Cinq ans de la crise du Covid-19 : masques, confinement... Comment les plus petits ont surmonté les obstacles dans leurs apprentissages

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Un enfant porte un masque, le 24 juillet 2020, à Villa Nueva (Guatemala). (JOHAN ORDONEZ / AFP)
Un enfant porte un masque, le 24 juillet 2020, à Villa Nueva (Guatemala). (JOHAN ORDONEZ / AFP)

En dépit de l'absence de vastes études chiffrées, plusieurs professionnels de la petite enfance interrogés par franceinfo reconnaissent qu'aucun signal n'est à déplorer cinq ans après la période pandémique.

Toute une génération d'enfants "sacrifiée" ? Les "bébés Covid", qui sont nés peu avant ou pendant le plus fort de la pandémie de Covid-19, ont été l'objet de vives inquiétudes. La crise sanitaire des années 2020, 2021 et 2022 a généralisé le port du masque pendant un temps, faisant craindre chez eux des difficultés dans le développement du langage. En effet, c'est dans les premiers mois et les premières années de la vie que les êtres humains l'acquièrent. Pour cela, ils ont notamment besoin de voir comment les adultes placent leur bouche pour former les sons. Pour les enfants un peu plus grands à la même époque, le rythme haché de l'école a pu faire redouter des retards dans l'apprentissage de la lecture, de l'écriture ou du calcul.

Dresser un état des lieux cinq ans après s'avère difficile. Il n'existe aucune étude globale et chiffrée sur le sujet en France, relève auprès de franceinfo Maryse Bonnefoy, coprésidente du Syndicat national des médecins de PMI. "Actuellement, je reçois énormément d'enfants pour lesquels nous avons des suspicions [de troubles] ou un développement qui interroge beaucoup. Mais je ne saurais pas dire si c'est lié à la période Covid", explique-t-elle. Pour cette médecin, cette situation est plutôt liée à une meilleure détection. Une plus grande sensibilisation des professionnels concernés, couplée à la mise en place de plateformes de coordination et d'orientation, permet de "beaucoup mieux repérer les enfants" qui ont besoin d'une prise en charge, que cela soit par un orthophoniste, un psychomotricien ou un ergothérapeute, illustre Maryse Bonnefoy.

"Pas de signaux, même pas de signaux faibles"

Malgré l'absence de données, un bilan de l'impact de la crise sanitaire sur les apprentissages des "bébés Covid" et jeunes enfants de la période peut se dessiner avec prudence. Et il semble plutôt neutre au regard de l'absence d'alerte remontant du terrain. Alors que la Fédération nationale des orthophonistes compte quelque 7 900 adhérents en France, sa présidente, Sarah Degiovani, souligne qu'"il n'y a pas de signaux, même pas de signaux faibles [dans ces âges-là]".

Même constat de la part de Fabienne Kochert, ancienne présidente de l'Association française de pédiatrie ambulatoire (Afpa), qui regroupe 1 500 praticiens faisant des visites de suivi obligatoire de l'enfant. Certains des bébés nés en 2020 ont fait leur entrée en moyenne section d'école maternelle en septembre 2024. Une hausse anormale de retards ou de troubles du langage a-t-elle été signalée chez eux ? "Ce n'est pas quelque chose qui ressort actuellement", assure la pédiatre.

"Il faut relativiser le sujet du masque", pose Sarah Degiovani. Chez eux, les bébés voyaient des adultes qui ne le portaient pas. Les assistantes maternelles qui gardaient des enfants chez elles ne le conservaient pas à leur domicile, souligne-t-elle. De plus, nuance l'orthophoniste, les enfants s'adaptent et l'acquisition du langage passe aussi par l'écoute.

"Même si les enfants doivent voir la bouche pour bien former les lettres, ils travaillent aussi beaucoup à l'oreille. Même en l'absence de visuel, ils peuvent y arriver."

Sarah Degiovani, présidente de la Fédération nationale des orthophonistes

à franceinfo

Sans oublier que des masques transparents et inclusifs ont également été introduits dès l'automne 2020 pour permettre aux personnes sourdes et malentendantes de mieux communiquer, et aux jeunes enfants d'observer le mouvement de la bouche et des lèvres, comme l'avait montré ce sujet de France Télévisions. Ces dispositifs avaient reçu l'appui du gouvernement, notamment de Sophie Cluzel, alors secrétaire d'Etat chargée des Personnes handicapées.

