Reportage "Ça va être un problème de santé publique" : les techniques de chasse se multiplient contre les moustiques tigres

Alors que le moustique tigre est désormais présent sur 84 % du territoire français, les maladies tropicales augmentent même dans des territoires auparavant épargnés.

Article rédigé par Nicolas Joly
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Des moustiques mâles stérilisés sont lâchés dans la nature pour que l'espèce ne puisse plus se reproduire. (NICOLAS JOLY / RADIO FRANCE)
Des moustiques mâles stérilisés sont lâchés dans la nature pour que l'espèce ne puisse plus se reproduire. (NICOLAS JOLY / RADIO FRANCE)

Un bruit entêtant dans les oreilles et des piqûres qui démangent plus que la moyenne : le moustique tigre gâche de plus en plus l'été des Français. Le réchauffement climatique accélère sa prolifération et il peut transmettre des maladies tropicales comme la dengue, le virus Zika ou le chikungunya, s’il pique une personne qui a été infectée lors d’un voyage à l’étranger.

Le chikungunya est la maladie qui se développe le plus avec plus de 228 cas autochtones depuis le début de l'année en France métropolitaine. Près de trente cas ont été recensés la dernière semaine d'août rien que dans un quartier de Bergerac, dans la Dordogne. Et c'est une première en région Nouvelle-Aquitaine.

La crainte de la maladie

Habitante de Bergerac, Claudine craint plus que jamais de se faire piquer, car elle se rappelle l'état de son fils et de sa petite-fille lorsqu'ils ont contracté la dengue. "Ça avait été sérieux, assure-t-elle. Surtout ma petite-fille qui était vraiment chahutée avec cette fièvre. Puis, elle avait la nausée aussi un petit peu. Mon fils, c'était pareil, il avait de la fièvre aussi."

L'ARS de la Nouvelle-Aquitaine a lancé une opération de démoustication, après la détection d'une trentaine de cas à Bergerac. (NICOLAS JOLY / RADIO FRANCE)
L'ARS de la Nouvelle-Aquitaine a lancé une opération de démoustication, après la détection d'une trentaine de cas à Bergerac. (NICOLAS JOLY / RADIO FRANCE)

Alors quand des opérations de "démoustication" ont commencé dans le quartier des Costes, la retraitée a été plutôt soulagée de voir des hommes en combinaison pulvériser de l'insecticide. Leurs machines ont beau être très bruyantes, le sommeil de Claudine n'a pas été perturbé. "Je n'ai rien entendu, s'étonne la riveraine. La chienne n'a même pas aboyé, ils ont été très discrets."

Pulvériser de l'insecticide dans les rues

Aux commandes de ces opérations : l'entreprise Altopictus. Avant d'entrer en action, les équipes font du porte-à-porte pour prévenir les habitants et leur donner des consignes. Mathilde les a reçues la semaine dernière. "Il y a eu tout un protocole où il faut rentrer les animaux, fermer les fenêtres et les portes, rentrer toutes les choses qui sont dehors jusqu'au lendemain matin", relate-t-elle. Il faut également veiller à ne pas manger les fruits et légumes de son potager pendant trois jours."Après, on reprend notre vie normale !"

La première démoustication dans le quartier n’a pas fait disparaître le parasite. Mathilde reconnaît que la population a "un petit peu" diminué mais a quand même aperçu des moustiques après. Les équipes de lutte contre le moustique tigre sont toutefois revenues pour une deuxième opération dans son quartier afin d'opérer dans les propriétés. "Ils étaient passés dans les rues et là ils vont vraiment pulvériser dans les jardins", ajoute Mathilde.

La machine utilisée pour pulvériser l'insecticide censé anéantir les moustiques tigres. (NICOLAS JOLY / RADIO FRANCE)
La machine utilisée pour pulvériser l'insecticide censé anéantir les moustiques tigres. (NICOLAS JOLY / RADIO FRANCE)

Il existe deux méthodes pour diffuser l’insecticide. "Une machine va pulvériser le produit sous forme de microgouttelettes. On va donc circuler depuis la route", explique dans un premier temps Delphine Binet, responsable de l’agence d’Altopictus en Nouvelle-Aquitaine. Pour les zones qui sont moins, voire pas du tout, accessibles par la route, "on va procéder à pied, avec une machine portative, soit sur les zones pédestres ou dans les jardins de particuliers qui nous donnent leur autorisation", précise-t-elle.

