Grippe aviaire : comment la France surveille la situation et se prépare à une éventuelle épidémie

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
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Temps de lecture : 9min
Des canards dans un élevage à Castelnau-Tursan (Landes), le 1er juillet 2024. (JUSTINE BONNERY / AFP)
Des canards dans un élevage à Castelnau-Tursan (Landes), le 1er juillet 2024. (JUSTINE BONNERY / AFP)

Après la mort d'un homme aux Etats-Unis, franceinfo s'est penché sur la façon dont les scientifiques et les autorités sanitaires travaillent pour suivre la circulation et l'évolution de l'influenza aviaire.

"Une attention très importante." Nicolas Eterradossi, directeur du laboratoire national de référence sur l'influenza aviaire, ne manque pas d'expressions pour qualifier auprès de franceinfo la haute vigilance des autorités sanitaires françaises pour surveiller la circulation et l'évolution de ces virus en France. L'annonce de la mort d'un homme de la grippe aviaire en Louisiane (Etats-Unis), lundi 6 janvier, ne change finalement rien à la situation dans l'Hexagone. La France est placée en risque "élevé" pour l'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) depuis le 9 novembre 2024 après un arrêté ministériel du 30 octobre. Soit le plus haut niveau d'alerte.

Les autorités françaises ne font pas face à une nouvelle menace : elles ont appris à la prévenir, la déceler, l'analyser et la traiter. La France est sur le qui-vive depuis des années, notamment depuis le violent épisode de 2015 et 2016, pointe Jean-Luc Guérin, professeur en pathologie aviaire à l'Ecole nationale vétérinaire de Toulouse. Après cette épizootie qui avait frappé durement les élevages français, un "énorme travail" avait été mené pour améliorer la prévention, avec notamment des mesures sur la mise en place de sas à l'entrée et à la sortie des élevages, sur le renforcement du nettoyage des camions afin d'éviter le transport de virus d'un site à un autre ou sur encore la formation des professionnels, énumère le spécialiste.

Mais ces efforts n'ont pas permis de "contrôler la diffusion" de l'influenza aviaire, comme l'ont montré les vastes contaminations en France en 2021 et 2022, concède Nicolas Eterradossi. En 2022, entre 20 à 25 millions de volailles ont été abattues dans le pays.

Des connaissances très poussées

Si des déboires ne peuvent pas toujours être évités, un cadre préventif a été instauré pour guider la détection. "Il existe des critères d'observation des élevages avec des signes qui doivent déclencher la suspicion de l'influenza aviaire", explique Nicolas Eterradossi, à la tête du laboratoire de Ploufragan-Plouzané-Niort, qui regroupe quelque 30% des effectifs de l'Anses, l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation.

"Tous les vétérinaires, les éleveurs, les techniciens d'élevage ont été formés au fait que si la ponte diminue trop, si la consommation d'aliments diminue trop, si la mortalité dépasse certains seuils, on doit faire des prélèvements pour un diagnostic d'influenza aviaire."

Nicolas Eterradossi, directeur du laboratoire national de référence sur l'influenza aviaire

à franceinfo

Mais les animaux d'élevage ne sont pas les seuls sous surveillance. "Nous regardons très attentivement la faune sauvage parce que c'est par les oiseaux migrateurs que le virus est transféré sur de longues distances", relève Nicolas Eterradossi. Il existe différents couloirs pour les oiseaux migrateurs, dont un qui va de l'Amérique du Nord à l'Amérique du Sud. Il ne fait pas un détour par l'Europe. Toutefois, des zones de chevauchements existent, comme l'a expliqué franceinfo. Il s'agit d'aires de rassemblement de volatiles où certains oiseaux, en escale vers le continent européen, peuvent croiser des animaux porteurs de virus.

"Nous avons avec le temps une très bonne vision de ce qui circule au sein de la vie-faune sauvage. C'est fait en partenariat avec des organismes comme l'Organisme français de la biodiversité, qui va collecter les animaux qui sont trouvés morts dans la nature", expose Nicolas Eterradossi. Les espèces connues pour être des vectrices normales des virus influenza, comme les mouettes et les goélands, font "systématiquement" l'objet d'une recherche influenza aviaire lorsqu'elles sont trouvées mortes dans la nature, poursuit-il. Quand le risque s'élève, d'autres espèces sont surveillées, notamment "lorsque l'on trouve des mortalités groupées, c'est-à-dire plus de trois, quatre ou cinq individus morts au même endroit dans un laps de temps restreint".

Cela permet d'avoir une connaissance exhaustive des virus aviaires circulant en France. "Tous les virus qui sont détectés dans la vie-faune sauvage et dans les élevages arrivent au laboratoire national de référence pour une caractérisation approfondie et une confirmation [ou non] de leur caractère hautement pathogène", souligne Nicolas Eterradossi.