Au-delà de la question du masque, "les enfants, même dans des périodes anxiogènes, développent le langage parce qu'ils baignent dedans et que c'est un développement naturel, qui se fait normalement", poursuit Sarah Degiovani.

Les réels troubles auxquels sont sujettes certaines personnes ne doivent pas être confondus avec des retards ou des difficultés, insiste-t-elle. "Nous savons maintenant que ce que nous appelons 'troubles' sont des troubles neurobiologiques ou du neurodéveloppement. Ils ont une source réelle, scientifique, que l'on trouve dans les neurosciences, dans les IRM", rappelle l'orthophoniste, qui tranche : "Faire porter une responsabilité trop importante à l'environnement psychologique, c'est faire peser sur la famille et l'entourage une culpabilité qui n'est pas de sa responsabilité."

Peu après les confinements, les professeurs et personnes travaillant en maternelle ont bien identifié une génération d'élèves "davantage pleureurs", remarque auprès de franceinfo Guislaine David, porte-parole de la FSU-SNUipp, premier syndicat des enseignants du primaire. "Des collègues me disaient : 'on voit bien que ce sont des enfants Covid parce qu'ils n'ont pas les mêmes attitudes de la vie en collectivité, ils sont plus proches de leurs parents'", se souvient-elle. Mais ces légères différences de comportement ne semblent pas avoir perduré au point de poser problème, d'engendrer des signalements, ou de plomber les apprentissages.

"Pas de décrochage", selon les évaluations de CP

Les enfants scolarisés en maternelle lors de la crise sanitaire, eux, ont connu des fermetures d'école et de multiples perturbations. Toutefois, ces remous ne paraissent pas avoir bousculé ce qu'ils devaient apprendre, si l'on se fie aux évaluations de mi-CP. Ces exercices jaugent les compétences des élèves de cours préparatoire, en janvier, dans deux matières fondamentales : le français ("reconnaître des sons", "écrire des syllabes, des mots", "lire à voix haute") et les mathématiques ("connaître les nombres jusqu'à 39", "calculer en ligne", "résoudre les problèmes").

Les résultats de ces dernières années ne montrent pas de "décrochage", constate Guislaine David. "Il y a eu un rattrapage de façon assez naturelle." Il s'agit, explique-t-elle, d'un mécanisme bien connu et observé. Un enfant hospitalisé pendant plusieurs semaines ou davantage va accumuler un retard qui sera généralement comblé sans trop de peine car, après cette période sans apprentissage scolaire, il va manifester une soif d'apprendre, illustre-t-elle.

Dans le cas spécifique de la classe de CP, la lecture s'apparente à un mécanisme, nécessitant plusieurs briques de compétences, s'activant soudainement. "A partir du moment où les enfants sont dans les apprentissages et présents à l'école, ils emmagasinent un certain nombre de savoirs, sans toujours pouvoir les mobiliser", expose-t-elle. En CP, certains enfants vont savoir lire au bout d'un mois. Pour d'autres, cela va prendre plus de temps, mais une fois le phénomène enclenché, ils vont rattraper les premiers, "parfois très vite", résume Guislaine David.

Les plus précaires ont été les plus affectés

En ce sens, le fait d'avoir gardé les écoles ouvertes autant que possible a pu aider les élèves à rester dans un rythme bénéfique pour, entre autres, leur scolarité. "L'intérêt supérieur de l'enfant" est "d'aller à l'école", avait estimé la Défenseure des droits, Claire Hédon, sur franceinfo, en décembre 2021, malgré le flou pointé dans les protocoles sanitaires. Elle soulignait, entre autres, le fait que l'école à distance avait "créé et renforcé des inégalités", notamment parce que les familles les plus défavorisées ne disposaient pas toujours des équipements informatiques pour suivre les cours à distance.

"Des familles étaient en rupture ou quasi-rupture numérique, à devoir suivre des cours sur un seul téléphone portable avec parfois trois enfants à la maison", appuie Fabienne Kochert. "Ce sont les populations les plus fragiles qui ont été le plus affectées" lors de la crise sanitaire, avec des parents contraints d'aller travailler malgré tout, ajoute-t-elle. Dans le même temps, des foyers plus aisés ont découvert le télétravail avec des parents plus disponibles, complète Sarah Degiovani. Les catégories les plus précaires de la population ont donc été les plus touchées, et sont celles qui ont fourni le plus d'efforts pour combler les écarts dans les apprentissages. Mais, pour en revenir aux plus jeunes, l'orthophoniste relève que "les enfants n'ont pas vécu toute cette période de la même façon que les adultes, et qu'ils sont très résilients".

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