Aide à mourir : comment le gouvernement entend faire évoluer la proposition de loi pour qu'elle soit adoptée à l'Assemblée

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
La ministre de la Santé, Catherine Vautrin, participe aux discussions sur la fin de vie à l'Assemblée nationale, à Paris, le 12 mai 2025. (LUDOVIC MARIN / AFP)
La ministre de la Santé, Catherine Vautrin, participe aux discussions sur la fin de vie à l'Assemblée nationale, à Paris, le 12 mai 2025. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Favorable au texte, la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, défend néanmoins la nécessité d'en restreindre certains contours. Elle vise un "point d'équilibre" qui garantirait l'adhésion d'une majorité de députés.

La proposition de loi sur l'aide à mourir sera-t-elle soutenue par une majorité de députés ? L'Assemblée nationale se plonge, samedi 17 mai, dans les débats sur la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Ce texte, nettement plus clivant que celui sur les soins palliatifs et d'accompagnement, dont l'examen s'est achevé vendredi soir, est soutenu par la ministre de la Santé, Catherine Vautrin. Mais celle-ci entend le faire modifier par le biais de plusieurs amendements, car selon elle, sa rédaction actuelle n'atteint pas "le point d'équilibre" permettant de concilier "les attentes des uns" et les craintes ou "les oppositions des autres".

Ce souci d'équilibre, également défendu par le rapporteur général de la proposition de loi, le député MoDem Olivier Falorni, fait écho à l'inquiétude des partisans du texte de le voir rejeté. Une majorité d'élus pourraient en effet s'y opposer s'ils trouvent qu'il ne pose pas de garanties suffisantes face à de potentielles dérives. Voici comment le gouvernement entend limiter ce risque. Et comment les autres forces politiques veulent faire bouger les lignes.

1 Mieux définir les conditions d'accès à l'aide à mourir

A ce stade, une personne ne pourra bénéficier d'une aide à mourir que si elle répond à cinq critères cumulatifs :

  • Avoir au moins 18 ans
  • Etre française ou installée en France de façon stable et régulière
  • Avoir son pronostic vital engagé par une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale
  • Présenter une souffrance physique ou psychologique insupportable liée à cette affection
  • Etre apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée

"Ces critères sont autant de garanties" qui doivent être à tout prix "sanctuarisées", plaide Catherine Vautrin. La ministre appelle toutefois à en "préciser" une partie, à commencer par la notion floue de "phase avancée". Celle-ci doit être définie dans la loi comme "l'entrée dans un processus irréversible marqué par l'aggravation de l'état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie", propose-t-elle, reprenant une formulation récente de la Haute Autorité de santé.

Au sein des députés de la majorité, et jusque sur les bancs du RN, certains veulent restreindre l'accès à l'aide à mourir aux personnes en phase terminale ou dont le pronostic vital est engagé à court terme. D'autres appellent à écarter les patients dont les souffrances ne sont que d'ordre psychologique. Plus au centre et à gauche, la tendance, au contraire, est à l'assouplissement des conditions : des élus réclament l'inclusion des malades dont le pronostic vital n'est pas directement engagé, des mineurs de plus de 15 ans ou des étrangers en situation irrégulière. Certains plaident aussi pour la possibilité de pratiquer l'aide à mourir sur la base des directives anticipées, pour des patients n'ayant plus la capacité d'exprimer leur volonté.

2 Impliquer davantage de soignants dans la procédure collégiale de décision

La proposition de loi prévoit, en l'état, que la demande d'aide à mourir d'un patient soit examinée par un médecin "dans le cadre d'une procédure collégiale pluriprofessionnelle". L'avis d'un second médecin, spécialiste de la pathologie du malade, serait ainsi requis, tout comme celui d'un auxiliaire médical (infirmier, kiné...) ou d'un aide-soignant. D'autres professionnels pourraient être consultés, de même que la personne de confiance du patient et son éventuel tuteur ou curateur. C'est seulement au terme de cette procédure, d'une durée maximale de quinze jours, que le médecin rendrait, seul, sa décision sur l'éligibilité du demandeur.

