"Il faut beaucoup expliquer, convaincre..." : comment la relation entre les médecins et certains patients s'est compliquée depuis la pandémie de Covid-19
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Depuis mars 2020, les médecins ont remarqué que les liens avec une petite partie de leur patientèle se sont distendus, notamment concernant la vaccination. Côté patients, certains s'enorgueillissent de prendre une part plus active dans leurs soins, quitte à aller contre l'avis de leur praticien.
"J'ai fini par croire qu'on ne m'écouterait plus jamais." Depuis qu'elle a contracté le Covid-19, fin décembre 2021, la vie de Sonia a été bouleversée. Quelques semaines après avoir ressenti les premiers symptômes de la maladie, elle se sent anormalement fatiguée, au point de ne pouvoir quitter son lit. Très tôt, son généraliste pense à un burn-out, mais elle est persuadée qu'il se trompe. "Mon médecin ne me croyait pas", se souvient-elle. Au printemps 2022, une consultation "très violente" marque un point de non-retour. "J'étais comme une enfant qui a fait une connerie face à son papa", soupire la trentenaire.
Après deux ans d'errance médicale, Sonia est finalement diagnostiquée d'un Covid long par un spécialiste de cette pathologie. Cet épisode houleux a laissé des traces. La jeune femme, qui n'avait jamais douté de son médecin avant cette altercation, se présente à chaque nouvelle consultation munie d'un classeur dans lequel elle a soigneusement rangé son dossier médical et compilé des articles de revues scientifiques. Sans avoir perdu foi en la médecine, Sonia dit avoir développé une certaine méfiance vis-à-vis du corps médical.
"Le malade entend être maître de sa santé"
Comme elle, de nombreux patients effectuent désormais leurs propres recherches avant de passer la porte d'un cabinet médical. Dans un rapport publié en juin 2021*, l'Académie de médecine relevait que "le malade d'aujourd'hui (...) entend être maître de sa santé, acteur de sa prise en charge, et partie prenante à la décision thérapeutique". Bien que le phénomène ne soit pas nouveau, il a été "amplifié depuis la crise sanitaire", constate Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France, qui salue ces prises d'initiative, bien qu'elles ne soient pas toujours faciles à gérer pour les praticiens. "Il faut beaucoup expliquer, convaincre… Cela prend beaucoup de temps, et malheureusement, tous les médecins n'en ont pas", poursuit-il.
Lorsque la discussion concerne la vaccination, elle peut vite virer au débat politique, voire s'envenimer. Des patients défendent des thèses complotistes ou non validées scientifiquement, qui ont rencontré un grand succès pendant la crise sanitaire. Les soignants ont ainsi vu "émerger des violences à l'égard des médecins et une méfiance délétère à l'égard des vaccins", observe le président du syndicat de médecins libéraux UFML Jérôme Marty, très actif sur les réseaux sociaux. "On a par exemple du mal à vacciner les enfants et les personnes à risques contre la grippe", observe-t-il. Lors de la campagne vaccinale 2023-2024, seules 54% des personnes âgées de plus de 65 ans étaient vaccinées contre la grippe. Concernant le Covid-19, le taux de couverture vaccinale était encore plus faible, puisqu'il se situait à 30,2% sur la même période.
Rares sont les patients à tenir un discours aussi frontal avec leur praticien. "La patientèle est le reflet du médecin. En fait, si les médecins sont pro-vaccins, les patients antivax partent", constate Caroline Di Lorenzo-Kas, généraliste à Bordeaux. Ils choisissent parfois aussi de se faire discrets. Depuis la crise sanitaire, Valérie ne veut plus aborder le sujet avec son médecin, qu'elle continue de consulter pour des problèmes cardiaques, persuadée que ce professionnel obéit à "des consignes" et "ne peut pas parler librement" de la maladie et du vaccin. A l'issue d'un appel à témoignages lancé par franceinfo à l'automne, une dizaine de répondants ont fait état d'une démarche similaire, regrettant "une propagande" de leur médecin au sujet de la vaccination.
Face à cette attitude, les soignants peuvent adopter deux stratégies. La première consiste à pousser le patient dans ses retranchements. "C'est une fracture qui s'opère", estime Nicolas Winter, urgentiste pédiatrique à l'hôpital de Valenciennes (Nord). "Quand je vois des enfants qui ne sont pas à jour de leurs vaccins, je dis aux parents que j'ai le devoir de faire un signalement à la justice."
Une démarche beaucoup plus délicate à adopter pour un pédiatre libéral ou un médecin traitant, contraints parfois à la résignation. "On a tous vu des faux certificats de vaccination", constate, lasse, Brigitte Virey, pédiatre à Dijon (Côte-d'Or) et présidente du Syndicat national des pédiatres français. "Les parents savent très bien contourner les obligations pour la crèche ou l'école. On peut montrer qu'on n'est pas dupes, mais on peut difficilement faire plus."
"Une grande confiance dans leur médecin traitant"
La crise sanitaire a-t-elle pour autant amoindri la confiance que les Français accordent à leur médecin ? Les professionnels contactés par franceinfo ne vont pas jusque-là, d'autant que cette question reste peu documentée. Des chercheurs américains ont néanmoins mis au point un indicateur, l'échelle Wake Forest Physician Trust Scale, pour permet d'évaluer la confiance d'un patient envers son praticien. "En règle générale, ils ont conservé une grande confiance dans leur médecin traitant", explique Thomas Touchard, qui a utilisé cette méthode d'évaluation encore confidentielle en France pour sa thèse de médecine, consacrée aux conséquences de la crise du Covid-19 sur la confiance des patients envers leur généraliste dans le Maine-et-Loire. "J'ai relevé 10 à 15% de patients qui ont adhéré à des théories complotistes ou antivax, souligne-t-il. Mais je pense qu'ils ont tendance à davantage participer à ce genre d'études que les personnes qui n'ont rien à reprocher à leur médecin."
Une conclusion allant dans le sens de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère de la Santé, qui, dans une étude de 2017, estimait à plus de huit sur dix le nombre de Français satisfaits de la qualité des soins dispensés par leurs médecins. Six ans plus tard, 91% ont évalué positivement leur relation avec les professionnels de santé, selon un sondage réalisé par France Assos Santé*, montrant qu'une très large majorité des patients garde confiance en son praticien.
"Les thèses conspirationnistes sont spectaculaires, elles circulent beaucoup sur les réseaux sociaux, mais il faut faire attention à ne pas confondre ce qui se passe sur les réseaux et ce que l'on peut observer sur une population générale. Ces thèses ne retiennent durablement l'attention que d'une minorité, qui représente environ deux à trois Français sur dix", analysait le chercheur Michel Dubois, sociologue au CNRS, auteur d'une étude sur la désinformation pendant la crise sanitaire, auprès du quotidien La Marseillaise en 2022.
"Le complotisme a été mis en avant médiatiquement, avec les idées de Didier Raoult qui ont été largement relayées, mais en moyenne, j'ai trouvé les gens très raisonnables par rapport à la vaccination", avance Yvon Le Flohic, médecin généraliste dans le Morbihan et actif sur le réseau social X. "Dans notre cabinet, nous n'avons pas, ou très peu, été confrontés au complotisme. Le seul exemple que j'ai en tête est le cas d'une patiente très à risque, qui tenait un discours complotiste, et à qui j'ai fortement conseillé de se faire vacciner. Elle est morte du Covid quelques mois plus tard."
* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers un document PDF.
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