Lutte contre le narcotrafic : on vous résume l'affaire "Trident", le scandale qui éclabousse l'Office anti-stupéfiants de Marseille

Les bureaux et domiciles de deux policiers de l'Ofast à Nanterre ont été perquisitionnés mardi dans le cadre de cette enquête sur une livraison surveillée de cocaïne.

Article rédigé par Catherine Fournier - avec AFP
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Temps de lecture : 8min
Une conférence de presse de l'Office anti-stupéfiants (Ofast), le 11 février 2020 à Paris. (VINCENT ISORE / MAXPPP)
Une conférence de presse de l'Office anti-stupéfiants (Ofast), le 11 février 2020 à Paris. (VINCENT ISORE / MAXPPP)

Nouveau rebondissement dans l'affaire "Trident". L'Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, a mené, mardi 22 juillet, des perquisitions au siège central de l'Office anti-stupéfiants (Ofast) à Nanterre (Hauts-de-Seine), a appris franceinfo de source proche du dossier, confirmant une information du Parisien.

Sept personnes, dont deux commissaires et trois policiers, ont été mis en examen dans cette information judiciaire portant sur des soupçons de graves dérives autour d'une livraison de cocaïne surveillée à Marseille, en 2023. Franceinfo vous résume ce dossier qui éclabousse le fleuron de la lutte antidrogue dans la cité phocéenne.

Un renseignement anonyme en février 2023

L'affaire démarre il y a plus de deux ans. En février 2023, une enquête est ouverte sur la base d'un renseignement anonyme portant sur une arrivée de cocaïne au port de Marseille, selon le parquet de Paris, qui dirige les investigations depuis que l'affaire a été dépaysée en septembre 2024. La drogue est envoyée par conteneur depuis la Colombie, à destination de la région parisienne. Dans le jargon policier, il s'agit d'une livraison surveillée. Dans le cadre d'une enquête de la Juridiction interrégionale spécialisée de Marseille (JIRS), l'Ofast de Marseille devait surveiller l'arrivée de cette cargaison de 180 à 200 kilos de cocaïne. L'objectif était de ne pas intervenir pour tenter de remonter la filière et suivre la camionnette chargée. Selon Le Monde, cette opération était censée provoquer la chute de Mohamed "Mimo" Djeha, baron de la cité de la Castellane. 

Pour rappel, l'Ofast a été créé en 2020, en remplacement de l'Office central pour la répression du trafic illégal de stupéfiants (Ocrtis), dont la réputation avait été entachée par divers scandales. Il compte 150 inspecteurs, répartis dans 14 antennes en France, qui ont pour mission d'interpeller les principaux narcotrafiquants français. Comme le rappelle France 3 Paca, l'Ofast de Marseille est chargé des plus gros trafics de drogue.

Une enquête sur les dérives d'une livraison surveillée

Toujours selon le parquet de Paris, il s'est avéré que cette livraison a finalement permis l'entrée sur le territoire de près de 400 kg de cocaïne. Face à la différence entre les informations reçues et constatées, l'Ofast de Nanterre s'est désengagé des opérations. Les semaines de surveillance n'ont abouti à aucune interpellation et la cargaison s'est volatilisée dans la nature. Plusieurs acteurs du dossier se sont par ailleurs étonnés de la difficulté avec laquelle ces stupéfiants auraient été écoulés à Marseille, laissant entendre que la surveillance policière était éventée.

L'enquête initiale sur cette livraison est clôturée en janvier 2024. Mais en raison des soupçons qui pèsent sur cette importation, l'IGPN est saisie en interne. Des perquisitions sont effectuées au printemps 2024 dans les locaux de l'antenne marseillaise de l'Ofast. Toujours selon le parquet de Paris, les investigations techniques révèlent des échanges entre des policiers et d'autres personnes. Ils portent sur la cession d'au moins 360 kg de cocaïne, en dehors de tout contrôle hiérarchique, et sur la dissimulation des quantités réelles arrivées sur le territoire.

