: Enquête Erreurs médicales, procédures bâclées... Les chiffres inquiétants des "check-lists" dans les hôpitaux de l'AP-HP
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Ces listes, censées sécuriser les patients au bloc opératoire, restent mal appliquées : cases vides, procédures ignorées ou bâclées... Une faille inquiétante avec parfois des conséquences graves sur la santé des patients et qui n’épargnent pas les grands hôpitaux parisiens.
À l'image de l'aviation, les blocs opératoires français se sont dotés en 2010 d'une "check-list" : un document de vérification où l'équipe médicale (chirurgiens, anesthésistes, infirmières) croise les informations essentielles avant, pendant et après l'intervention. Identité du patient, côté à opérer, matériel disponible, antécédents… Autant d'étapes qui, correctement respectées, permettraient d'éviter 30 à 50 % des complications et erreurs médicales selon l'Organisation mondiale de la santé. Mais derrière l'outil censé sauver des vies se cache une réalité plus inquiétante. En Île-de-France, près d'un patient sur trois pris en charge dans les hôpitaux de l'AP-HP n'a possiblement pas bénéficié d'une check-list complète.
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Selon un récent rapport confidentiel des Hôpitaux de Paris consulté par Radio France et révélé par le Canard Enchaîné, sur 194 000 interventions pratiquées en 2024 dans la région, une check-list sur trois dysfonctionne. Concrètement, 58 200 patients ne sont pas assurés d'avoir bénéficié d'une sécurité optimale lors de leur passage au bloc opératoire. Et 2 000 interventions n'ont laissé aucune trace de check-list associée. Dans le détail, il existe de grandes disparités d'un établissement à l'autre comme le montre notre infographie.
Si les deux premières phases de la procédure de vérification (en amont de l'intervention et juste avant l'incision) semblent très bien respectées (95%), la dernière phase (après l'intervention) semble délaissée au détriment de la sécurité du patient.
"On coche la check-list, même si elle n'est pas faite"
Confrontée à ces chiffres, l'AP-HP invoque des problèmes de méthodologie et d'outil informatique. "Ces données s'appuient sur des indicateurs issus d'un outil informatique en cours d'automatisation et d'évolution. Il ne couvre pas l'intégralité des activités des blocs opératoires de l'AP-HP, mais constitue une première étape importante". Les Hôpitaux de Paris précisent qu'une check-list est considérée comme incomplète dès lors qu'il manque une réponse à une question ou un signataire de la check-list. "Les écarts constatés entre les établissements ne reflètent pas nécessairement des différences en termes de qualité ou de sécurité de soins", affirme l'AP-HP.
Cette explication est loin de convaincre tous les personnels soignants présents au bloc, et notamment les infirmières de bloc (IBODE) ou anesthésistes (IADE) que nous avons interrogés. Ces témoins de premier plan confient que les check-lists sont parfois mal remplies ou de manière mécanique, en l'absence des chirurgiens et anesthésistes concernés, occupés dans une autre salle d'intervention. Dans certains services, elles sont finalisées après coup, pour répondre aux obligations administratives plutôt que pour garantir une vraie concertation médicale.
Sara*, infirmière très expérimentée en Île-de-France, raconte : "La check-list repose essentiellement sur nous, les infirmières diplômées d'État. Si avant l'opération le patient ne risque rien, c'est parce que l'infirmière de bloc opératoire et l'infirmière anesthésiste ont déjà tout checké en amont. Les médecins se reposent énormément sur nous pour la check-list sans toujours en assumer toutes les responsabilités. On est les garde-fous. Parfois, le chirurgien rentre en salle d'opération et c'est nous qui lui rappelons qu'il faut faire la check-list. Rappeler l'identité du patient, le côté opéré, etc. C'est fait en trois minutes et demie. Ce n'est pas une vraie check-list. On ne fait pas la check-list du point 1 au point 11. On coche même si elle n'est pas faite. Et ça, ce n'est pas dans l'intérêt du patient."
Un rein sain enlevé par erreur
Ce manque de rigueur de la check-list a peut-être eu des conséquences dramatiques, le 23 juillet dernier, dans le service réputé d'urologie de l'hôpital Henri-Mondor, à Créteil. La cellule investigation de Radio France révèle le cas de cet homme de 77 ans qui s'est vu retirer par erreur un rein sain alors que son autre rein était atteint d'une tumeur cancéreuse.
