"Vous allez juger des hommes dont vous ne voyez pas le visage" : au procès des attentats de janvier 2015, le port du masque parasite les débats
Dès l'ouverture du procès, mercredi, le président de la cour d'assises spéciale a rappelé l'obligation de porter en permanence un masque. Plusieurs avocats s'en sont émus, inquiets de voir cette mesure nuire à la défense des accusés.
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Des robes noires qui s'agitent, des policiers cagoulés qui font les cent pas, des parties civiles qui se lèvent… La salle d'audience où se déroule le procès des attentats de janvier 2015, depuis le 2 septembre, a des allures de bal masqué. Depuis le décret du 17 juillet, porter un masque est obligatoire dans tous les lieux clos qui accueillent du public, afin de lutter contre l'épidémie de Covid-19 qui sévit toujours en France. Le tribunal judiciaire de Paris n'échappe pas à la règle.
"Tout le monde doit porter un masque en s'exprimant, y compris les accusés lorsqu'ils répondent aux questions", rappelle le président de la cour d'assises, mercredi après-midi. "Vous allez juger des hommes dont vous ne voyez pas le visage. Les règles sanitaires sont contraires aux droits de la défense", rétorque, depuis les bancs de la défense, Beryl Brown, avocate du Belge Michel Catino. "Les avocats vont devoir plaider avec un masque ?" s'inquiète un confrère. "Oui", le président de la cour d'assises spéciale souhaite que les règles soient valables pour tout le monde. Soupirs et agacement chez les avocats.
Déroger [à la règle], c'est aussi exposer tout un chacun au Covid, avec le risque que le procès soit arrêté à cause du non-respect des normes sanitaires.
Régis De Jorna, président de la cour d'assisesà l'audience
"Il serait dommage que la barre, où il y a des projections, soit un cluster", argue Régis De Jorna. Un avis que partage l'urgentiste Patrick Pelloux, ancien collaborateur de Charlie Hebdo, aujourd'hui partie civile au procès. "Personne n'a envie que, dans le box, les accusés transmettent le coronavirus. Il s'agit de mesures sanitaires qui doivent s'imposer à tous. Que dira-t-on demain, si la moitié de la cour se retrouve contaminée en réanimation ?", s'agace-t-il face à quelques journalistes pendant une suspension d'audience.
"Les accusés sont masqués, la justice est masquée"
Comment rendre la justice sans voir le nez et la bouche des protagonistes ? La question a surgi à l'ouverture des débats. Comme une invitée surprise arrivée à la dernière minute. "Ironie de l'histoire, les accusés sont masqués, la justice est masquée", lance la première Isabelle Coutant-Peyre, l'avocate d'Ali Riza Polat, seul accusé présent, jugé pour complicité des actes terroristes perpétrés les 7, 8 et 9 janvier 2015 par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly. Elle vient justement d'ôter le tissu noir qui couvre le bas de son visage, à la demande des parties civiles et de leurs conseils, qui l'entendent mal. "Je ne sais pas quelle trace cela donnera dans cinquante ans, dans une autre période de l'humanité", complète-t-elle de sa voix rocailleuse. La règle devient alors tacite : au micro, chaque avocat s'exprime à visage découvert.
Le président de la cour d'assises promet d'en référer à sa hiérarchie, laquelle prendra contact avec le bâtonnier de Paris. La réponse intervient jeudi matin. "Le premier président de la cour d'appel et le bâtonnier de l'ordre des avocats sont parvenus à un consensus après des discussions tardives", expose Régis De Jorna, à la reprise de l'audience. La règle retenue est la suivante : quand un avocat s'exprime, ou plaide, il peut ôter son masque. "Il devra parler devant un micro", précise le président.
De la même façon, un accusé peut enlever son masque quand il répond aux questions. "S'il le souhaite", insiste Régis de Jorna. "Celles et ceux qui ne s'expriment pas doivent porter le masque", édicte-t-il. Avant de préciser que la cour et le ministère public doivent, eux, se masquer "en toutes circonstances". "Le ministère public n'a pas été associé à ces conversations nocturnes. Il faudra respecter à la lettre cet avis et ne pas aller au-delà", intervient l'avocat général Jean-Michel Bourles.
L'ARS d'Ile-de-France saisie, son avis attendu
Une voix s'élève du côté de la défense. "Moi aussi, le masque me gêne, mais j'aimerais savoir s'il n'y a aucun risque de contamination en parlant de là", alerte Christian Saint-Palais, avocat d'Amar Ramdani, en désignant les bancs autour de lui. Son masque chirurgical glisse, il tente de le réajuster. "On enlève le masque au seul moment où la contamination est possible", via des "postillons", pointe-t-il.
Si un seul de nous est contaminé, le procès sera suspendu. Et nous n'accepterons pas que la détention provisoire perdure, car jamais elle ne peut aller au-delà de cinq ans et demi.
Christian Saint-Palais, avocat d'Amir Ramdanià l'audience
Le ténor du barreau à l'accent chantant réclame un "avis éclairé" sur la question. Il estime que le compromis trouvé entre le premier président de la cour d'appel et le bâtonnier de Paris est rapide, sans expertise médicale. "Une petite discussion mondaine", raille Christian Saint-Palais. Il s'inquiète des "plus vulnérables", des "plus âgés" et des accusés.
"J'ai saisi l'ARS", annonce justement le président de la cour d'assises. "Ah, je ne le savais pas", répond l'avocat. "L'accord convenu n'est qu'une possibilité et non une obligation. Toute personne qui le veut peut s'exprimer avec un masque", insiste Régis De Jorna. L'avis de l'agence régionale de santé d'Ile-de-France est attendu "rapidement", promet-il. En attendant, jeudi, à l'exception de trois accusés, Mohamed Fares, Saïd Makhlouf et Miguel Martinez, tous ont préféré tomber le masque, y compris les témoins, pour parler à la cour.
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