Guerre en Ukraine : des associations dénoncent la présence de céistes russes qu'elles jugent "non neutres" lors d'une étape de Coupe du monde à Pau

Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
Des Ukrainiens, membres de l'association Vesna 64, se sont rassemblés à Pau, le 9 juin 2025, pour protester contre la présence d'athlètes russes sous bannière neutre, lors de l'étape de Coupe du monde de canoë-kayak slalom. (QUENTIN TOP / AFP)
Des Ukrainiens, membres de l'association Vesna 64, se sont rassemblés à Pau, le 9 juin 2025, pour protester contre la présence d'athlètes russes sous bannière neutre, lors de l'étape de Coupe du monde de canoë-kayak slalom. (QUENTIN TOP / AFP)

Deux associations ukrainiennes installées à Pau ont manifesté, lundi, contre la participation d'une partie des neuf athlètes russes engagés, estimant qu'ils ne respectent pas le principe de neutralité exigé par la Fédération internationale.

Une compétition en eaux troubles. Le monde du canoë-kayak ne s'attendait pas à vivre une semaine si agitée. Depuis plusieurs jours, Vesna 64 et le collectif des Ukrainiens du Béarn, deux associations ukrainiennes installées à Pau (Pyrénées-Atlantiques), dénoncent la présence d'athlètes russes qu'elles jugent "non neutres" lors de la deuxième étape de Coupe du monde de canoë-kayak slalom, organisée du 13 au 16 juin à Pau. 

Selon Luba Nakonechna, présidente de l'association Vesna 64, certains des neuf athlètes russes inscrits à cette compétition ne correspondent pas aux critères de neutralité imposés par la Fédération internationale de canoë-kayak. Une "situation inquiétante" selon elle, qui a poussé les membres de l'association à se rassembler, lundi 9 juin, devant le stade d'eaux vives de Pau afin d'alerter l'opinion publique.

Des athlètes soupçonnés de non-neutralité

Pour étayer son propos, l'association s'appuie sur un dossier, constitué par la Fédération ukrainienne de canoë-kayak, et rassemblant des preuves de non-neutralité de certains de ses athlètes. Parmi les documents collectés par la Fédération ukrainienne, dont franceinfo: sport a eu accès, on trouve une photo de Maksim Obraztsov, entraîneur en chef de l'équipe nationale russe, prenant la pose en mars dernier dans un bureau avec en arrière-plan le portrait du président russe, Vladimir Poutine.

La Fédération ukrainienne a également identifié la céiste russe Alsu Minazova, médaillée de bronze par équipe (C1) aux championnats du monde de canoë slalom en 2021, posant à de nombreuses reprises aux côtés de Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie et ancien président de la Fédération russe de canoë-kayak, et de Radiy Khabirov, le chef du Bachkortostan (Bachkirie), une république de la Fédération de Russie – et lieu de naissance de l'athlète –, sanctionné par plusieurs Etats, dont l'Union européenne pour avoir soutenu l'invasion de l'Ukraine. Les photos postées sur les réseaux sociaux de l'athlète (voir ci-dessous la capture fournie par la Fédération ukrainienne) ont depuis été supprimées. 

La céiste russe Alsu Minazova aux côtés de Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, au ministère des Affaires étrangères russes. Le post a été supprimé et la capture d'écran a été prise en janvier 2025. (Capture d'écran Instagram)
La céiste russe Alsu Minazova aux côtés de Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, au ministère des Affaires étrangères russes. Le post a été supprimé et la capture d'écran a été prise en janvier 2025. (Capture d'écran Instagram)

Dans un article de presse repéré par la Fédération ukrainienne de canoë-kayak, du média Abzelil, daté du 18 avril 2024, Sergueï Lavrov a félicité Alsu Minazova pour ses résultats sportifs, la considérant comme "l'une de nos meilleures sportives sur le slalom". Dans ce même article, on apprend que l'athlète a remercié, lors d'une visioconférence, le ministre pour son "soutien actif dans cette discipline", avant de lui remettre par l'intermédiaire de Radiy Khabirov, sa pagaie avec laquelle elle a participé aux Jeux de Tokyo en 2021.

Capture d'écran du compte Instagram de la céiste russe Alsu Minazova, réalisée le 12 juin 2025. (Capture d'écran Franceinfo: sport)
Capture d'écran du compte Instagram de la céiste russe Alsu Minazova, réalisée le 12 juin 2025. (Capture d'écran Franceinfo: sport)

Sur sa photo de profil Instagram, Alsou Minazova apparaît toujours avec un maillot aux couleurs de la Russie, ce qui est proscrit par la Fédération internationale de canoë-kayak pour prétendre au statut d'athlète neutre. "Si cela correspond à de la neutralité, on ne peut plus croire en rien", s'insurge Luba Nakonechna, qui est toujours en attente d'une réponse de la Fédération internationale.

