Tourisme et climat : "La vraie question est de savoir si ce qu’on retire d'un voyage justifie l’empreinte carbone qui y est associée", pointe François Gemenne
Tous les samedis, franceinfo décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
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Alors que les vacances d’été approchent, le tourisme est souvent pointé du doigt pour son empreinte carbone, notamment parce qu’il est souvent associé à l’avion, et donc au voyage lointain. Entre 2009 et 2019, les émissions de gaz à effet de serre liées au tourisme ont augmenté de 40%. Et depuis 2023-2024, le tourisme est en train de retrouver ses niveaux d'avant la crise Covid - voire de les dépasser, alors que l'année 2024 a par ailleurs été l'année la plus chaude jamais enregistrée à l'échelle mondiale.
franceinfo : Tourisme et le climat sont-ils forcément des adversaires ?
François Gemenne : Le tourisme fait parfois figure de coupable idéal. En fait, quand on regarde les chiffres, l’empreinte carbone du tourisme représente à peu près son poids dans l’économie mondiale, c’est-à-dire un peu moins de 10%. Elle représente autour de 4 gigatonnes de gaz à effet de serre. Mais ce qui concentre les critiques, c’est aussi le fait que le tourisme reste globalement une affaire de nantis : en 2023, il n’y a que 25% des Français qui sont partis en vacances à l’étranger, et 30% ne sont pas partis en vacances du tout. On est donc confrontés à la quadrature du cercle.
"Comment faire en sorte que les vacances soient accessibles à tous, pas seulement en France mais partout dans le monde, sans faire exploser l’empreinte carbone du tourisme ?"
François Gemenneà franceinfo
Il suffit de partir moins loin ?
C’est sûr qu'environ 70% de l’empreinte carbone du tourisme se trouve dans le mode de transport des voyageurs, essentiellement dans l’avion et la voiture. On commence donc à expérimenter d’autres modes de voyage, y compris vers des pays lointains. C’est l’idée de la Croisière verte, une incroyable expédition qui a eu lieu l’an dernier, pour célébrer le centenaire de la Croisière noire d’André Citroën. Celui-ci avait traversé le continent africain, du nord au dud, en voiture. Cent ans plus tard, Eric Vigouroux et son équipe ont également traversé l’Afrique du nord au sud, de Ouarzazate (Maroc) jusqu’au Cap (Afrique du Sud) mais, cette fois-ci, avec des petites Citroën Ami électriques, alimentées à l’énergie solaire. C’est un exploit remarquable, évidemment, mais le problème c’est que ça leur a pris un peu de temps, un peu moins de trois mois.
Et ce n'est pas idéal pour voyager avec des enfants.
Ce n’est pas forcément un problème : pour donner un autre exemple, la journaliste Nassira El Moaddem, qui a des origines marocaines, rentre chaque été au Maroc, avec sa famille. Et depuis 2022, elle a décidé d’y aller en train et en bateau plutôt qu’en avion, de sorte que le voyage est devenu une destination en soi, un ressourcement, et même une forme de rituel initiatique pour ses enfants. Elle publie Et si on rentrait au bled en train, dans la très chic collection des guides de voyage Gallimard, comme une invitation à voyager autrement. Il y a aussi des initiatives qui ne sont pas prises par les visiteurs eux-mêmes, mais par leurs destinations. Ainsi la ville de Copenhague récompense désormais les touristes qui arrivent en train, en leur offrant des avantages, comme des locations de vélos gratuites ou des réductions sur les visites touristiques.
Est-ce que ces initiatives ne restent pas un peu marginales ?
Oui, la grande question, c’est celle du passage à l’échelle. Force est de constater qu'on n’a jamais autant pris l’avion qu’aujourd’hui. Et évidemment, c'est une tendance qui va continuer, avec l’émergence des classes moyennes dans les pays du Sud, qui voudront voyager à leur tour, et on le comprend naturellement.
"Pour faire baisser l’empreinte carbone du tourisme, on peut encourager d’autres types de voyages, des séjours plus longs, d’autres destinations."
François Gemenneà franceinfo
On peut aussi bien sûr faire baisser le prix des billets de train, qui restent trop chers aujourd’hui, surtout comparés à l’avion.
Mais est-ce qu’il faut partir moins loin ?
C’est une question compliquée, qui dépend vraiment des attentes, des moyens et des aspirations de chacun. Pour ceux qui veulent juste passer du temps au soleil sur de superbes plages, avec la hausse des températures, la Bretagne ne sera bientôt plus très différente de la République dominicaine. Et le problème, c’est qu’une semaine à Roscoff risque alors de coûter plus cher qu’une semaine à Punta Cana. Mais pour d’autres, le voyage est une découverte de l’autre, de l’ailleurs, un élargissement des horizons. Pour ceux-là, l’enjeu sera de faire en sorte que leur voyage justifie l’empreinte carbone qui y est associée. La vraie question que pose le changement climatique à nos modes de vie, c’est de savoir ce qui est vraiment important pour nous : qu’est-ce qu’on en retire ? Et est-ce que l’inspiration que nous procure le voyage justifie l’empreinte carbone qui y est associée ? Après tout, si Paris n’était pas la première destination touristique mondiale, est-ce que le modèle de Vélib se serait propagé aussi rapidement ?
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