Entretien "Aujourd'hui, j'ai ma place parmi les hommes", se réjouit Maho Bah-Villemagne, premier boxeur transgenre en compétition européenne officielle

Article rédigé par Andréa La Perna
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
Maho Bah Villemagne à l'issue de son combat contre Evan Ferrandi, le 2 novembre 2024 à Marseille. (ANNE-SOPHIE NIVAL / AFP)
Maho Bah Villemagne à l'issue de son combat contre Evan Ferrandi, le 2 novembre 2024 à Marseille. (ANNE-SOPHIE NIVAL / AFP)

Maho Bah-Villemagne a disputé son premier combat officiel dans une catégorie masculine contre Evan Ferrandi, en novembre dernier à Marseille.

Il a marqué l'histoire de la boxe française et européenne le 2 novembre dernier. Maho Bah-Villemagne est devenu le premier boxeur transgenre à concourir dans une compétition officielle sur tout le continent. Dans sa ville de Marseille, son combat des -54kg s'est soldé par l'annonce d'un résultat nul. Si son adversaire Evan Ferrandi a eu la préférence des juges [un juge l'a donné vainqueur, les autres match nul], ce match avait malgré tout la saveur d'une victoire.

Champion de France militaire et vice-champion de France amateur chez les femmes dans la catégorie des -52kg, Maho Bah-Villemagne a dû se battre pour obtenir une licence auprès de la Fédération française de boxe. Soutenu par l'avocat en droit du sport Michel Pautot, il a même écrit au ministère des Sports pour que sa démarche aboutisse. Il raconte pour franceinfo: sport son parcours semé d'embuches et revient sur la question de l'inclusion des sportifs transgenres.

Comment avez-vous digéré ce premier combat et tout le chemin accompli pour en arriver là ?

Cela a été très intense. C'est avec surprise que j'ai obtenu la licence. J'avais essayé mais je n'y croyais pas du tout. La première difficulté a été de trouver des adversaires. J'évolue dans une catégorie légère : en moins de 57, 54 et 52 kg. Je vais sur ces trois tranches parce qu'on n'est pas beaucoup. Puisque mon cas a été médiatisé, j'ai essuyé quelques refus. Je n'ai pas pu combattre le 6 juillet comme je le devais. L'adversaire a annulé très peu de temps avant. Cela s'est reproduit le 31 août à un gala. On a finalement réussi à trouver un combat en s'inscrivant aux championnats PACA, où l'inscription est anonyme.

Cela a été un grand moment. C'était très très beau. Il y a eu beaucoup de monde et ça a intéressé beaucoup. Le résultat, je n'en suis pas déçu. Le combat a été très serré. Je comprends que les juges aient donné leur préférence [à Evan Ferrandi]. On ne pensait même pas que je tiendrais le premier round. A partir du moment où j'ai pu me sentir parmi eux, c'était une victoire. Être dans le vestiaire des hommes et être traité comme eux de A à Z, c'était la première fois. C'était dingue. C'était aussi ma première fois sans casque. Chez les femmes, on boxe avec un casque même dans l'élite. Avec l'adrénaline, je n'ai rien senti.

Vous êtes remonté sur le ring pour un deuxième combat...

Malheureusement, c'était contre le même adversaire, un mois après. J'étais dégoûté, même si ça ne me dérange pas de faire des revanches. Mon adversaire n'était pas content du résultat du premier match. Il s'est mis à répondre aux publications sur les réseaux sociaux, en disant qu'il n'y avait pas vraiment eu d'égalité, que la Fédération avait été obligée de me protéger. La communauté LGBT s'est énervée contre lui et cela a pris une ampleur démesurée.

Ce match-là a été beaucoup moins médiatisé. La Fédération voulait aussi que le combat se fasse dans la discrétion. J'ai été donné perdant. Je suis triste, mais j'ai ma place. Apparemment, j'ai fait un très bon combat, meilleur que le premier. Mon objectif, maintenant, c'est de gagner et pas seulement de montrer que je ne vais pas prendre un K.O. Après le combat, [Evan Ferrandi] m'a envoyé un message pour me dire qu'il n'avait aucun problème avec moi et qu'il me considérait comme un boxeur. Cela s'est bien fini.

Est-il vrai que vous avez retardé votre processus de transition par peur de ne plus pouvoir boxer ?

Ça l'a même beaucoup retardée. Je savais déjà que j'étais une personne trans en commençant la boxe. Je pensais que j'allais rester au placard, mais il se trouve que mon physique a de plus en plus ressemblé à ce que je voulais. Je ne prenais pas d'hormones, mais je me rasais et faisais des trucs symboliques. J'ai toujours eu une tête un peu androgyne. Je me sentais mieux malgré le décalage avec la société. Quand j'allais combattre chez les femmes, à la pesée, on pensait parfois que j'étais un homme.

