Pourquoi les terrasses ne sont-elles pas concernées par l'interdiction de fumer dans les lieux publics ?

La ministre Catherine Vautrin souhaite que la mesure "se concentre sur les lieux où il y a beaucoup d'enfants" pour justifier l'exemption des terrasses. Les associations et les experts dénoncent le poids du lobby du tabac dans cette décision.

Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
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Temps de lecture : 4min
Une personne fume en terrasse, le 5 mars 2020 à Toulouse. (ADRIEN NOWAK / HANS LUCAS / AFP)
Une personne fume en terrasse, le 5 mars 2020 à Toulouse. (ADRIEN NOWAK / HANS LUCAS / AFP)

Les plages, les parcs, les abords des écoles, les équipements sportifs… mais pas les terrasses des bars et restaurants. A partir du 1er juillet 2025, l'interdiction de fumer une cigarette sera étendue à de nombreux lieux publics en France, a annoncé, jeudi 29 mai à Ouest-France et France 2, Catherine Vautrin. "Là où il y a des enfants, le tabac doit disparaître", a martelé la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, qui a justifié son choix d'exempter les terrasses de restaurants et de cafés.

"On se concentre sur les lieux où il y a beaucoup d'enfants. On n'est pas là pour donner des leçons de morale, mais pour faire de la prévention", a ainsi développé la ministre, qui était interrogée sur la mesure et les précédentes déclarations de son collègue Yannick Neuder. Arguant que "le moment de boire un café avec une cigarette fait aussi partie de la vie en général et des moments de répit", le ministre de la Santé plaidait en février sur Sud Radio pour arrêter d'"emmerder les Français" avec ce type d'interdictions.

Une manière d'épargner les cafetiers et les restaurateurs ?

"L'action est concentrée sur les lieux les plus fréquentés par les jeunes enfants, fait aussi savoir l'entourage de la ministre Catherine Vautrin auprès de franceinfo. Il est nécessaire de cibler nos actions pour avoir aussi une bonne adhésion des Français." Dont les restaurateurs et les cafetiers ? Interrogé par le HuffPost, le président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie d'Ile-de-France estime qu'une interdiction en terrasse ferait fuir des consommateurs. "Il y aura aussi des gens qui se mettront debout devant la terrasse pour fumer, ce qui ne réglera pas le problème de la fumée", avance Frank Delvau. Ce serait aussi, selon lui, pénaliser les bars et restaurants "alors que la période est compliquée pour eux", et que les faillites ont augmenté dans le secteur.

Une telle mesure, déjà mise en place en Suède ou sous certaines conditions en Espagne, aurait pourtant l'adhésion du grand public. Selon une étude de l'institut de sondage YouGov réalisée pour le HuffPost, 70% des Français sont favorables à une interdiction des cigarettes en terrasse. En septembre, la Commission européenne a d'ailleurs proposé d'étendre l'interdiction du tabac aux principales zones extérieures ou semi-extérieures, dont les terrasses des restaurants et des bars. Si la recommandation est non contraignante, donc symbolique, elle a relancé le débat autour des terrasses, dont la forme peut varier selon les lieux et les saisons (ouvertes, semi-ouvertes, quasiment fermées).

Le tabagisme passif "particulièrement toxique" en terrasse

"La non-interdiction de la cigarette n'a rien à avoir avec une question de santé publique : cela montre juste l'efficacité du lobby du tabac. Les cigarettiers savent que le nombre de fumeurs va baisser si les gens ne peuvent plus fumer en terrasse", juge Bertrand Dautzenberg, tabacologue à l'institut Arthur-Vernes de Paris et défenseur des politiques anti-tabac. Pour Loïc Josseran, président de l'ACT-Alliance contre le tabac, l'argument du gouvernement de se concentrer sur les lieux peuplés par des enfants est "fallacieux". "C'est un choix politique pour maintenir l'industrie du tabac. S'il y a peu d'enfants sur les terrasses, c'est peut-être parce qu'elles sont organisées pour les fumeurs. S'il y avait moins de fumée, peut-être qu'il y aurait plus d'enfants", suggère ce professeur en santé publique.

Alors que les ventes de tabac ont chuté de plus de 11% en France en 2024, Bertrand Dautzenberg estime que l'interdiction en terrasse relève "d'une question d'image, car dès qu'on voit quelqu'un fumer, cela peut donner envie, et aussi d'une question sanitaire. Il y a plus de chances d'être un fumeur passif en terrasse que dans un parc". 

Santé publique France estime que le tabagisme passif est "particulièrement toxique dans un environnement ouvert, en particulier dans les lieux couverts" et cite l'exemple des terrasses. Selon l'établissement public, "3 000 non-fumeurs meurent prématurément chaque année de maladies provoquées par le tabagisme passif".


Si vous souffrez d'une addiction au tabac, si vous êtes en détresse ou si vous voulez aider une personne qui souffre d'addiction, il existe des services d'écoute anonymes et gratuits. Le numéro Tabac info service est joignable au 39 89 tous les jours de 8 heures à 20 heures. D'autres informations sont disponibles sur le site tabac-info-service.fr, un site de l'agence Santé publique France.

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