: Vidéo "Il n'a pas de sang sur les mains, mais en a énormément sur la conscience" : une série documentaire revient sur la responsabilité de Maurice Papon dans la déportation d'enfants juifs
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France 3 diffuse mercredi un documentaire en trois parties sur le procès du haut fonctionnaire français, responsable de la déportation de plus de mille personnes de confession juive entre 1942 et 1944.
Le procès pour complicité de crime contre l'humanité qui s'est déroulé à la cour d'assises de la Gironde entre octobre 1997 et avril 1998 s'est avéré être d'une grande complexité. Après plus de seize ans d'instruction et six mois d'audience, l'accusation a tenté de faire toute la lumière sur l'implication de l'Etat français dans la déportation des juifs, à travers le rôle qu'a joué Maurice Papon, à la tête du service des questions juives de la Gironde entre 1942 et 1944. L'ancien secrétaire général de la préfecture de Bordeaux sous le régime de Vichy était accusé d'avoir facilité la déportation de 1 690 juifs, dont plus de 200 enfants, à Drancy puis à Auschwitz.
"Ce que l'on reproche à Maurice Papon, c'est un crime de bureau. C'est un homme qui, dans son bureau à la préfecture, met des coups de tampon sur des décisions qui auront des conséquences dramatiques", explique le journaliste judiciaire Dominique Verdeilhan dans le documentaire en trois parties, intitulé Le Procès de Maurice Papon, réalisé par Gabriel Le Bomin et diffusé mercredi 16 avril à 21h05 sur France 3.
Cette série revient à travers de nombreux témoignages sur le procès durant lequel l'ancien haut fonctionnaire, qui a servi tous les pouvoirs, du maréchal Pétain à Valéry Giscard d'Estaing, s'est battu pied à pied pour minimiser son rôle dans la rafle de juifs.
Elle révèle les différents rebondissements qui ont émaillé les six mois d'audience et démontre la détermination des juges et des nombreux avocats de la partie civile pour mettre à mal la défense de Maurice Papon, qui n'hésite pas à s'arranger avec la réalité des faits. Au cœur de ses dénégations : le sort de plus de 200 enfants juifs déportés.
Un criminel de papier
Au commencement de son procès, Maurice Papon, âgé de 87 ans, est autorisé à comparaître libre pour raisons de santé, à la surprise générale. Les avocats de la partie civile, en colère, y voient une façon de victimiser davantage cet homme qui, avant son incarcération, clamait son innocence à longueur d'interviews, et affirmait être "l'homme le plus persécuté après [Alfred] Dreyfus."
Une posture qu'il conservera tout au long de son procès. L'ancien haut fonctionnaire nie sa participation active ayant permis la rafle de familles juives et se défausse sur les Allemands, ses supérieurs ou ses subalternes. Sa signature figure pourtant au bas de chaque acte autorisant l'arrestation et la déportation de ces hommes et de ces femmes.
"[Maurice Papon] a occupé des postes importants dans sa carrière politique (...), mais avec un comportement de petit voyou. [Il était] capable de nier les choses les plus évidentes jusqu'à ce qu'il ne puisse plus faire autrement et à ce moment-là, il s'adaptait un petit peu."
Pierre Mairat, avocat de la partie civiledans le documentaire "Le procès de Maurice Papon"
Le 16 juillet 1942, des arrestations de juifs ont lieu dans toute la France, dont la terrible rafle du Vél' d'Hiv. Appelé "Opération vent printanier", ce coup de filet d'ampleur n'épargne pas Bordeaux et ses environs, situés en zone occupée. Le 18 juillet, 172 juifs habitant la région sont déportés. Dans un premier temps, les enfants de moins de 15 ans dont les parents ont été arrêtés sont confiés à des familles d'accueil.
