La "relation paradoxale" entre transition climatique et démocratie selon François Gemenne
Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Cette semaine, François Gemenne s'intéresse à une "relation paradoxale" : celle qui existe entre la transition climatique et la démocratie. Il y a déjà beaucoup de travaux sur la démocratie et le climat : est-ce que la démocratie est suffisamment équipée pour réussir la transition climatique ? Est-ce qu’il ne faudrait pas imposer des changements, au vu de l’urgence climatique ? Mais, selon François Gemenne, "toutes ces réflexions sont évidemment nécessaires et stimulantes, mais il me semble qu’il reste un point aveugle, dont on ne parle jamais : l’alternance".
franceinfo : Que vous voulez dire par alternance, est-ce le changement de gouvernement ?
François Gemenne : Exactement. L’alternance politique, le changement. C’est évidemment une condition nécessaire de la démocratie. Une démocratie qui ne change jamais de gouvernement, qui n’opère aucune inflexion, aucune bifurcation, est condamnée à devenir une dictature. Et c’est pour ça qu’à chaque campagne électorale, certains promettent de tout changer : "le changement, c’est maintenant !"
C’est ici qu’arrive le paradoxe : la transition climatique a besoin de stabilité, elle déteste les changements. Elle a besoin d’une direction de long-terme. Les transformations qu’on doit engager nécessitent des investissements lourds, parfois carrément des changements de modèles d’affaires, et donc pour ça, il faut des garanties de long-terme. Chaque hésitation politique, chaque atermoiement, chaque ajustement budgétaire, et ce sont autant d’investissements qui ne sont pas réalisés, autant de décisions qui ne sont pas prises, autant de temps perdu. Et quand les hésitations et atermoiements deviennent des revirements ou des changements à 180 degrés, là ça devient catastrophique pour la transition.
Mais ces changements sont inhérents à la démocratie. Êtes-vous en train de nous dire qu’il faudrait piloter la transition en dehors des instances de la démocratie ?
Certainement pas, évidemment. Je pense qu’il est essentiel que nos démocraties se soient emparées de ce sujet, et que le climat ait cessé d’être un sujet purement technique. Je dirais même que c’est le principal succès des mobilisations des jeunes, il y a 6 ou 7 ans : le climat est entré de plain-pied en démocratie, et les différents partis se sont emparés du sujet.
Mais ça veut dire que la transition est également devenue sujette aux aléas politiques, et que le climat est devenu un enjeu de plus en plus idéologique, et de plus en plus clivant. On arrive ici à la quadrature du cercle : il est essentiel que la démocratie s’empare du climat, mais cela implique que la transition climatique devienne un enjeu de luttes politiques et de clivages qui compromettent ses possibilités de succès.
Le plus bel exemple, c’est le retrait américain de l’Accord de Paris. Au moment où Donald Trump envisage de retirer les États-Unis de l’Accord pour la première fois, en 2016, de très nombreuses entreprises américaines le pressent de renoncer au retrait, et de rester dans l’Accord, parce qu’elles redoutent encore bien davantage l’incertitude et l’instabilité que les contraintes environnementales. Mais comme ce sujet est devenu un enjeu politique aux États-Unis, on risque d’arriver dans une situation où les États-Unis seraient dans l’Accord de Paris quand leur président est démocrate, et dehors quand leur président est républicain. Cette instabilité est catastrophique pour la coopération internationale, pour la transition, et donc pour le climat.
Est-ce pareil pour les autres mesures annoncées par Donald Trump ?
En fait, en dehors de l’impact de ces mesures elles-mêmes, qui est grave en soi, ce qui est surtout dommageable pour le climat, c’est que Donald Trump annonce qu’il va faire exactement l’inverse de son prédécesseur. Il n’y a aucune continuité, aucune perspective de long-terme. Mais ce n’est pas un particularisme américain. En Europe, aussi, on voit bien que la continuité des politiques de transition est menacée.
Comment faire ?
Je pense que la solution est de construire un consensus social très fort derrière la transition, pour qu’elle soit moins sujette aux revirements politiques. Parce que la meilleure garantie que nous ayons que les transformations engagées tiennent dans la durée, c’est évidemment que nous les choisissions, qu’elles soient portées par un consensus populaire très fort. Et ça, il faut bien avouer que nous en sommes très loin.
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