"La possibilité d'un troisième avis médical a été évoquée : je suis favorable à un renforcement de cette collégialité", a fait savoir, lundi, Catherine Vautrin. En cas de "doute sérieux sur le discernement de la personne", la ministre propose de faire intervenir un psychiatre ou un neurologue. De nombreux députés réclament aussi d'élargir le cercle des soignants consultés et d'y intégrer systématiquement un psychiatre, un professionnel des soins palliatifs ou encore un spécialiste de la douleur. Sur la forme, des élus de diverses familles politiques proposent de confier la décision finale à l'ensemble du collège, et non au seul médecin saisi par le malade. Certains réclament aussi la tenue de "plusieurs entretiens" entre le demandeur et le médecin, ainsi que l'allongement à trente jours du délai autorisé pour statuer sur la demande.

Au contraire, allant dans le sens d'un allègement du dispositif, des députés de gauche plaident en faveur d'une durée maximale de quatre ou sept jours entre la demande du patient et la réponse du médecin. "Cela permet notamment la prise en compte des personnes en situation d'urgence", exposent-ils. Une partie d'entre eux suggèrent aussi de supprimer l'obligation que le second médecin consulté soit spécialiste de la pathologie, car la difficulté de trouver un tel professionnel disponible pourrait "entraver l'examen de la demande".

3 Imposer au patient un délai de réflexion plus strict

En cas de feu vert du corps médical à sa demande d'aide à mourir, le patient devra respecter "un délai de réflexion d'au moins deux jours" pour confirmer sa volonté, selon le texte soumis à l'examen des députés. "Toutefois, ce délai peut être abrégé à la demande de la personne si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de cette dernière telle qu'elle la conçoit", est-il précisé. Cet ajout permet d'accélérer la procédure, mais laisse peu de place à un éventuel changement d'avis.

Le délai de réflexion "ne doit pas pouvoir être abrégé", plaide la ministre de la Santé, qui entend faire supprimer cette possibilité. Ce laps de temps "a été fixé pour que le patient intègre l'information reçue et consente pleinement à la poursuite de la procédure", défend-elle.

"La décision est suffisamment grave pour qu'un délai de réflexion incompressible soit mis en œuvre."

Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles

dans l'amendement 2649 à la proposition de loi sur l'aide à mourir

Soutenue par des élus de tous bords, cette réécriture est contestée par des députés de gauche, qui souhaitent la réduction, voire la suppression, de tout délai de réflexion. A l'inverse, via divers amendements, des élus de droite et d'extrême droite proposent d'imposer au patient un délai minimal de cinq, quinze, voire cinquante jours pour confirmer sa demande. Ce temps permettrait de tenir compte de "la fluctuation de la volonté du patient" et de mieux prendre en charge les "motivations réversibles ou traitables" de certaines demandes d'aide à mourir, estiment-ils. 

4 Limiter la possibilité de recourir à un soignant pour l'administration de la substance létale

Qui aura la responsabilité de pratiquer le dernier geste ? A l'origine, le projet de loi porté par le gouvernement l'an dernier prévoyait, par défaut, que le demandeur d'une aide à mourir doive s'administrer lui-même le produit létal. La réalisation de l'acte par un tiers n'était rendue possible qu'à une exception : lorsque la personne "n'est pas en mesure physiquement d'y procéder". Ce dispositif de primauté du suicide assisté sur l'euthanasie a depuis été revu pour laisser le libre choix au patient entre une ingestion autonome de la substance et une injection par un médecin ou un infirmier.

Déplorant une rupture dans l'équilibre du texte, le gouvernement entend rétablir la rédaction initiale. "L'auto-administration doit rester la première intention", car "l'aide à mourir demeure un acte personnel" et "le dernier acte doit appartenir à l'individu", affirme Catherine Vautrin. Cette logique est défendue par des élus de diverses sensibilités, qu'ils soient modérément favorables à l'aide à mourir ou franchement hostiles. Pour eux, elle permet de préserver les soignants et de faire reposer la responsabilité du geste sur le patient. Certains jugent même le suicide assisté suffisant, car des dispositifs techniques pourraient permettre à des personnes paralysées de déclencher une injection à partir, par exemple, d'un battement des paupières.

A l'inverse, des élus, majoritairement de gauche, appellent à préserver la "liberté de choix" de la personne. Des membres des groupes insoumis et écologistes proposent par ailleurs de rétablir pour le patient la possibilité, prévue dans le texte de 2024, de faire appel à un proche plutôt qu'à un professionnel de santé pour réaliser le geste létal. Autant de divergences à trancher pour aboutir à une adoption du texte fin mai.

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