J'avais fait des recherches. Très peu d'athlètes trans ont réussi à pratiquer leur sport sans controverse. Les mecs trans, on en voit très très peu. Je pensais que je serais comme les premières femmes qui voulaient boxer, comme un pionnier dans la salle, mais pas en compétition. J'ai donc retardé tout ça parce que j'aimais trop la boxe. J'avais trop besoin de la boxe, mais [l'idée de la transition] se présentait trop à moi. Ce n'est que fin 2022, début 2023, que je me suis dit que j'allais le faire.

Comment vos proches et vos collègues ont accueilli l'annonce de votre transition ?

Au travail, cela s'est passé en deux temps. Quand j'ai fait mes classes militaires, je ne l'ai pas dit. Je n'avais encore rien changé. Dès que j'ai pris mes fonctions en tant que lieutenant à Marseille, j'ai commencé à le dire dès que possible. J'avais déjà commencé les démarches de changement de prénom. Je l'ai dit à mon général. Cela a été intense. Il a fait une annonce devant mes collègues pour dire que c'était "il" et "Maho", que c'était comme ça et pas autrement. Cela s'est plutôt bien passé. On ne m'a rien dit en face, à part une personne qui m'a mégenré. 

J'ai eu plus de facilités à le dire au travail qu'à ma famille. Ma mère et mon frère étaient au courant, mais du côté de mon père, de mes demi-frères et demi-soeurs, ils ne l'étaient pas jusqu'à il y a deux ans peut-être. Mon père refuse de le voir. C'est comme ça. C'est plus difficile pour certains que pour d'autres.

Que faut-il faire pour intégrer pleinement les sportifs transgenres en compétition ?

Il est très important de légiférer. Le problème auquel on s'est confronté, c'est qu'on ne savait pas où me placer. Il n'y avait aucune règle concernant les personnes trans ou non-binaires ou intersexes dans le sport. Je suis un cas d'école. Il n'y avait pas de référence de tests hormonaux avant moi. On ne m'a rien dit. Il fallait juste que je sois dans le taux des hommes. Il faut une vraie législation, avec des taux précis, des conditions. C'est un gros travail au niveau du droit, mais il faut aussi travailler sur la visibilité dans les salles de sport.

Faut-il faire des différences sport par sport ?

C'est compliqué comme sujet. Ça l'est déjà dans la distinction femmes-hommes dans certains sports. Je ne suis, par exemple, pas du tout d'accord qu'il y ait une compétition femmes et une compétition hommes aux échecs. En boxe, c'est différent. Mon rêve, ce serait d'ouvrir le sport selon le niveau et le poids, d'oublier le genre. Mais, ce n'est pas pour tout de suite.

Lors des Jeux olympiques de Paris, le sacre d'Imane Khelif a suscité une vague de haine sur les réseaux sociaux. Le débat de l'inclusion des athlètes transgenres est revenu sur la table alors qu'elle n'est, elle-même, pas concernée...

J'ai suivi tout ça avec beaucoup de colère. Cela m'a fait énormément de mal pour elle. C'est entré en résonance avec ce que j'avais peur de vivre toute ma vie. Ce qui m'a encore plus touché, c'est la bêtise des gens de confondre une femme masculine, et encore je pense que ce n'était pas si frappant, avec une personne trans. La vague de haine a été très violente. Quand elle avait participé aux JO de Tokyo, elle avait perdu et on n'avait pas parlé d'elle. Selon la victoire ou la défaite, tout peut changer. Elle ne méritait pas ça.

Il semble que les critiques se concentrent surtout dans les catégories féminines...

Il y a un problème de mysogynie dans le sport. Les gens n'en ont pas forcément conscience. Il faut toujours protéger la femme, alors qu'elle ne veut qu'en faire plus. Amanda Serrano, une boxeuse, a demandé à participer au premier combat officiel avec des rounds de trois et plus deux minutes, comme le veulent les règles des compétitions féminines. Cela avait nourri beaucoup de discussions. Elle a réussi. Je pense que les hommes ont peur que les femmes arrivent à leur niveau, comme s'ils voulaient garder le contrôle. 

La société française est-elle prête, à terme, à accepter les personnes transgenres ?

Des fois, j'y crois. D'autres, pas du tout. En ce moment, on est plutôt sur une vague de haine et une espèce de montée fasciste. Pour ma part, j'ai beaucoup de soutiens et pas que de la communauté LGBT : des hommes, des personnes du milieu de la boxe, des personnes cisgenres... A la fin, j'ai beaucoup plus de messages de soutien que de haine. Peut-être que si on arrive à garder notre calme, à être patients, on peut y croire.

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