Une information judiciaire ouverte

En raison de la sensibilité de l'affaire, le parquet de Marseille se dessaisit en septembre 2024 au profit du parquet de Paris. Les investigations sont confiées à la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco). Deux mois plus tard, une information judiciaire est ouverte pour de nombreux chefs de poursuite : importation et trafic de stupéfiants en bande organisée, blanchiment, corruption, révélation d'informations sur une enquête, participation à une association de malfaiteurs…

En février 2025, deux premières personnes, des indics selon Le Parisien, sont mises en examen et placées en détention provisoire.

Cinq policiers mis en examen

En avril, deux policiers de l'Ofast de Marseille sont mis en examen et placés en détention provisoire, notamment pour importation et trafic de stupéfiants en bande organisée, blanchiment, association de malfaiteurs et faux en écriture publique. En juin, un troisième collègue, un capitaine de l'Ofast âgé de 45 ans, est à son tour mis en examen pour ces mêmes faits et placé, lui, sous contrôle judiciaire. Suspendu de ses fonctions, il a obligation de résider en région parisienne et interdiction d'entrer en contact avec les protagonistes du dossier, a précisé à l'AFP son avocat, Pascal Luongo. "La décision de laisser en liberté mon client s'avère juste et ouvre désormais le temps de l'analyse méthodique de la validation par la chaîne hiérarchique de ce fiasco judiciaire et policier", a-t-il ajouté.

Justement, du côté de la hiérarchie, les mises en cause ne tardent pas à tomber. Fin juin, deux hauts gradés, la cheffe de l'Ofast marseillais et son adjoint, sont placés en garde à vue à l'IGPN puis mis en examen pour complicité. Placés sous contrôle judiciaire, ils ont interdiction d'exercer des fonctions et missions de police judiciaire. La commissaire "conteste vigoureusement toute infraction pénale de sa part et défendra son honneur et sa probité en dépit des tentatives d'instrumentalisation de ce dossier", a affirmé auprès des médias son avocat, Louis Cailliez. Selon lui, la garde à vue de sa cliente a justement "permis de lever les doutes sur l'absence de connaissance (et donc de validation) hiérarchique du déroulement réel du dossier Trident". Quant à l'avocate de l'adjoint, Vanessa Bousardo, elle a assuré que "ce fonctionnaire intègre, qui ne s'est jamais départi de sa probité, contest[ait] catégoriquement les faits qui lui sont lui imputés".

Un contexte de corruption supposée

Ce n'est pas la première fois que des hauts gradés de la police sont mis en cause pour de potentielles dérives en lien avec des dossiers de stupéfiants. Entendu sous serment en mars 2024 par la commission d'enquête parlementaire sur le narcotrafic, le procureur de Marseille, Nicolas Bessone, a dénoncé un phénomène de "corruption de basse intensité sévissant notamment dans certaines institutions régaliennes, comme la police et la justice".

En avril, le tribunal correctionnel de Paris a condamné Christophe D., policier de l'Ofast, à un an de prison avec sursis pour avoir transmis des "informations confidentielles" sur un narcotrafiquant en fuite à Dubaï à un proche de ce dernier. Le prévenu avait nié les faits pendant son procès, expliquant qu'il avait juste cherché à recruter "une source".

François Thierry, ancien patron de l'Ocrtis, l'ancêtre de l'Ofast, a pour sa part été acquitté en septembre à Lyon après avoir été mis en cause pour avoir organisé le placement en garde à vue en 2012 de son informateur, un gros trafiquant de drogue, Sofiane Hambli, dans le seul but de l'extraire de prison pour qu'il gère une livraison surveillée. François Thierry doit encore être jugé à Bordeaux pour "complicité de trafic de drogues", dans un dossier connexe, toujours en lien avec Sofiane Hambli.

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