"Je ne vais pas payer sa soupe alors qu'elle ne savait pas me donner une tartine" : victimes de leurs parents maltraitants, la loi les contraints à les aider financièrement

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Article rédigé par France 2 - F. Bouquillat, J. Pelletier, D. Aysun. Édité par l'agence 6Medias
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C'est une loi qui part d'un principe de solidarité familiale assez évident, mais qui, pour certains, tourne à l'injustice. L'obligation alimentaire impose aux enfants d'aider leurs parents dans le besoin : mais que faire quand ses parents ont été violents ou maltraitants ? Nous avons recueilli le témoignage de Karen et ses sœurs, qui refusent de payer leur mère.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder dans son intégralité.


Quand elle revient dans le quartier de son enfance, à Lens (Pas-de-Calais), les souvenirs du passé douloureux de Karen se ravivent. Et elle ne comprend pas pourquoi elle doit payer pour les déboires de sa mère maltraitante, aujourd'hui sans ressources. "C'est inhumain de me demander une chose pareille, parce que j'estime que désormais, je devrais être tranquille vis-à-vis de ma mère", confie-t-elle.

Mais une loi de 1805 l'y contraint. C'est ce qu'on appelle l'obligation alimentaire. Le conseil départemental du Pas-de-Calais réclame donc cette participation financière. Il enjoint Karen et ses deux sœurs de payer solidairement 420 euros par mois. Elle refuse, par principe : "Je mangeais à la cantine, donc j'avais au moins un repas par jour, heureusement. Mais je ne vais certainement pas payer sa soupe alors qu'elle ne savait pas me donner une tartine. Vous savez qu'une fois, je me suis levée dans la nuit pour voler du pain. J'ai attendu de l'entendre ronfler pour aller voler du pain, mais elle a été plus maligne que moi. Elle avait compté les tartines. Je me suis pris une belle branlée le lendemain matin. Donc, c'étaient souvent des coups, mais sans marques. Je n'avais pas vraiment de bleu sur moi. Je n'étais pas une enfant battue, j'étais une enfant violentée", raconte Karen.

"J'ai été placée pour violence de la mère ainsi que tous mes frères et sœurs", poursuit-elle. Les frères ont été placés en foyer d'accueil plus longtemps qu'elles, trois ans. C'est pourquoi la loi les exonère de l'obligation alimentaire. Le plus dur pour ces sœurs : justifier auprès de l'administration qu'elles ont été maltraitées. "En fait, c'est compliqué parce que là, on nous force la main, on nous force à parler, à expliquer, mais pour nous, ils ne se rendent pas compte que ce sont des grosses décharges émotionnelles, en fait. Ce sont des traumatismes profonds. Moi, je passe ma vie à faire des cauchemars. Encore maintenant, je suis soignée pour mes cauchemars. Et ma mère, elle me hantera toute ma vie", déplore-t-elle, très émue.

Aujourd'hui, elle risque d'être convoquée par le juge aux affaires familiales, qui pourrait les condamner à payer encore plus. Mais elles sont décidées à se battre.

Un sénateur veut inverser les choses

Certains départements sont plus compréhensifs que d'autres. Dans les Alpes-Maritimes, Béatrice a été exonérée pendant cinq ans de cette obligation alimentaire envers son père, décédé entre-temps. Pour convaincre, elle a dû fouiller son passé et demander à ses voisins de l'époque de témoigner par écrit de son enfance abîmée. "Je soussigné, atteste avoir recueilli chez moi Mademoiselle Béatrice B., alors qu'elle avait environ 10 ans. Nous étions voisins. Elle était en état de choc, pleurait et répétait que son père voulait tuer sa mère", lit-elle. "Quand vous le contestez, vous êtes considérée comme la mauvaise fille, forcément. Parce qu'on m'a dit : mais quand même, il s'est occupé de toi. Les insultes et les coups, je ne suis pas sûre que ce soit une vraie éducation", souligne Béatrice.

Pour éviter ces situations traumatisantes, un sénateur propose une loi pour inverser les choses. Dans les cas litigieux, si le parent veut bénéficier de l'obligation alimentaire, c'est lui qui devra prouver qu'il n'a pas été maltraitant.

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