Le pape François a proposé "une forme d'écologie intégrale" qui "intègre également ses dimensions humaines et sociales", affirme François Gemenne
Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
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franceinfo : François Gemenne, on a beaucoup dit que Jorge Bergoglio était le premier pape écolo, est-ce que c’est vrai ? Que dit l’Église sur le climat ?
Jolie pirouette pour éviter de citer deux fois le prénom François dans la même phrase, bravo ! En réalité, l’action du pape pour l’écologie s’est inscrite dans les pas de ses prédécesseurs, Jean-Paul II et Benoît XVI notamment. Mais elle s’est démarquée parce que sa pensée a été consignée dans un encyclique en bonne et due forme, Laudato Si, c’est-à-dire "loué sois-tu", en référence à un texte de François d’Assise. Une encyclique, au départ c’est-à-dire une lettre d’un évêque, mais quand cette encyclique vient du pape, c’est évidemment un document de doctrine très important, qui précise la position de l’Eglise sur un sujet d’actualité. Laudato Si, techniquement c’est la seconde encyclique du pape François, mais en fait c’est la première qu’il rédige personnellement – la précédente avait été commencée par Benoît XVI, et François l’avait terminée. Et le texte est publié il y a dix ans, l’année de l’Accord de Paris.
Que dit cette encyclique, précisément ? Si vous deviez la résumer ?
Alors c’est un texte asse long – 246 paragraphes – dont chaque mot, à l’évidence, a été lourdement pesé. On sait que le pape a beaucoup consulté pour cette encyclique, et notamment plusieurs scientifiques. Et c’est d’ailleurs un texte qui s’adresse non seulement aux catholiques, mais à toutes les personnes de bonne volonté, et à tous les habitants de la planète. Et honnêtement, c’est un texte qu’on peut parfaitement lire sans être croyant, et qui se lit d’ailleurs assez facilement, parce que le texte a surtout une portée philosophique. Il invite à considérer les problèmes environnementaux dans leur ensemble – le texte ne parle pas uniquement de climat, mais aborde aussi la biodiversité, l’eau, les ressources, les pollutions, etc. Il propose une forme d’écologie intégrale, qui ne se limite pas aux solutions techniques ou technologiques, mais intègre également ses dimensions humaines et sociales, et aussi bien sûr une dimension spirituelle. Le pape critique virulemment le productivisme et le consumérisme, ce qu’il appelle la "culture du déchet", prône la sobriété comme style de vie. Et il critique aussi notre inertie face aux crises environnementales en cours. C’est un discours qui, il faut le dire, est très proche du discours de nombreux militants écologistes.
Vous vouliez aussi nous parler d’un autre texte, François – Laudate Deum.
C’est un texte qui est moins connu, et qui n’a pas la valeur d’une encyclique – techniquement, c’est une exhortation – mais en réalité c’est un vrai pamphlet politique, qui porte plus spécifiquement sur le climat. Le texte est publié en 2023, à l’approche de la COP28, et là on sent que le pape est exaspéré devant la lenteur des réactions des gouvernements, qu’il exhorte à agir et à sortir des énergies fossiles. Le texte critique aussi très vivement le climato-scepticisme dans les rangs des catholiques, et rappelle que la science est sans équivoque sur le sujet. Et il s’élève contre ce qu’il appelle le paradigme technocratique, c’est-à-dire une confiance trop grande dans les solutions technologiques qui occulterait les changements sociaux et les changements intérieurs nécessaires – on retrouve ici la patte de l’écologie intégrale.
Est-ce que ces textes ont eu une véritable influence ?
C’est toujours difficile à dire, évidemment, et c’est une influence qui se mesure dans le temps long, mais il est quand même frappant de constater que ces deux textes ont été publiés juste avant deux succès majeurs de la coopération internationale : l’Accord de Paris en 2015, et celui de la COP28 en 2023. Faut-il y voir un rapport de causalité ou une simple corrélation ? Je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse, mais il est vraisemblable que certains chefs d’État aient été sensibles aux textes, et ceux-ci ont d’ailleurs été mobilisés par de nombreux militants écologistes. Et d’ailleurs, ces dernières années, les grandes religions – et pas seulement l’Église catholique – ont été de plus en plus mobilisées sur ces questions d’écologie, en soulignant notamment le rôle de la spiritualité. Les grandes religions ont eu un pavillon lors de certaines COP, par exemple, comme les gouvernements ou les organisations internationales.
Est-ce que vous pensez que cet engagement de l’Église pour le climat va se poursuivre ?
Quel que soit le pape choisi, c’est très vraisemblable. Parce qu’il s’inscrit dans une pensée très construite, poursuivie par plusieurs papes, et consignée dans une encyclique. Il n’est pas certain que le prochain pape y consacrera la même attention, mais par contre il est très peu probable qu’il revienne sur la doctrine de Laudato Si, parce qu’il faudrait remettre en question l’enseignement d’un pape, ce qui n’est pas chose aisée quand on est pape soi-même. Et cet engagement pourrait aussi être renforcé, par exemple, si le conclave choisissait comme prochain pape le cardinal Turkson, qui est l’un des favoris, il vient du Ghana, et il est aussi le grand inspirateur de ce concept d’écologie intégrale, et il était le plus proche conseiller du pape François sur ces sujets… Mais bien malin qui pourra prédire l’issue de ce conclave !
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