Suicide d'Evaëlle en 2019 : pourquoi l'ancienne professeure de français de la collégienne est jugée pour harcèlement
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L'enseignante est renvoyée lundi et mardi devant le tribunal correctionnel de Pontoise. Elle est soupçonnée d'avoir dégradé les "conditions de vie" d'Evaëlle, "notamment en l'humiliant régulièrement devant la classe". La jeune fille de 11 ans s'est pendue en 2019 à son domicile.
Des journaux intimes, une tablette, un agenda, des citations, des dessins, un carnet de correspondance et des pages déchirées. A sa mort, Evaëlle ne laisse pas de mot précis, mais des notes éparpillées. Son père la découvre inerte, pendue avec un foulard, dans sa chambre, à Herblay (Val-d'Oise), le 21 juin 2019, lorsqu'il rentre du travail. Sur son bureau, se trouve une pièce de théâtre contemporain, un ouvrage de dix-neuf pages qui aborde le thème du suicide. Dans ses carnets, la petite fille de 11 ans adresse des déclarations d'amour à ses parents, s'invente un ami imaginaire et liste les personnes qui "l'embêtent" au collège. Elle dit être victime de harcèlement.
Au terme de l'enquête, la juge d'instruction ordonne un procès pour trois personnes pour le harcèlement d'Evaëlle : deux collégiens, devant un tribunal pour enfants, et, fait inédit, son ancienne professeure de français. L'enseignante est jugée par le tribunal correctionnel de Pontoise, lundi 10 et mardi 11 mars, près de six ans après le suicide de la fillette. Pascale B. est soupçonnée d'avoir "harcelé" Evaëlle, "notamment en l'humiliant régulièrement devant la classe", mais aussi et surtout "en organisant des heures de vie de classe portant sur le harcèlement scolaire au cours desquelles elle l'a stigmatisée", selon l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, consultée par franceinfo.
Ces "comportements répétés" ont eu "pour effet une dégradation très importante des conditions de vie de la jeune fille qui s'isolait de plus en plus, était sur la défensive", poursuit la juge d'instruction dans son ordonnance de renvoi.
"Insultes, violences et moqueries" au quotidien
Les faits reprochés, que l'enseignante conteste en intégralité, s'étalent sur six mois : depuis la rentrée d'Evaëlle en sixième au collège Isabelle-Autissier d'Herblay, jusqu'au 18 février 2019, quand les parents décident de changer leur fille d'établissement scolaire. Ce jour-là, ils déposent une plainte pour harcèlement et une enquête est ouverte au commissariat de Cergy.
Devant les policiers, Evaëlle affirme être "victime quotidiennement d'insultes, de violences et de moqueries" de la part de trois élèves. Son père est, lui aussi, entendu : il met en cause le comportement de la professeure de français dès les premiers jours de l'année scolaire. La collégienne a eu la cheville cassée en CM2 et doit éviter de porter un cartable trop lourd. Ses parents préfèrent lui acheter un grand classeur, multimatières et plus léger, au lieu de plusieurs cahiers. Or, Pascale B. refuse ce protocole, selon le père d'Evaëlle.
"L'enfant se perdait dans les feuilles et la mère d'Evaëlle n'a jamais fourni de certificat médical pour justifier d'un allègement de poids", assure, au contraire, l'avocate de la professeure de français mise en examen et sous contrôle judiciaire depuis septembre 2020. "C'est le début des problèmes, non pas avec Evaëlle, mais avec sa mère", pointe auprès de franceinfo Marie Roumiantseva.
L'enseignante "faisait des différences entre les élèves"
Pour tenter de désamorcer la situation, une réunion est organisée avant les vacances de la Toussaint. Son père affirme, dans le cadre de l'enquête ouverte quelques mois avant le suicide de sa fille, avoir rencontré Pascale B. pour lui expliquer des "difficultés" rencontrées par Evaëlle, "notamment sur sa place en fond de classe alors qu'elle portait des lunettes".
