudi], les gendarmes l'ont arrêtée deux fois, puis elle est encore repartie. Comment faire, à part mettre quelqu'un devant chaque chemin ?" 

Claudine Fangille-Allègre, présidente de l'Etoile de Bessèges

à l'AFP

Des gendarmes, mais aussi parfois des policiers nationaux ou municipaux selon la zone traversée, sont ainsi mobilisés... et donc payés par les organisateurs. "Sur les Boucles de la Mayenne, engager la police et la gendarmerie représente plusieurs dizaines de milliers d'euros, indique son responsable sécurité. Et près de 65% de nos effectifs humains ont, comme mission unique, la sécurité." A ces motards militaires s'ajoutent des civils, formés par la Fédération française de cyclisme (FFC), également dédommagés, et des bénévoles signaleurs. 

Un travail avec les communes

Pour devancer les dangers, les organisateurs travaillent très en amont les tracés, avec plusieurs reconnaissances, dont une avec les gendarmes. Zones commerciales, petits chemins, voitures garées représentent autant de risques. Un travail est alors engagé avec les communes pour que ces dernières fassent, entre autres, appliquer des interdictions de stationnement. "Il est rare que des maires pour une course comme la Route d'Occitanie fassent respecter l'arrêté qu'ils prennent. Quand une commune est traversée par le Tour de France, il n'y a pas un véhicule de stationné sur le bord de la route", siffle Romain Caubin, forcé de mener un dialogue plus poussé lorsqu'il pressent une difficulté sur des rues étroites. 

S'agissant de la population, difficile de s'assurer que la totalité des habitants a bien pris conscience du passage à venir des coureurs à proximité. Les organisateurs s'appuient alors sur les médias locaux pour relayer l'information. "Nous distribuons, en plus, des affiches de différents formats et un magazine pour donner le tracé et les horaires précis", précise Jean-Luc Minette, qui tâche "d'impliquer" le plus possible les communes. "Ce sont d'abord eux qui connaissent le mieux les lieux", pointe ce dernier. Malgré toutes les précautions prises, le responsable sécurité mayennais confie vivre, chaque année, la course "avec toujours l'appréhension de l'imprévu"

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