Océans : entre biodiversité et enjeux climatiques, François Gemenne se penche sur les défis de la conférence de l’ONU à Nice
Tous les samedis, franceinfo décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
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Chalutage en eaux profondes, exploitation minière, éolien... François Gemenne s'intéresse à la grande conférence de l’ONU sur les océans qui se déroule à Nice du 9 au 13 juin 2025. Ce sommet réunira des dirigeants mondiaux, des milliers de délégués, des scientifiques et des représentants d'ONG qui débattront sur les mesures à prendre pour protéger la vie marine.
franceinfo : On a l’impression que c’est surtout un sujet de biodiversité, alors qu’il y a d’énormes implications pour le climat aussi ?
François Gemenne : D’abord, il faut rappeler que les océans c’est ce qu’on appelle des puits de carbone, c’est-à-dire qu’ils vont stocker énormément de dioxyde de carbone. On estime qu’un quart de nos émissions de gaz à effet de serre est absorbé chaque jour par les océans : ceux-ci sont donc, en quelque sorte, de grands régulateurs du climat. Le problème, c’est qu’à force d’absorber de plus en plus de dioxyde de carbone, les océans deviennent de plus en plus acides, ce qui représente une grave menace pour la biodiversité, et particulièrement pour les animaux à coques, comme les coraux ou les moules. Donc le sujet climat devient un sujet biodiversité. Ça, c’est assez connu. Mais il y a d’autres liens qui le sont moins, et qui sont au menu de la conférence.
Chalutage en eaux profondes
Il y a, par exemple, le chalutage en eaux profondes. C’est une technique de pêche qui consiste à laisser traîner dans le fond de l’océan un immense filet, un chalut, qui attrape tout sur son passage. C’est un carnage pour la biodiversité marine, parce que la plupart des espèces qui sont ramassées par le chalut sont ensuite rejetées dans l’océan, parce qu’il ne s’agissait pas des espèces qu’on souhaitait pêcher. Mais le chalut racle aussi les fonds marins, qui sont de grands réservoirs de carbone. Le chalut va soulever le carbone qui est enfoui dans les sédiments océaniques, et qui va se retrouver dans l’atmosphère.
"Résultat : le chalutage en eaux profondes serait responsable de l’émission de 340 millions de tonnes de CO2 par an, c’est-à-dire environ 1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre."
François Gemennesur franceinfo
Et s’il n’est pas encore interdit, c’est évidemment parce qu’il y a d’énormes enjeux industriels derrière tout ça.
L’activiste Claire Nouvian, qui mène depuis longtemps un combat contre cette technique de pêche, a ainsi eu la désagréable surprise, il y a quelques jours, de voir la porte de son appartement taguée et vandalisée. Une enquête est ouverte, mais je pense qu’il ne faudra pas chercher très loin le coupable… On s’est introduit chez elle pour essayer de l’intimider. Il faut quand même qu’on prenne la mesure de la gravité de ça, quoi qu’on pense du sujet lui-même. Ce devrait être l'un des sujets de cette conférence, mais vous voyez les oppositions que cela suscite. Parce que les fonds marins suscitent beaucoup de convoitises.
Exploitation minière
Un autre sujet sera l’exploitation minière des fonds marins, qui est au cœur d’un grand débat. Les fonds marins contiennent des ressources minérales stratégiques, et en particulier des nodules polymétalliques, c’est-à-dire de petites formations rocheuses qui contiennent des métaux comme le nickel, le cobalt, le cuivre ou le manganèse, c’est-à-dire des métaux qui sont très utiles pour les technologies vertes, et donc pour la lutte contre le changement climatique. Et certains estiment qu’aller chercher ces métaux au fond de l’océan permettrait de diversifier les sources d’approvisionnement, et constitueraient une alternative aux mines terrestres, dont l’impact sur la biodiversité est souvent très lourd.
Plusieurs États, et notamment les petits États insulaires qui y voient une source de revenus, plaident pour que des permis d’exploitation soient délivrés par l’Autorité Internationale des Fonds Marins. Mais d’autres, à commencer par la France, y sont farouchement hostiles et plaident pour un moratoire, en plaidant que nos connaissances scientifiques des fonds marins sont encore trop limitées, et que l’exploitation minière de ces fonds pourrait causer des dommages irréversibles à la biodiversité.
"À l’heure actuelle, la viabilité économique de ces projets d’exploitation reste une grande inconnue."
François Gemennesur franceinfo
Et en filigrane, on voit poindre l’opposition entre climat et biodiversité : faut-il sacrifier une partie de la seconde pour protéger le premier ?
Éolien marin
Sur d’autres sujets, on peut imaginer que le climat et la biodiversité soient des alliés. On sait que la France est très en retard sur l’éolien marin, malgré un littoral de plus de 5 000 kilomètres dans l’Hexagone. Jusqu’ici, l’éolien marin avait des effets contrastés sur la biodiversité : les mâts des éoliennes constituaient des récifs artificiels, qui attiraient de nombreuses espèces, et constituaient donc des niches de biodiversité. Par contre, la construction du parc éolien, et notamment le bruit engendré lors du montage des pieux, avait des effets très néfastes.
"La bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui on peut faire de l’éolien flottant, et qu’on ne doit donc plus enfoncer des pieux dans le sol. Et un parc éolien flottant, ça peut donc aussi devenir une réserve de biodiversité, sans les inconvénients de la construction."
François Gemennesur franceinfo
À l’heure où les défenseurs de la biodiversité demandent la création d’aires marines protégées, interdites à la pêche, les promoteurs de l’éolien flottant pourraient constituer des alliés inattendus.
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