Cinq ans après le Covid-19, Mon Soutien psy a "changé le rapport à la santé mentale" sans convaincre les professionnels
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Ce dispositif prend en partie en charge des séances chez des psychologues pour les personnes atteintes de troubles "légers à modérés". S'il est encore critiqué par de nombreux praticiens malgré de récentes évolutions, les patients saluent pour leur part une aide financière bienvenue.
Depuis la fin de la crise sanitaire, la vie des deux filles de Bruno n'est plus la même. Après un confinement passé sous le soleil des Bouches-du-Rhône, à marcher et faire du vélo loin de la foule, les deux adolescentes ont éprouvé des difficultés à remettre les pieds en classe. "La situation les a désocialisées, elles n'avaient plus aucun contact avec les autres", raconte cet agriculteur de 63 ans. Sa fille aînée a développé une phobie scolaire nécessitant une prise en charge dans un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), un établissement public qui offre un suivi psychiatrique et psychologique gratuit pour les enfants et les adolescents. Par la suite, elle a été orientée vers une psychologue libérale.
Cinq ans après, elle consulte toujours sa thérapeute une fois par mois, "voire deux selon ses besoins", précise son père. Sa petite sœur est également suivie, à raison de deux séances mensuelles. Au total, cela représente un budget d'environ 2 000 euros par an. Toutefois, depuis juin 2024, la famille bénéficie du dispositif Mon Soutien psy, grâce auquel 12 séances par personne et par an sont prises en charge par la Sécurité sociale. De quoi couvrir 1 200 euros chaque année pour Bruno, et permettre au père de famille de "respirer financièrement" : "Pour les séances en plus, on les paie de notre poche, quitte à faire des sacrifices."
"Près de 551 000 patients" en ont bénéficié
La crise sanitaire a mis au jour d'immenses besoins en santé mentale. Au début de l'automne 2021, entre deux confinements, Emmanuel Macron avait annoncé la mise en place d'un forfait de huit consultations (remboursées à hauteur de 40 euros pour la première puis 30 euros pour les autres) chez un psychologue, renouvelable "si la prescription médicale le propose", pour toutes les personnes âgées de plus de 3 ans. Jugée insuffisante par la profession, la mesure a évolué à plusieurs reprises. Dans sa forme actuelle, il prend en charge 12 séances par an pour un montant de 50 euros chacune (dont 60% sont financés par l'Assurance-maladie et le reste par la mutuelle) chez une liste de praticiens validés par la Sécurité sociale, tandis que la prescription médicale n'est plus nécessaire.
Malgré ces changements, beaucoup de professionnels refusent de faire partie du dispositif. Au 1er janvier 2023, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) dénombrait 88 647 psychologues, dont 32 715 exerçant en libéral. "Près de 5 000" ont accepté d'être conventionnés en 2024, contre 2 514 l'année précédente, a précisé de son côté l'Assurance-maladie à franceinfo. L'organisme avance que "près de 551 000 patients" ont bénéficié du dispositif, ajoutant que 11% d'entre eux sont titulaires de la complémentaire santé solidaire (CSS, ex-couverture maladie universelle, CMU). Le coût total s'élevait à 69,1 millions d'euros en 2024.
Karel souhaitait avoir recours à ce dispositif. Secrétaire dans une petite entreprise du Gard, elle souffre de troubles anxieux depuis que la société est en difficulté financière, au point d'être restée plusieurs mois sans salaire. "J'ai appelé tous les psychologues de l'annuaire de la Sécu autour de chez moi, mais aucun n'est disponible", regrette la mère de famille, qui s'est finalement tournée vers une psychologue non conventionnée.
"Quand vous n'êtes pas payée, donner 130 euros par mois à une psychologue, c'est un sacrifice. J'ai dû reporter certains rendez-vous, faute d'argent."
Karel, patiente d'une psychologue dans le Gardà franceinfo
Marie-Line Connès, assistante sociale dans une association du Béarn des Gaves, partage ce constat, elle qui travaille notamment auprès de personnes âgées, dont la plupart sont issues du monde agricole. "Avec 800 euros de retraite, les personnes que je suis y réfléchissent à deux fois avant de consulter", relève-t-elle. A cela s'ajoute, là encore, la difficulté pour trouver un professionnel : "Il y a plus de 17 000 habitants dans notre commune, mais aucun psy conventionné et la plus proche est overbookée."
