Une épidémie de chikungunya est-elle à craindre en France hexagonale, où les cas de transmission se multiplient ?
Alors qu'une épidémie de ce virus porté par les moustiques fait déjà rage à La Réunion et à Mayotte, 25 cas de malades contaminés dans l'Hexagone ont été recensés cet été, jusque dans la région Grand Est. Du jamais vu à ce stade de la saison.
Une maladie tropicale qui s'installe progressivement sur le continent européen. Pour la première fois, le 2 juillet, un épisode de transmission autochtone du chikungunya était détecté dans la moitié nord de l'Hexagone, dans le Bas-Rhin. Ce qui, avec la précocité et le nombre d'épisodes déjà identifiés en France hexagonale, "confirme le risque important de transmission autochtone", c'est-à-dire de cas de personnes infectées par la maladie sans avoir voyagé dans une zone à risques au préalable, alertait alors Santé publique France (SPF). Une semaine plus tard, 11 nouveaux cas autochtones ont été relevés, portant leur total à 25 depuis le début de la saison, selon le bulletin hebdomadaire publié par l'agence sanitaire, mercredi 9 juillet.
Des contaminations par ce virus, transmis par le moustique, avaient déjà eu lieu dans l'Hexagone, mais jamais aussi tôt dans l'été, souligne Santé publique France. "Une telle précocité dans la saison d'activité du moustique et un nombre aussi élevé d'épisodes n'avaient jamais été observés jusqu'à présent", insiste-t-elle. "On ne s'attendait pas à détecter un cas autochtone dans le Grand Est, explique Anna-Bella Failloux, entomologiste à l'Institut Pasteur. Nous le pressentions pour la Corse et les régions Paca et Auvergne-Rhône-Alpes, car il y en a déjà eu par le passé, mais pas dans cette zone continentale". Le département le plus touché est en effet les Bouches-du-Rhône, où 12 cas autochtones ont été identifiés depuis la mi-juin à Salon-de-Provence et dans deux communes voisines, ce qui en fait "le foyer le plus étendu à ce stade" selon SPF. Mais le risque existe "y compris dans des régions indemnes jusqu'à présent", prévenait l'agence sanitaire le 2 juillet.
Des cas sans doute liés à l'épidémie à La Réunion
Santé publique France pointe le lien avec l'épidémie en cours dans plusieurs territoires de l'océan Indien, dont Mayotte, mais surtout La Réunion, où le virus a fait une vingtaine de morts et contaminé environ 200 000 personnes. Cette dernière "a généré beaucoup plus de cas importés [contaminés à La Réunion mais détectés dans l'Hexagone] que d'habitude", détaille Louis Lambrechts, responsable de l'équipe Interactions virus-insectes à l'Institut Pasteur de Paris, auprès de TF1. On en compte 761 depuis le 1er mai, selon le dernier bulletin de SPF. Bien que les cas autochtones aient été infectés en métropole, la chaîne de transmission vient "forcément [d'un] cas importé" au départ, poursuit le chercheur. C'est d'ailleurs ainsi qu'une précédente vague épidémique, qui a touché La Réunion en 2007, avait déclenché une "mini-épidémie" dans le nord de l'Italie, où plus de 300 cas avaient été identifiés, rappelait début juin Eric d'Ortenzo, épidémiologiste à l'Inserm, sur franceinfo.
Faut-il craindre qu'un tel scénario se produise en France métropolitaine, dix-huit ans plus tard ? "Le risque est réel", prévient Eric d'Ortenzio, d'où la nécessité de "surveiller" la situation et "dire à la population de se protéger", en utilisant des répulsifs, "seul moyen de prévention contre cette maladie", souligne le médecin, ou en limitant la prolifération des moustiques tigres, en évitant les eaux stagnantes par exemple. Pour l'heure, il n'existe pas de traitement spécifique contre le chikungunya, et le vaccin administré en France, Iwchiq, reste perfectible. Le 2 juillet, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) disait avoir recensé "47 cas d'effets indésirables" chez des vaccinés entre le 7 mars et le 2 juin, dont "18 cas graves". Trois morts ont été rapportées, même si le lien avec la vaccination n'est pas formellement établi dans deux de ces cas. De ce fait, depuis le 26 avril, les autorités sanitaires ne recommandent plus la vaccination des personnes de 65 ans et plus, même quand elles présentent des comorbidités.