Contactée par franceinfo: sport, l'instance nous a renvoyés vers son document de référence "Politique de la FIC", tout en assurant que le "statut de neutralité" était "accordé par [un] panel indépendant" après étude du dossier. À noter que la prise de position contre leur gouvernement reste dangereuse pour les Russes, à la liberté d'expression réduite, voire inexistante, dans ce régime autoritaire où la propagande est de mise.

Réintégration depuis 2023 "sous conditions"

Exclus de toute compétition de la discipline au début de la guerre en Ukraine, les athlètes russes et biélorusses ont été réintégrés par la Fédération internationale de canoë-kayak (FIC), suivant les recommandations du Comité international olympique (CIO) le 28 mars 2023, "sous certaines conditions". Le document de la FIC, intitulé "Politique de la FIC, pour la participation des athlètes et du personnel d'encadrement des athlètes russes et biélorusses aux compétitions de la FIC", publié le 20 juin 2023, mentionne ainsi que leur participation à des compétitions internationales n'est possible qu'avec un statut d'athlète neutre vis-à-vis de la guerre en Ukraine.

Pour cela, les athlètes ne doivent pas soutenir la guerre, ni être "sous contrat de l'armée russe et biélorusse ou des agences de sécurité nationale". Par ailleurs, les athlètes ne doivent pas "prendre part à des manifestations ou compétitions pro-guerre, ni afficher tout symbole soutenant la guerre en Ukraine, par exemple le symbole Z", est-il écrit. Toute prise de position, de manière publique, y compris sur les réseaux sociaux, en faveur du gouvernement russe est considérée comme une marque de soutien à la guerre.

"Les uniformes – de compétition, d'échauffement, formels, de cérémonie, décontractés, etc. – les équipements, accessoires et objets personnels des athlètes et des membres de l'encadrement utilisés sur les sites de compétition ou toute autre zone contrôlée par la FIC ne doivent pas contenir de reconnaissance ou de référence à la Fédération de Russie et de Biélorussie, ou à leurs fédérations nationales ou CNO, ou toute identification nationale (comme le drapeau, les armoiries ou tout autre symbole ou emblème national, officiel ou non) dans quelque langue ou format que ce soit", précise encore le document.

"Une acceptation de ce qu'il se passe en Ukraine"

Autre critère imposé par la Fédération internationale, celui de "s'abstenir de toute activité ou communication associée au drapeau, à l'hymne, à l'emblème ou à tout autre symbole national de la Fédération de Russie ou biélorusse, de leurs fédérations nationales ou CNO (Comité national olympique), ou au soutien à la guerre en Ukraine, dans tout lieu officiel ou dans les médias avant, pendant et après la compétition de la FIC". La FIC possède à ce jour une liste avec les athlètes russes et biélorusses considérés comme neutres et donc acceptés en compétitions officielles.

Face à cela, Luba Nakonechna estime que la présence des athlètes russes sur cette étape de Coupe du monde à Pau est "une acceptation de ce qu'il se passe en Ukraine". "On veut séparer la guerre du reste mais cela n'existe pas, car en Ukraine tout le monde est tué : les artistes, les sportifs, les écrivains, les journalistes... Tout le monde est en train de mourir", abonde-t-elle. 

"Il s'agit d'une injustice vis-à-vis des athlètes ukrainiens, dont certains ont été tués à cause de la guerre en Ukraine, quand d'autres sont emprisonnés en Russie", s'émeut Luba Nakonechna. En Ukraine, les athlètes peinent à trouver des lieux sûrs pour s'entraîner alors que les bombardements se poursuivent. D'après le dernier bilan officiel, datant de juillet 2024, au moins 487 athlètes ukrainiens ont été tués à la suite de l'invasion russe.

"Je pense notamment à Oleksandr Malovanij, entraîneur de l'équipe nationale ukrainienne de canoë-kayak, qui a été enlevé chez lui en tant que civil en 2022 et qui est depuis en prison en Russie. Il devrait être là avec son équipe aujourd'hui."

Luba Nakonechna, présidente de l'association Vesna 64

à franceinfo: sport

Pascal Bonnetain, le président de la Fédération française canoë-kayak, affirme avoir eu connaissance de ces éléments par notre intermédiaire, et veut rester prudent mais s'engage à suivre le dossier. "Si les preuves sont authentiques, c'est effectivement rédhibitoire", pointe-t-il. De son côté, Sylvain Puy, l'organisateur de la compétition à Pau, n'a pas reçu à ce jour de communication officielle obligeant les athlètes russes à se retirer. "Ils sont neuf inscrits. Bien qu'il y ait un faisceau d'indices en ce sens [de non-neutralité], je n'ai pas les moyens, et ce n'est pas mon rôle, de vérifier ces informations", souligne-t-il. Au premier jour de la compétition, la Fédération internationale de canoë-kayak n'avait pas modifié sa liste de participants. 

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