Aujourd'hui, la justice reproche à l'enseignante d'avoir isolé la collégienne à une table, ce que la majorité des élèves ont confirmé pendant l'enquête. "Ma cliente a proposé d'attendre le retour des vacances de la Toussaint pour changer de place, ce qu'Evaëlle a accepté", assure l'avocate de la professeure. La situation s'apaise un temps. Mais en fin d'année, Evaëlle tente d'incendier une poutre de sa maison. Ses parents l'interprètent comme une tentative de suicide de leur fille, devenue "difficile au quotidien".
Décrite comme gentille mais dotée d'un "caractère affirmé" par ses proches et les professionnels qui la suivent, Evaëlle est une enfant précoce, malgré des problèmes de concentration. Pendant l'enquête, plusieurs élèves rapportent qu'elle "ne se comportait pas correctement en classe" et confirment en même temps que la professeure de français "faisait des différences entre les élèves et pouvait s'en prendre facilement" à ceux qui étaient "en difficulté".
"La prof disait que mes questions étaient bêtes."
Une collégienneaux enquêteurs
De son côté, l'enseignante, convoquée par la police en mars 2019, déclare qu'Evaëlle "pouvait se mettre à crier facilement, être injurieuse et se sentir mal-aimée". D'après elle, la fillette se plaint d'être embêtée par des garçons, sans donner de précisions.
La direction de l'établissement est informée. Les surveillants sont alertés et le principal du collège demande à ce que les élèves intimidateurs soient vus en entretien selon la méthode dite Pikas, du nom du psychologue qui l'a inventée. Importé de Suède, ce dispositif est fondé sur l'empathie et fait partie du programme de lutte contre le harcèlement scolaire. Obligatoire depuis la rentrée 2023, il ne l'était pas en 2018, quand Evaëlle est entrée en sixième. Dans son cas, l'enquête judiciaire révèle que la méthode n'a été que partiellement appliquée. "On a prétendu mettre en place la méthode Pikas pour aboutir à des sanctions. En réalité, les parents [d'Evaëlle] ont été reçus et il n'y a pas eu de suite. Ils en viennent à porter plainte car ils ne savent plus vers qui se tourner", explique à franceinfo Delphine Meillet, avocate de la famille de la fillette.
Une séance consacrée au harcèlement scolaire qui tourne mal
La situation bascule en février 2019, quand Pascale B. décide d'organiser une heure de vie de classe pour aborder le sujet du harcèlement. Elle demande aux élèves d'exprimer à haute voix leurs reproches à Evaëlle, "contrainte de répondre à leurs questions". Les déclarations de la collégienne suscitent des moqueries, elle est traitée de menteuse. Evaëlle fond en larmes. Pascale B. lui intime d'arrêter de pleurer, "de façon méchante", affirme l'élève, lors d'une nouvelle audition en mars 2019. D'après les récits recueillis par les enquêteurs, plus Evaëlle pleurait, plus l'enseignante s'énervait et la sommait de cesser.
"Cette affaire a mis en lumière les carences de la loi sur le harcèlement scolaire, celles de l'Education nationale pour le traiter et la responsabilité individuelle d'une professeure, forte de ses années d'expérience comme enseignante, incapable de se remettre en question. Aucune loi réprimant spécifiquement le harcèlement scolaire n'existait à cette époque."
Delphine Meillet, avocate des parents d'Evaëlleà franceinfo
Une version que l'enseignante conteste. "Elle a dit aux élèves : 'Vous vous calmez, on va parler de tout ce qui ne va pas', alors qu'ils se disputaient à leur arrivée en classe, après un cours d'EPS. Ils ont ensuite présenté leurs excuses les uns aux autres", assure l'avocate de Pascale B. "Je voulais que les élèves se parlent entre eux. Qu'ils comprennent que ce n'était pas possible de se parler comme ça", a elle-même confié l'enseignante auprès de franceinfo.
"Je pense que ce n'était pas agréable, mais ces moments sont nécessaires pour avancer."