Sensibiliser les médecins métropolitains au diagnostic
De son côté, Louis Lambrechts estime que la présence de ces cas autochtones sur le territoire métropolitain nécessite de "s'en inquiéter", car plus ils sont nombreux, "plus il y a de risque qu'une autre personne soit infectée par un moustique porteur du virus". En outre, cette maladie tropicale est "d'autant plus difficile à diagnostiquer que les médecins en métropole ne sont pas encore forcément sensibilisés à cette maladie, ce qui retarde le diagnostic".
Un point de vue partagé par Arnaud Bertolotti, professeur au service d'infectiologie et de dermatologie du CHU de La Réunion. "Nous avons tous des idées préconçues sur cette maladie", souligne-t-il. En tant que coordonnateur des études prospectives sur les arboviroses, les maladies transmises par les insectes, il observe une cohorte de patients atteints du chikungunya. "Nous avons observé d'autres symptômes, plus rares, sur des personnes âgées, comme des atteintes pulmonaires ou digestives, souligne-t-il. C'est important que les médecins y soient sensibilisés, car une fois que la maladie est diagnostiquée, des protocoles sont activés pour limiter sa propagation".
Depuis le 1er mai, les autorités sanitaires ont lancé un dispositif de surveillance renforcé, qui implique des investigations épidémiologiques à chaque nouveau cas identifié. Quand il s'agit d'un cas autochtone, des opérations de démoustication sont enclenchées, ainsi qu'une "recherche active des cas (...) pour déterminer l'étendue de la transmission locale et ajuster le périmètre" de la zone à démoustiquer, rappelle SPF. Pour l'heure, "la situation n'est pas inquiétante, mais il faut rester vigilant", tempère Anna-Bella Failloux.
"Notre système de santé est assez performant pour affronter cette pathologie. Nous sommes le seul pays en Europe à détecter les cas de chikungunya, avec très peu de trous dans la raquette."
Anna-Bella Failloux, entomologiste à l'Institut Pasteurà franceinfo
"Il est très possible d’avoir des foyers épidémiques, il paraît moins probable qu’une mèche s’allume et fasse démarrer une épidémie qui devienne incontrôlable", abonde Xavier de Lamballerie, directeur du Centre national de référence des arbovirus, auprès du Parisien. Du moins pour cette année. "Avec le réchauffement climatique, tous les voyants commencent à s'allumer pour dire que le sud de la métropole connaîtra des épidémies de chikungunya dans les années ou les décennies à venir", souligne Arnaud Bertolotti, du CHU de La Réunion. "Les territoires d'outre-mer sont très regardés au niveau de la recherche pour anticiper ce qui pourrait arriver sur le territoire métropolitain".
"Repenser notre habitat" pour lutter contre les moustiques
Les fortes chaleurs de la fin du mois de juin et celles à venir laissent penser que la prolifération du moustique tigre va se poursuivre, amplifiant le risque de contamination. Présent sur 84% du territoire, cet insecte est classé parmi les dix espèces les plus invasives au monde. "Une fois que le moustique tigre est installé, on ne peut plus l'enlever, regrette Anna-Bella Failloux. Il a cette particularité de pondre des œufs qui peuvent survivre des mois, voire des années au sec, car une coque qui les protège et ne peut pas être détruite par des insecticides". C'est pourquoi des entreprises tentent de stériliser les moustiques mâles (seules les femelles piquent et transmettent les virus) ou de remplacer le type de moustique tigre qui inocule le virus par un moustique qui ne peut pas le transmettre.
En parallèle de ces tentatives, "il va falloir repenser notre habitat", souligne Anna-Bella Failloux et "notre façon de végétaliser nos villes, en limitant la prolifération des moustiques". L'entomologiste propose ainsi de préférer certaines plantes "incompatibles avec le moustique tigre" et d'éviter d'installer des terrasses en caillebotis, "qui sont de très bons réservoirs à moustique". "Il faut juste communiquer entre les scientifiques et les personnes du BTP, plaide-t-elle. Mais une chose est sûre, on ne peut pas continuer ce que nous sommes en train de faire".
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