Au-delà des insecticides, pour éviter de devenir des "clusters" de maladies tropicales, certaines communes ont recours à des techniques innovantes contre le moustique tigre. Par exemple, déployer des essaims modifiés en laboratoire, comme à Brive-la-Gaillarde. La ville corrézienne est même pionnière en la matière en France hexagonale.

La technique du moustique stérile

Entre les mains de Florian Vernichon, une boîte en bois contenant 3 000 moustiques agglutinés, uniquement des mâles stérilisés. Le responsable d’activité terrain pour l’entreprise Terratis doit en ouvrir une cinquantaine ce matin. Une fois la boîte ouverte, il faut souffler un peu sur les insectes pour qu’ils décollent, mais rapidement l’essaim s’envole, sans un bruit.

Des moustiques mâles stérilisés sont lâchés pour réduire la population de moustiques tigres à Brive-la-Gaillarde. (NICOLAS JOLY / RADIO FRANCE)
Des moustiques mâles stérilisés sont lâchés pour réduire la population de moustiques tigres à Brive-la-Gaillarde. (NICOLAS JOLY / RADIO FRANCE)

Florian Vernichon détaille le processus derrière ce lâchage de moustiques modifiés : "Comme les femelles ne s'accouplent qu'une fois, s'ils s'accouplent avec au bon moment ils vont les stériliser, puisqu'ils ont été eux-mêmes stérilisés au laboratoire". 400 000 moustiques tigres sont lâchés à Brive-la-Gaillarde chaque semaine, notamment près des cimetières.

C'est l'un des endroits où les moustiques prolifèrent, or "il y a des tombes qui sont des domaines privés et lorsqu'il y a de l'eau, on n'a pas le droit, en tant que collectivité, d'agir sur les tombes", indique Marie Findeling, élue en charge de la salubrité et de la santé pour la mairie. Elle veut éviter que la ville ne devienne un foyer de maladies tropicales. "On a eu deux fois des cas importés, poursuit-elle. Dans ce cas-là, c'est l'ARS qui a la main pour faire les traitements."

"Pour l'instant, on est encore épargnés par les cas autochtones"

Marie Findeling, conseillère déléguée à la mairie de Brive

à franceinfo

La municipalité fait donc tout son possible pour éviter le développement de cas autochtones. Marie Findeling est bien consciente de la menace : "On se rend compte qu'il y en a de plus en plus en France et que ça va être un problème de santé publique. On commence à avoir des cas. Il y en a eu en Dordogne, à côté". Selon elle, "il faut vraiment que les médecins aussi soient sensibilisés".

"On ne peut pas mettre le nez dehors"

La technique de l’insecte stérile est censée réduire le nombre de moustiques tigres de 60 % la première année et de 90 % la deuxième. Michel regarde les techniciens s’affairer dans sa rue, avec quelques doutes. "Ils sont passés mais ça n'a pas fait grand-chose", constate-t-il. Un véritable calvaire pour le retraité et sa compagne.

"Rien n'y fait. Ma femme est assez fragile, elle est piquée de partout."

Michel, habitant de Brive

à franceinfo

Les insectes ont infesté son quotidien. "On ne peut pas mettre le nez dehors, se désespère Michel. Même manger dehors, rien. C'est incroyable. Même à l'intérieur, ils arrivent à rentrer. Vous avez un verre d'eau sur la table par exemple, ça les attire". Le Briviste assure avoir acheté des produits contre les moustiques qui fonctionnent un peu. "On dépense du pognon !", s'agace-t-il tout de même. Le plus efficace selon lui : le ventilateur, même dehors. "Ils ont horreur des courants d'air, ils n'y vont pas."

Malgré ces mesures, ville de Brive ne mise pas tout sur la technique de l’insecte stérile. Des équipes d’agents municipaux font aussi le tour des maisons pour expliquer les bons gestes aux habitants. Leur nom : les brigades du tigre.

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