Questions déplacées, procès éprouvant : comment les magistrats se forment pour éviter la "victimisation secondaire" dans les affaires de violences intrafamiliales et sexuelles
Comment s'adresser aux victimes de violences sexuelles ou conjugales, mieux connaître leur traumatisme et employer les bons termes ? Les élèves de l'ENM et les magistrats en poste se forment pour faire en sorte que le traitement judiciaire ne soit pas une épreuve supplémentaire pour elles.
C'est une question plus que jamais d'actualité avec le procès des viols de Mazan, dans lequel Gisèle Pelicot s'est parfois sentie humiliée à l'audience. Si les avocats disposent d'une grande liberté d'expression, les magistrats sont tenus de veiller à la bonne tenue des débats. Et ils sont de plus en plus nombreux à être formés pour éviter ce qu'on appelle la "victimisation secondaire", notamment dans les affaires de violences intrafamiliales (VIF) et sexuelles.
Ce sont par exemple des remarques ou des questions entendues pendant la procédure judiciaire, dès le dépôt de plainte ou pendant le procès. "Comment ça, vous ne vous êtes pas défendue ? Vous n'avez pas eu peur ? Pourquoi vous êtes allée vous laver alors qu'il fallait garder les preuves ?, liste Emmanuelle Piet, médecin et présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV). Ce sont des claques à la victime, c'est lourd à porter, cela nécessite de vrais accompagnements et sûrement des améliorations des pratiques."
Mieux préparer les victimes au procès
Son association propose un numéro d'écoute et accompagne des victimes à l'audience quand elles sont isolées, car c'est une véritable épreuve pour certaines femmes. Catherine Grosjean l'a également remarqué lorsqu'elle a pris la tête du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) en 2019. "J'avais observé que la place de la victime n'était pas très favorable dans notre système de justice et que bien souvent, on la perdait en route, explique cette magistrate. C'est-à-dire qu'on avait très peu de victimes présentes au procès. Elles étaient très impressionnées par le fonctionnement judiciaire, notre vocabulaire, nos robes, notre architecture. Ce qui faisait que ce procès était plus un moment de stress qu'un moment où elles pouvaient exprimer ce qu'elles avaient à dire, et passer à autre chose."
À son arrivée, cette magistrate met en place une chambre pénale de la famille où se déroulent cinq audiences par mois. En 2024, cinq magistrats y traitent exclusivement des violences intrafamiliales : des violences conjugales, du harcèlement ou encore des infractions qui concernent directement les mineurs. Mais l'accompagnement des victimes, initié par la présidente du tribunal, se veut plus large. Des associations locales les préparent au procès, les assistent le jour J, et des places de taxi sont mises à disposition pour les raccompagner après l'audience, pour éviter notamment le risque d'être prises à partie par un conjoint violent.
Des psychiatres pour accompagner les magistrats
Les juges, eux, sont aussi sensibilisés, sur le tas. "Nous avons des personnes, des psychiatres, des psychanalystes, des professionnels de l'accompagnement, aussi bien des auteurs que des victimes, qui assistent à nos audiences de façon totalement anonyme, poursuit Catherine Grosjean. Ils vont avec nous débriefer l'audience et nous aider à être meilleurs."
"Ils nous aident à trouver aussi le meilleur vocabulaire et la meilleure manière d'aborder les choses pour qu'elles soient bien comprises par tous."
Catherine Grosjean, magistrateà franceinfo
La question des mots employés est même primordiale. L'ENM, l'École nationale de la magistrature, organise des formations sur les violences intrafamiliales. "Quand on parle d'emprise, qu'est-ce que cela veut dire exactement ?, interroge la magistrate Marie Leal-Martini, coordinatrice de ces formations. Qu'est-ce qu'un contrôle coercitif, le surmeurtre, l'amnésie traumatique, la dissociation ? Ce sont des phénomènes qu'on entend beaucoup à la télévision ou à la radio, nous, magistrats, on doit les maîtriser."
L'enjeu des "signaux faibles"
L'enjeu est aussi de leur apprendre à détecter les "signaux faibles", parfois cruciaux dans les affaires de féminicides. "À la lecture de procédures, quand on fait des retours d'expérience sur des féminicides que l'on n’a pas su empêcher, il y a des signaux, on apprend aux magistrats à les lire, poursuit Marie Leal-Martini. Par exemple, un étranglement, c'est un acte de violence particulier, on sait que c'est plus grave qu'une gifle et qu'il y a plus de risque de passage à l'acte, homicide ou féminicide, quand il y a eu une tentative d'étranglement plutôt qu'un autre type de violence."
Les formations aux violences intrafamiliales de l'ENM sont proposées aux élèves et sont obligatoires depuis 2018 pour tous les magistrats en exercice qui souhaitent changer de fonction. D'après l'école, plus de 2 500 magistrats ont été formés à ces problématiques depuis 2019.
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