Mondiaux d'athlétisme : chaussures à plaque carbone, sprinteurs sur le double tour de piste... Comment la stratégie de course a évolué sur le 800 m

Depuis deux ans, la densité chronométrique sur l'épreuve a explosé chez les hommes, comme chez les femmes. La façon de courir cette distance est aussi liée à la présence ou non de leader au niveau mondial.

Article rédigé par Anaïs Brosseau - envoyée spéciale à Tokyo
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
La finale du 800 m masculin des Jeux olympiques de Paris, le 10 août 2024. (MARTIN  BERNETTI / AFP)
La finale du 800 m masculin des Jeux olympiques de Paris, le 10 août 2024. (MARTIN BERNETTI / AFP)

"Moi qui viens de l'ancienne école, j'ai dû m'habituer à une nouvelle façon de courir. Avant, ça partait plutôt vite et ça craquait sur le deuxième tour. Maintenant, ça part vite, ça ralentit et ça termine très vite." Pour Rénelle Lamote, forte d'une décennie de carrière en équipe de France, le constat est sans appel : sa discipline, le 800 m, est en train de vivre une révolution. "Je pense que c'est lié aux chaussures carbone qui permettent de finir fort."

"Le niveau mondial explose. Il faut se préparer à des courses en série qui vont se courir en 1'58 faible, comme l'année dernière. Et je ne serai même pas étonnée de devoir courir 1'57 au premier tour", avançait l'athlète en conférence de presse, jeudi 11 septembre, avant son entrée en lice lors des Mondiaux de Tokyo. Des chronos largement sous les deux minutes d'effort... quand il y a quelques années les 2'00 apparaissaient pour beaucoup comme une première barrière à briser.

Rénelle Lamote lors des Jeux olympiques de Paris, le 4 août 2024. (AGENCE KMSP / AFP)
Rénelle Lamote lors des Jeux olympiques de Paris, le 4 août 2024. (AGENCE KMSP / AFP)

Apparues au cours de l'hiver 2020, ces paires de pointes avec une plaque carbone "jouent sur la vitesse et la fatigue", éclaire Bruno Gajer, entraîneur de la Française. Aujourd'hui, tous les athlètes en sont dotés, même si le réglement limite l'épaisseur des semelles dans lesquelles sont placées les plaques de carbone, à 20 mm. World Athletics a laissé plusieurs années aux équipementiers pour s'adapter puisque cette réglementation est entrée en vigueur en novembre, après les Jeux de Paris.

"Avant, la course se jouait à celui qui ralentissait le moins, désormais c'est à celui qui relance le plus."

Bruno Gajer, entraîneur de Rénelle Lamote, spécialiste du 800 m

à franceinfo: sport

Chez les hommes, les chronos s'affolent depuis deux ans alors même qu'ils avaient très peu évolué ces dernières décennies. De 1900 au 1er janvier 2022, la barre des 1'42 n'avait été par exemple brisée que 15 fois chez les hommes, dont sept fois par l'actuel détenteur du record du monde le Kényan David Rudisha (établi en 2012). Entre 2022 et aujourd'hui, elle l'a été... à 14 reprises, par notamment les quatre premiers de la finale du 800 m des Jeux de Paris.

Chez les femmes, la comparaison historique est moins nette. Les meilleures marques restent la possession des coureuses chinoises et de l'Europe de l'Est lors des années de guerre froide, ou par des athlètes hyperandrogènes désormais interdites de compétition lorsqu'elles ne soumettent pas à un traitement. Néanmoins, cette saison, sept coureuses sont déjà passées sous les 1'57.

"Je pense qu'il y a davantage de gars qui tentent leur chance et qui n'ont pas peur de ne pas gagner ou de ne pas faire ce qu'ils veulent. Donc on se retrouve à tous vouloir courir très vite et avoir confiance en nos capacités".

Gabriel Tual, 6e des Jeux de Paris sur 800 m

en conférence de presse

Si en meetings, avec l'appui de lièvres et de la wave-light (lièvre lumineux), les courses sont d'autant plus rapides, en championnats, le Français assure que la prise de risque est plus tempérée. "La densité amène beaucoup plus de pression. Tu n'as pas le droit à l'erreur. Donc on a personne qui part de loin, bourrine et gagne. À chaque fois, tu te fais rattraper par la patrouille parce que tu es le chassé."

Un matériel qui resserre les écarts

En 2017, aux Mondiaux de Londres, le Français Pierre-Ambroise Bosse avait tenté, et gagné, ce pari fou. Aujourd'hui, "avec ce matériel, tout le monde peut finir vite. La densité est si forte qu'ils ne vont pas prendre le risque de ne pas courir dès le premier tour", estime Bruno Gajer, entraîneur de Pierre-Ambroise Bosse par le passé. "Il y a moins de différences avec ce matériel. Ça se densifie à l'arrière." 

L'arrivée sur le devant de la scène du jeune Kényan Emmanuel Wanyonyi, 21 ans et champion olympique en titre, explique aussi l'affolement des chronos. "Chez les garçons, le verrou a sauté l'an passé. Ça s'est débloqué avec Emmanuel Wanyonyi qui est un coureur de 400 m. Il part devant et prend des risques. Les milers [plutôt spécialiste du 1 500 m] ne prennent pas ce risque car ils n'en ont pas la capacité", décrypte Bruno Gajer.

Cette nouvelle façon de courir contraint les athlètes à s'adapter à l'entraînement. Freinée par des blessures cette saison, Rénelle Lamote a ainsi dû mettre fortement l'accent sur la vitesse et les variations de vitesse, pour ne pas subir un départ ultrarapide dans la dernière ligne droite. "Il n'est pas question de partir en restant une seconde derrière les autres. Car on va revenir, mais pas suffisamment", assure Bruno Gajer.

Évolution constante

Dans cette course qui mêle vitesse, endurance et tactique, les schémas de course d'aujourd'hui ne seront assurément pas ceux de demain. Rénelle Lamote s'attend d'ailleurs à voir les choses changer, avec l'arrivée au premier plan de sa concurrente suisse Audrey Werro, au profil de sprinteuse de 400 m. "Cette méthode-là va bien pour les mileuses qui viennent courir le 800. Mais je me demande si à long terme, quand Femke Bol [spécialiste du 400 et 400 m haies] courra le 800, ce sera encore d'actualité ce style de course."  

Avec une saison étirée jusqu'en septembre, les spécialistes du double tour de piste arriveront-ils émoussés au Japon ? "C'est une discipline où on ne peut vraiment pas prédire, assure Gabriel Tual. Même si les gars ont déjà couru 1'41, ça se trouve la finale se gagnera en 1'46." Preuve que l'instinct et la capacité à lire la course restent des qualités indispensables, carbone ou pas.

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