Comment expliquer cette désaffection de la profession, dont une partie va jusqu'à appeler au boycott ? Selon Gladys Mondière, qui préside la Fédération française des psychologues et de psychologie, certains spécialistes regrettent que Mon Soutien psy soit réservé aux patients "en souffrance psychique d'intensité légère à modérée", selon une grille d'évaluation publiée par l'Assurance-maladie (PDF). Le dispositif "n'est pas de la thérapie et ne convient pas aux personnes en souffrance. C'est, au mieux, de la prévention", tance Camille Mohoric-Faedi, du collectif Manifeste psy, qui revendique l'adhésion de 9 000 psychologues vent debout contre la mesure.
Annie, 60 ans, est suivie depuis un peu plus de trente ans pour des crises psychotiques. Bénéficiaire de l'allocation adulte handicapé, elle touche 1 016 euros et consacre 100 euros tous les mois à ses séances de psychothérapie. "Je ne comprends pas la motivation du législateur d'écarter les personnes qui en ont le plus besoin", se désole-t-elle. Si elle pouvait bénéficier de Mon Soutien psy, "cela représenterait six mois en moins à payer de [sa] poche".
Les psychologues critiquent également le nombre de séances, à leurs yeux trop limité. C'est "le vrai point faible", affirme Audrey Alegre, psychologue conventionnée à Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne). "Quand un patient vient pour une problématique, c'est bien souvent l'arbre qui cache la forêt et qui peut révéler d'autres psychotraumatismes". Valentin, 23 ans, étudiant ingénieur, partage cette opinion. Après avoir commencé une thérapie au mois d'août pour des symptômes dépressifs, "des problèmes ont été mis au jour, comme l'affirmation et l'estime de soi, qui nécessiteraient un suivi de fond". Pour autant, il n'est pas sûr d'aller plus loin pour l'instant : "J'ai bientôt atteint mon quota de séances et comme la situation qui m'inquiétait a été résolue, j'attendrai peut-être l'an prochain pour poursuivre."
"Le suivi est adapté pour le court terme, pour gérer les moments de crise", témoigne de son côté Simon. Après une lourde dépression et une tentative de suicide, ce fonctionnaire territorial de 38 ans est toujours pris en charge dans un centre médico-psychologique (CMP). Le quota des 12 séances est consommé en seulement "trois ou quatre mois". "Pour les séances de fond, je vois une psychologue une à deux fois par semaine pendant les périodes de rechute et quand ça va, je la vois une fois toutes les deux semaines."
"De l'argent en moins pour le service public"
Autre point de friction : le montant de la séance. "A 50 euros, c'est trop peu au vu de mes charges", lâche Emilie, qui exerce en Seine-et-Marne. "Dans mon secteur, nous sommes tous à 70 euros la séance". La somme fixée pour le dispositif "correspond aux résultats d'une enquête que nous avions menée début 2020", pointe Gladys Mondière. "Mais les tarifs ont augmenté depuis le post-Covid, avec une moyenne située autour de 60 euros, et ils varient beaucoup sur les régions", ajoute-t-elle. Beaucoup demandent à pouvoir pratiquer des dépassements d'honoraires, à l'instar des médecins, sans changer le montant remboursé par la Sécurité sociale, le reste étant pris en charge par les mutuelles ou les patients.
Enfin, d'autres regrettent le choix de l'Etat de ne pas favoriser les CMP et les CMPP. "Quand on investit dans le libéral, c'est de l'argent en moins pour le service public", résume Camille Mohoric-Faedi. Interrogé, le ministère de la Santé reconnaît que "les structures publiques doivent être renforcées", tout en défendant un dispositif qui permet "d'alléger la charge des structures spécialisées en offrant une prise en charge précoce, ce qui est essentiel pour prévenir l'aggravation des troubles psychiques".
Bien qu'imparfait, Mon soutien psy a permis à de nombreux patients "de consulter un psychologue pour la première fois de leur vie", soutient Geoffrey Gissat, psychologue dans un village de l'Aube. "Cela a permis de changer le rapport à la santé mentale et à la psychologie, surtout chez les personnes plus âgées", salue-t-il. Bruno abonde. Le travail entrepris par ses filles lui a permis de considérer autrement cette aide. "Je suis de la génération qui pensait que voir un psy, c'était pour les fous, raconte l'agriculteur. Avec le recul, je me rends compte qu'à un moment donné de ma vie, si j'y avais été, ça m'aurait fait du bien."
Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe des services d'écoute anonymes. La ligne Suicide écoute(Nouvelle fenêtre) est joignable 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé(Nouvelle fenêtre).
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