Mais le 25 août, la préfecture affrète des taxis chargés de récupérer tous ces enfants disséminés en Gironde et de les ramener dans un camp d'internement avant leur départ pour les camps. Le paiement des factures des trajets par le service des questions juives prouve la responsabilité de la préfecture de Bordeaux – et donc de Maurice Papon.
"L'obsession d'être un bon fonctionnaire"
Interrogé lors de son procès sur les raisons pour lesquelles il a autorisé l'envoi vers la mort de tous ces enfants placés, la réponse de l'accusé provoque l'indignation. "Il y a des parents qui avaient confié leurs enfants et les ont réclamés ensuite. Ils désiraient que les enfants les rejoignent", assure-t-il à la barre. "C'est d'un cynisme ! C'est absolument terrifiant ", s'indigne dans le documentaire, Me Alain Jakubowicz, qui représentait lors du procès le consistoire israélite et le B'nai B'rith de France. A l'entendre, "c'est par humanité qu'il a envoyé des enfants à la mort, pour ne pas séparer des familles ! C'est toute la théorie de Vichy pour se donner bonne conscience", poursuit l'avocat des parties civiles.
Le juge Jean-Louis Castagnède, président du tribunal, considère comme irrecevable les justifications de Maurice Papon et lui renvoie une réponse cinglante : "Ces parents, ils ne réclament rien, parce qu'au mois d'août, ils sont morts.". L'accusé reste silencieux. "Il suffisait de ne pas envoyer les taxis pour aller chercher ces enfants, reprend Alain Jakubowicz dans le documentaire. Les enfants ne partaient pas et les enfants seraient vivants ! C'est vraiment une espèce d'obsession, d'une certaine façon, de la tâche bien faite, [d'être un] bon fonctionnaire. C'est ce qu'on a appelé le crime de papier : à la différence de Klaus Barbie, il n'a pas directement de sang sur les mains. Mais il en a énormément sur la conscience."
Mensonges en série
Le témoignage à la barre de Thérèse Stopnicki, dont les deux petites sœurs, Rachel (2 ans) et Nelly (5 ans), ont été déportées en août 1942, anéantit lui aussi les arguments de Maurice Papon, pris en flagrant délit de mensonge lors de son procès, comme lors d'une émission de télévision neuf mois avant le début de l'audience.
Alors que le journaliste Paul Amar lui présentait les photos des deux petites filles mortes à Auschwitz, le haut fonctionnaire se dédouanait de toute responsabilité. "Une dame (...), qui avait en garde les petites filles, témoigne que les enfants Stopnicki ont été réclamés par les parents (...) Pourquoi me coller sur le dos cette infamie ?", s'indignait à l'écran Maurice Papon. Or, Thérèse Stopnicki relate durant le procès avoir rencontré en 1988 la femme qui avait accueilli ses sœurs. Celle-ci ne lui a jamais affirmé que ses parents, envoyés en déportation, souhaitaient récupérer les enfants.
"Elle a essayé d'être pour elles une seconde maman (…). Elle était très, très malheureuse. Elle m'a dit qu'elle aurait aimé les garder, et que c'est à la demande du garde champêtre et sur ordre de la préfecture qu'elle a été obligée de les ramener à Bordeaux."
Thérèse Stopnicki, dont les deux petites soeurs ont été déportéesdans le documentaire "Le procès de Maurice Papon"
À l'issue de ce procès, les neuf jurés mettront dix-neuf heures pour répondre aux 764 questions de l'acte d'accusation. Maurice Papon sera condamné à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crime contre l'humanité. Il fera trois ans de prison ferme avant d'être assigné à résidence jusqu'à sa mort en février 2007, à l'âge de 96 ans. Le juge Jean-Louis Castagnède disparaîtra le même jour que le haut fonctionnaire d'une rupture d'anévrisme.
Le documentaire, Le Procès de Maurice Papon, réalisé par Gabriel Le Bomin, est diffusé mercredi 16 avril à 21h05 sur France 3 et est visible sur la plateforme france.tv.
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