Une politique novatrice et efficace

C'est grâce à cette expérience et ces savoirs accumulés que la France a pu mettre en place la vaccination systématique des canards d'élevages en 2023. Une mesure qui représente la principale "différence récente", selon Jean-Luc Guérin. Si ce choix a été motivé par des choix économiques, c'est-à-dire pour préserver la filière canards en France (parmi les premières au monde), elle a pu être prise car la France se trouve en capacité de le faire.

Pour l'instant, la France fait figure de pionnière et "ce n'est pas toujours la situation la plus confortable pour un pays d'être seul", souligne le spécialiste. Mais les résultats obtenus – plus de 350 foyers en France en 2021-2022 contre seulement une quinzaine début 2025 – inspirent au-delà des frontières françaises.

"Quand on discute avec nos collègues internationaux, la France est considérée comme un bon exemple de stratégie vaccinale."

Jean-Luc Guérin, spécialiste des virus aviaires

à franceinfo

La vaccination des canards, renouvelée à l'automne 2024 en France, a entraîné avec elle une "surveillance extrêmement intense" des canards d'élevage dans le pays, souligne Nicolas Eterradossi. "Ce sont les canards les plus testés et les surveillés de l'histoire", abonde Jean-Luc Guérin. En effet, en raison de leur grande sensibilité aux virus influenza, les canards sont un maillon crucial à scruter. Et l'ensemble des observations effectuées permet d'affirmer à ce stade que les virus IAHP en circulation aux Etats-Unis ne sont pas présents en France pour l'instant. Ces comparaisons sont possibles grâce à une coopération internationale fluide, avec des échanges d'informations transparents, tant avec les pays d'Amérique du Nord, qu'avec les pays européens, saluent les experts interrogés par franceinfo.

En limitant le nombre de cas et la circulation, la vaccination permet d'amoindrir le nombre mutations. Cela réduit ainsi les probabilités d'apparition de versions dangereuses du virus, notamment celles qui pourraient lui permettre de sauter la barrière des espèces, et de se transmettre directement entre mammifères. Or plus de 30 espèces de mammifères ont déjà été infectées par le virus H5N1 ces derniers mois (phoques, loutres, visons, ours, renards, chiens, chats, cochons...), a alerté l'Organisation mondiale de la santé en décembre. Un volet anticipé par les scientifiques français alors que 900 fermes bovines ont été infectées aux Etats-Unis. "Nous avons vérifié que les techniques utilisées en France pour analyser les prélèvements aviaires étaient aussi utilisables pour analyser les prélèvements bovins", argue Nicolas Eterradossi.

Les procédures rôdées et les consignes rappelées 

Si l'attention est élevée du côté des oiseaux sauvages et domestiques, la question de la santé chez l'homme n'est pas en reste. Sur le versant scientifique, "le monde vétérinaire et le monde humain sont des mondes assez étanches. Mais nous avons des congrès qui sont largement partagés entre virologues", commente Guillaume Fournié, vétérinaire et épidémiologiste à l'Institut national de
recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Du côté opérationnel, il se tient "très régulièrement" des réunions avec Santé publique France, l'Anses, le ministère de l'Agriculture ou encore le réseau de laboratoires chargés des analyses, ajoute Nicolas Eterradossi. "Les échanges entre les institutions sont de qualité et nous n'avons n'a pas de problème de coordination", abonde Marie-Anne Rameix-Welti, responsable du Centre national de référence des infections respiratoires à l'Institut Pasteur.

Si le scénario d'une pandémie semble encore "très loin", "on se prépare", ajoute-t-elle. L'idée, pour l'instant, consiste à augmenter la vigilance et la surveillance pour penser à recourir aux tests détectant les virus influenza. Un texte doit notamment être distribué à tous les médecins pour détailler la situation américaine. Les scientifiques s'assurent que les fabricants sont à jour et produisent des tests capables de détecter les virus H5 récents. Dans le même temps, "nous sommes en train de fournir aux établissements de santé de référence les protocoles et les contrôles" pour ces tests, explique encore Marie-Anne Rameix-Welti.

Et si un cas était détecté chez une personne de retour de voyage ? "Pas de problème. On l'isole, et on la traite. Les procédures sont bien rôdées", assure-t-elle, soulignant qu'il en est de même pour un éventuel éleveur malade après avoir en contact avec ses animaux. Dans un contexte caractérisé par "une montée de la pression", Marie-Anne Rameix-Welti rappelle des consignes élémentaires : il ne faut pas ramasser des oiseaux, des mammifères marins ou des animaux morts. Il ne faut pas s'en approcher et prévenir les autorités.

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