Une "erreur de côté" rarissime mais lourde de conséquences. Selon nos informations, lors de la deuxième étape de la check-list effectuée juste avant l'incision, le patient avait pourtant confirmé son identité et indiqué le côté malade. Malgré cela, l'équipe chirurgicale a procédé à l'ablation du rein opposé. Une mauvaise interprétation du compte rendu du scanner pourrait avoir induit les soignants en erreur. Réopéré en urgence dans un autre établissement de l'AP-HP, le pronostic vital du patient n'est pas engagé, mais il vivra désormais avec les conséquences irréversibles de cette faute médicale. Sa famille a engagé une procédure judiciaire. Interrogé sur cette affaire, l'AP-HP dit ne pas pouvoir s'exprimer au nom du secret médical.
Des "évènements indésirables graves" sous-déclarés
Ce cas récent à l'hôpital Henri-Mondor entre dans la catégorie des "événements indésirables graves associés aux soins" (EIGS). En 2024, la Haute Autorité de Santé a enregistré 4 630 EIGS en France. Leur nombre réel est l'un des autres chiffres noirs des hôpitaux car ils sont notoirement sous-déclarés. L'an dernier, Nicolas Revel, directeur général de l'AP-HP, faisait cet aveu : "En 2023, 180 EIGS ont été déclarés à l'AP-HP, alors qu'au regard de notre activité actuelle, on pourrait potentiellement en déclarer 8 000 par an".
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Philippe Cabarrot, conseiller à la sécurité des soins à la Haute autorité de santé (HAS), a montré dans un article de référence que plus de 90% des événements indésirables graves et parfois mortels sont liés à un dysfonctionnement de la check-list (l'article a été publié dans la revue Risques et qualités en milieu de soins en 2020). Depuis 2010, la HAS a imposé la check-list comme l'un des critères de certification des hôpitaux (une évaluation obligatoire effectuée tous les quatre ans) mais la France n'a pas choisi de l'imposer de manière réglementaire. "Il s'agit de modifier des habitudes que je qualifierais de presque ancestrales dans le fonctionnement du bloc, reconnaît Philippe Cabarrot pour la HAS. Les conséquences peuvent être redoutables, comme une erreur de côté, un oubli de matériel, des erreurs d'identité ou d'autres erreurs plus fréquentes comme le non-repérage d'allergie, des oublis des traitements antibiotiques ou anticoagulants. Certains praticiens doutent encore de l'utilité de la check-list. Il y a la crainte de perdre du temps dans des blocs déjà surchargés, le poids de la hiérarchie, l'absence de formation sur les démarches sécuritaires en médecine. Nous recommandons que chaque équipe adapte cet outil selon leur spécialité, selon l'organisation de leur établissement. C'est un travail qui se fait en emportant la conviction des professionnels."
En l'absence de statistiques nationales, la réalité de la check-list demeure invisible. Chaque hôpital ou clinique doit prouver, pour sa certification, que ses check-lists sont correctement réalisées. Une procédure que certains jugent formelle. Claude Rambaud, vice-présidente de France Asso Santé, a participé en 2010 à la commission de la HAS introduisant la check-list au bloc opératoire. Quinze ans plus tard, elle est très critique sur son application. "Nous avons toujours demandé que la check-list devienne réglementaire, contrairement à l'avis de la Haute Autorité de santé qui a voulu en faire une progression basée sur la culture des professionnels. Mais ça ne marche pas ! Dans les dossiers, lorsqu'on demande que l'on nous fournisse la check-list au bloc opératoire, on s'aperçoit que ce n'est pas fait dans les règles. Des infirmières de bloc nous disent que leurs collègues mettent des petites croix partout. Ce n'est pas fait dans les règles, avec le patient, avec le professionnel anesthésiste."
Et Claude Rambaud ajoute : "Dans les dossiers d'erreurs médicales, on demande toujours la check-list mais le nom du coordonnateur est souvent illisible ou non signé. Cette check-list est reconnue au plan international comme étant un élément majeur de sécurité des patients. Nous pensons qu'il faudrait, comme en sécurité anesthésique, un dispositif qui s'impose de droit et soit opposable pénalement et civilement." L'association France Asso Santé rappelle que le patient ne doit pas hésiter à prendre sa place lors de certaines étapes de la check-list, en énonçant bien à haute voix son identité et l'endroit opéré juste avant l'intervention, par exemple. Obtenir sa check-list, en même temps que le dossier médical, en cas de doute, est désormais possible grâce à une récente décision du Conseil d'Etat, précise l'association.
* prénom modifié
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