"C'est sympa mais il y a peu de retombées" : pourquoi certains éleveurs de vaches boudent le Salon de l'agriculture cette année

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
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La vache Oupette, égérie du Salon de l'agriculture, le 23 février 2025 à Paris. (BASTIEN ANDRE / HANS LUCAS / AFP)
La vache Oupette, égérie du Salon de l'agriculture, le 23 février 2025 à Paris. (BASTIEN ANDRE / HANS LUCAS / AFP)

Plusieurs organismes de sélection de races bovines ont décidé de ne pas présenter leurs bêtes à Paris en raison de la diminution de leurs subventions. Une décision comprise par les éleveurs, qui oscillent entre soulagement et regrets.

"Il n'y a pas de Béarnaise cette année ?" Dans les allées du Salon de l'agriculture, François Bayrou a désespérément cherché les vaches de sa région, lundi 24 février. Le Premier ministre a bien pris la pause devant Oupette, la Limousine égérie de l'édition 2025... mais il n'a pas pu s'afficher avec l'emblème du drapeau béarnais. Et pour cause, cette année, les rares éleveurs de ces bovins aux cornes en forme de lyre n'ont pas emmené leurs bêtes à Paris.

"Niveau budget, c'était compliqué", explique Vincent Moulia, animateur de l'Association de sauvegarde de la race bovine béarnaise. En 2024, la présentation de deux vaches de la région au Salon de l'agriculture avait coûté entre 15 000 et 20 000 euros à l'organisme de sélection des races locales de Nouvelle-Aquitaine. Une somme jugée trop importante pour renouveler l'opération. "Cette année, tous nos financeurs sont dans le flou, je ne sais pas comment ça va tourner", reconnaît l'éleveur. Dans ce contexte de restrictions budgétaires et d'instabilité politique, l'organisation locale a donc décidé de faire une croix sur cette vitrine nationale.

Au-delà des enjeux financiers, la venue des bovins dans la capitale n'est pas une mince affaire pour les éleveurs. "Cela demande également d'importants moyens humains", explique Vincent Moulia, dont l'une des vaches a fait le voyage l'année dernière. "Six mois à l'avance, on doit commencer à préparer les animaux, s'assurer d'avoir des remplaçantes en cas de mauvaise surprise, puis il faut des bénévoles sur le salon", liste l'éleveur installé à Orthez (Pyrénées-Atlantiques).

"Le Salon de l'agriculture, c'est beaucoup d'énergie en amont et pendant. Ce n'est pas sans conséquences pour les éleveurs."

Vincent Moulia, éleveur

à franceinfo

Un investissement dont les retombées sont "difficiles à chiffrer", reconnaît Vincent Moulia. "C'est l'occasion de faire partie de la vitrine, de montrer nos vaches, de discuter avec des éleveurs d'autres races menacées et de croiser des élus dans un contexte plus informel", assure l'animateur de l'association. "Mais cela ne ramène pas forcément plus de clients à l'éleveur", nuance-t-il cependant.

"On fait croire qu'on est une grande famille"

Dans le nord du Béarn, Fabienne Castetbieilh n'est pas mécontente de rester sur son exploitation plutôt que de faire le déplacement à Paris. "C'est sympa mais il y a peu de retombées", estime l'éleveuse de vaches béarnaises et bordelaises. Le rendez-vous, où se mêlent grands syndicats agricoles et multinationales de l'agrobusiness, ne correspond pas non plus à ses valeurs. "On nous fait croire que tout va bien, qu'on est une grande famille. Mais non", cingle l'agricultrice, remontée contre les reculs environnementaux de la loi d'orientation agricole.

"Je préfère qu'on mette de l'argent dans les aides aux agriculteurs plutôt que d'aller au salon rencontrer François Bayrou qui va nous dire : 'Oh, elle est belle votre vache' et puis c'est tout."

Fabienne Castetbieilh, éleveuse

à franceinfo

Lors de sa longue déambulation dans le Salon, le Premier ministre s'est en effet félicité d'un "grand apaisement" dans les relations entre le gouvernement et les agriculteurs. "Chez moi, on a la race béarnaise que nous avons réussi à sauver", a-t-il également affirmé, comme le rapporte La République des Pyrénées. Une petite phrase qui n'a pas vraiment plu à Fabienne Castetbieilh : "Si on a sauvé la vache béarnaise, ce sont les éleveurs qui l'ont sauvée. Ce n'est pas grâce à François Bayrou."

Les vaches béarnaises ne sont pas les seules que le Premier ministre n'aura pas pu admirer lors de ses douze heures de visite au parc des expositions de la porte de Versailles. Les vaches vosgiennes sont également restées à l'étable cette année. "Ce n'est pas compliqué à comprendre, c'est tout simplement parce que l'on a eu une diminution d'aide d'environ 35 000 euros", pointe Florent Campello, président de l'organisme de sélection.

"C'est bien beau d'aller faire le clown pendant dix jours au Salon de l'agriculture, mais on a des responsabilités."

Florent Campello, éleveur

à franceinfo

Une décision prise "à contrecœur" mais indispensable pour l'éleveur, dont les vaches avaient pourtant remporté plusieurs prix ces dernières années. En 2024, la venue au Salon et la participation aux concours des vaches vosgiennes avaient coûté 70 000 euros à l'organisme de sélection, qui refuse de diminuer ses aides directes ou d'augmenter ses cotisations. "On pourrait penser que l'absence au Salon fait que vous n'existez pas. Mais pour une race locale, est-ce que ne pas exister au niveau parisien est important ? Je n'en sais rien", s'interroge l'éleveur.

"C'était une fierté d'y aller"

Dans les petits villages des Vosges, certains agriculteurs regrettent tout de même de ne plus voir leurs bêtes représentées à Paris. "Personnellement, j'étais prêt à y aller", glisse Lionel Vaxelaire. L'agriculteur, qui élève, transforme et vend directement la viande et le lait de ses vaches, assure que l'événement représentait "une belle publicité" pour sa ferme et ses produits. Surtout quand il gagnait des prix, comme en 2024. "Cela faisait vingt-cinq ans qu'on y allait, c'était une fierté", souffle-t-il.

Après cette année de pause, les vaches blanches et noires seront-elles de retour à Paris en 2026 ? Le débat est lancé dans les pâturages. "On prépare déjà nos animaux, on reviendra", assure Lionel Vaxelaire. La réflexion semble plus incertaine pour Florent Campello. "Est-ce que c'est ma priorité de déplacer les animaux durant de nombreuses heures de route pour une visibilité de dix jours ? Est-ce que c'est normal qu'on parle de l'agriculture uniquement dix jours par an ? Je pense que non", estime l'éleveur. Avant de glisser : "Cette année est une remise en question, et peut-être la naissance d'un nouveau projet."

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