Pascale B.à franceinfo
Après cet épisode, suivi de violences de la part d'un élève, les parents d'Evaëlle refusent qu'elle retourne en cours. Elle change d'établissement, mais reste dans la même ville. Sa scolarité se passe mieux, avec un personnel averti de sa situation. Néanmoins, selon la principale adjointe de son nouveau collège, "des conflits entre camarades pouvaient survenir".
C'est après une altercation avec un garçon qu'Evaëlle met fin à ses jours. D'après les investigations menées, elle avait posé son cartable sur une table de ping-pong qu'il voulait utiliser. Celui-ci a alors jeté les affaires d'Evaëlle, provoquant sa colère. La collégienne, de retour à la maison, raconte cet épisode à sa mère, qui s'en émeut. Evaëlle part se doucher et quelque temps après, son père la découvre inanimée, pendue à un barreau de sa mezzanine.
Une "femme autoritaire", qui "avait l'ascendant sur les élèves"
Le drame ébranle la communauté éducative. En apprenant la mort d'Evaëlle, Pascale B. éprouve de la compassion, affirme-t-elle quelques mois plus tard, en garde à vue. "Toute l'affaire a été un choc énorme pour elle. On ne peut pas rester insensible au décès d'une petite fille de 11 ans", assure son avocate. Agée aujourd'hui de 62 ans, Pascale B. est soumise à une obligation de soins psychologiques et a l'interdiction d'enseigner à des mineurs. "Pourtant, elle adorait son métier. Elle a eu des appréciations excellentes. Aujourd'hui, elle a une nouvelle activité professionnelle, qui n'a strictement rien à voir", précise Marie Roumiantseva, qui assure qu'elle "n'était pas maltraitante".
"C'était une professeure exigeante, dotée d'une sévérité bienveillante."
Marie Roumiantseva, avocate de l'enseignanteà franceinfo
Pourtant, Evaëlle n'était pas la seule à se plaindre de l'enseignante. Dans une lettre adressée à la conseillère principale d'éducation du collège, mentionnée dans l'ordonnance de renvoi, des remarques émanent de plusieurs élèves d'une classe de troisième. Ainsi, au terme de l'enquête, Pascale B. est également renvoyée devant la justice pour le harcèlement de deux autres élèves.
L'enseignante n'a pas conscience "des répercussions de son comportement sur les autres", relève le psychiatre qui l'a expertisée. Cependant, il n'observe pas "de jouissance à la maltraitance" chez elle, "mais plutôt une maladresse". Lors d'un interrogatoire, la professeure admet avoir pu "être trop sévère ou trop cash, voire blessante". Mais elle affirme qu'elle n'a "jamais insulté un élève", ni "été impolie", ou tenu "des propos malveillants".
"Ce qui a été répété pendant ces très longues années, c'est ma responsabilité partielle voire totale dans le décès d'Evaëlle. Et ça, c'est quelque chose que j'ai du mal à définir", se défend aujourd'hui l'enseignante auprès de franceinfo.
"On a eu des moments faciles, des moments moins faciles, mais du harcèlement jamais. Jamais, jamais."
Pascale B.à franceinfo
"C'est une femme autoritaire, tant à l'égard des enfants que des autres professeurs et de l'administration. Elle divisait pour mieux régner et avait l'ascendant sur les élèves", estime, pour sa part, l'avocate des parents d'Evaëlle. "Elle ne s'est jamais remise en question", insiste Delphine Meillet. Ses clients attendent pourtant que sa faute soit reconnue par la justice, pas seulement pour leur fille, mais pour tous les autres élèves victimes de harcèlement. Pascale B. encourt une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
Si vous avez des pensées suicidaires, si vous êtes en détresse ou si vous voulez aider une personne en souffrance, il existe des services d'écoute anonymes et gratuits. Le numéro national 3114 est joignable 24h/24 et 7j/7 et met à disposition des ressources sur son site. L'association Suicide écoute propose un soutien similaire au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont disponibles sur le site du ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles.
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