Roland-Garros 2025 : "Ils forcent les joueurs à venir lorsqu'ils sont blessés"... Comment expliquer la sortie vindicative de Casper Ruud contre l'ATP

"J'espère que ce n'est rien de trop grave..." C'est un Casper Ruud résigné qui s'est présenté en conférence de presse, mercredi 28 mai, après son élimination dès le deuxième tour contre le Portugais Nuno Borges (2-6, 6-4, 6-1, 6-0). Durant la partie, le Norvégien est apparu touché au genou gauche, se faisant manipuler sur le court pour une douleur qu'il traîne depuis "à peu près deux semaines", après l'avoir ressenti "pour la première fois à Monte-Carlo" début avril.

Malgré cette indisposition, le 8e mondial a décidé de venir à Paris après le Masters 1000 de Rome, non sans avoir fait l'impasse sur le tournoi 250 de Genève. D'une part parce qu'un Grand Chelem se respecte, surtout quand on y a été double finaliste (2022, 2023). D'autre part, du fait des contraintes implicites qu'imposent les règlements de l'ATP selon lui.

"Cela concerne déjà le classement. On sent une obligation de jouer en raison des règles de l'ATP. Sur les événements obligatoires, vous avez le sentiment qu'il y a beaucoup à perdre si vous ne venez pas, en termes de gain financier, de classement et d'opportunités. (...) Ça force les joueurs à venir lorsqu'ils sont blessés, malades. Je ne pense pas que ce soit très juste."

Casper Ruud

en conférence de presse à Roland-Garros

Mais de quelles obligations est-il question ici ? Il faut en différencier deux types. D'abord, le calcul du classement ATP se fait sur la base de 19 tournois, auxquels s'ajoutent le Masters de fin d'année - aussi appelé ATP Finals - pour les joueurs concernés : les quatre Grands Chelems, huit des neufs Masters 1000 (tous sauf Monte-Carlo) et les sept autres meilleurs tournois du joueur en question parmi tous les autres types. En cas d'absence, y compris pour blessure à l'un de ceux là, vous obtenez un zéro pointé. Autrement dit, vous perdez des places au classement.

"Triple sanction" en cas d'absence à un tournoi obligatoire

Mais contractuellement, les joueurs du top 30 sont également tenus de participer à tous les Masters 1000 et aux ATP Finals en cas de qualification. "Sans cette obligation leur garantissant des têtes d'affiches, les partenaires et sponsors des Masters 1000, qui permettent de rémunérer les joueurs, ne mettront plus forcément autant d'argent", éclaire Arnaud Clément, ex-8e mondial désormais consultant pour franceinfo: sport.

Mercredi, Casper Ruud a par ailleurs assuré : "Si vous ne jouez pas aux événements obligatoires, ils réduisent de 25 % vos bonus annuels". Une référence aux pénalités financières infligées aux joueurs du top 30 pour chaque Masters 1000 ou ATP Finals manqué : 25 % pour une absence, 50 % pour deux et ainsi de suite, comme le précise le règlement 2025 de l'ATP en page 14. En revanche, ces sanctions ne s'appliquent pas aux Grands Chelems, comme le rappelle à franceinfo: sport une source au sein de l'ATP, malgré le timing de cette prise de parole du Scandinave. Tandis que des dérogations existent pour les plus vieux joueurs.

"S'ils sont obligés de venir jouer un Masters 1000 de par leur classement, les joueurs doivent s'y présenter, y compris en cas de blessure : il faut être là pour la faire constater dans ce cas", nous détaille Romain Rosenberg, directeur exécutif adjoint de la Professional Tennis Players Association (PTPA), un syndicat de joueurs.

Sur l'année écoulée, une tête de série de Roland-Garros lui a d'ailleurs confié avoir préféré être pénalisé que de se rendre, blessé, à un tournoi obligatoire en Asie. "Il a pris une triple sanction : pas de points, pas de prize-money sur le tournoi en question, et une sanction sur le bonus de fin d'année en Masters 1000", résume le représentant du syndicat avant de questionner : "Les joueurs ont le statut de travailleur indépendant, pourquoi n'ont-ils pas le choix [de s'aligner ou non] ?"

Les exhibitions entre gains inratables et surchage de calendrier

"Je pense que les joueuses sont conscientes que c'est fou ce qui se passe, avançait par ailleurs Iga Swiatek l'été dernier en conférence de presse, faisant le même constat pour le circuit WTA qui obéit à des caractéristiques similiaires. La réalité est que nous avons tellement de tournois obligatoires où nous devons être présentes, que nous n'avons pas le temps de nous améliorer, de réfléchir. Le premier tournoi commence le 29 décembre, la saison est trop longue. Notre sport va dans la mauvaise direction à cause de ces choses."

"Il y a beaucoup de tournois pendant l’année, des tournois obligatoires. Ils vont nous tuer d’une manière ou d’une autre : il y a beaucoup de blessures. A un moment donné, beaucoup de bons joueurs manqueront les tournois parce qu’ils doivent penser à leur corps. Ils ont une famille, ils ont beaucoup d’autres choses dans la vie que le tennis. Ils doivent donc s’en préoccuper aussi."

Carlos Alcaraz

à la Laver Cup en septembre 2024

"On a beaucoup de joueurs qui se plaignent du rythme du circuit mais il n'est pas plus exigeant qu'il y a 10-15 ans, estime de son côté Arnaud Clément. Seulement, chaque semaine où une ouverture est laissée sans compétition, une exhibition prend la place. Elles sont assez bien rémunérées et on voit des joueurs du top 10 y participer quand ils pourraient se reposer". Début avril, avant de ressentir des douleurs en Principauté, Casper Ruud - 34 matchs au compteur cette saison déjà, 77 en 2024 - était justement présent à Nîmes pour le tournoi d'exhibition de l'UTS, organisé dans les Arènes.

"Lors d'une exhibition en Arabie saoudite, un Sinner prend 30 % de son prize-money annuel, il y a peut-être un problème de l'autre côté", rétorque quant à lui Romain Rosenberg, jugeant que les revenus sur le circuit ne sont pas assez élevés en comparaison. Une chose est sûre, Casper Ruud, qui ne sait pas s'il sera rétabli d'ici le début de la saison sur gazon en juin, devrait cette fois avoir du temps pour tenter de guérir : le prochain tournoi obligatoire, a minima pour les points ATP, débute le 30 juin, avec Wimbledon.