L'objectif de 1,5°C de l'accord de Paris at-t-il encore un sens ?
"Ce n’est pas parce qu’en 2024 on a dépassé la barre de 1,5°C qu’on a raté l’objectif", estime François Gemenne
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L’année 2024 a dépassé, pour la première fois, le seuil symbolique des 1,5°C de hausse de la température. C’est l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris. Faut-il dès lors se poser la question suivante : cet objectif a encore un sens ? "On peut légitimement se poser la question", estime François Gemenne.
Cet objectif de 1,5°C est une revendication portée par les petits États insulaires, pour lesquels tout dépassement de cet objectif représente une menace létale, car au-delà de 1,5°C, la hausse du niveau des mers engloutira plusieurs de leurs territoires. "Le problème, c’est qu’il est déjà trop tard. En 2009 déjà, lors de la COP15 de Copenhague, on leur avait répondu que c’était trop tard, que ce n’était plus possible", résume François Gemenne.
franceinfo : Pourtant, c’est l’objectif de l’Accord de Paris, qui a été signé six ans plus tard, en 2015 ?
François Gemenne : Ce n’est pas si simple. Après l’échec de Copenhague en 2009, on décide de changer de méthode pour la COP21 de Paris, et de construire l’Accord à partir des revendications et des demandes de chaque pays. Il s’agissait d’embarquer tout le monde dans l’Accord, et pour ça, il fallait satisfaire tout le monde : c’est comme ça qu’on a intégré dans l’Accord la revendication des petits États insulaires, et qu’on a donc inclus l’objectif de 1,5°C en complément de l’objectif de 2°C, qui restait l’objectif central, à horizon 2100 : "Bien en deçà de 2°C, dit l’Accord, et si possible à 1,5°C". Sauf que de COP en COP, notamment sous la pression des associations, cet objectif de 1,5°C est devenu l’objectif central.
Il est désormais compliqué de reculer et c’est là que deux points de vue s’opposent. Le premier plaide pour qu’on abandonne tout simplement l’objectif de 1,5°C. En 2022, par exemple, plusieurs scientifiques avaient exhorté la COP27 à abandonner cet objectif, en arguant qu’il était irréaliste et constituait une forme de tromperie pour le public. Le problème, c’est que c’est compliqué, politiquement : abandonner un objectif, cela revient à assumer un échec dans la lutte contre le changement climatique. C’est pour cela que d’autres avaient alors estimé qu’abandonner cet objectif revenait à faire le jeu des gouvernements les moins ambitieux, qui seraient tout heureux d’abandonner.
Un marqueur d’ambition politique plus qu’un objectif scientifique
Ce n’est pas parce qu’en 2024 on a dépassé la barre de 1,5°C qu’on a raté l’objectif. Il est possible que les températures redescendent sous cette barre en 2025, par exemple. Une année isolée ne suffit pas à signifier l’échec de l’objectif : il faut que l’objectif soit dépassé sur une moyenne décennale au moins. Cela étant, la plupart des scientifiques s’accordent à dire que nous aurons dépassé cet objectif pour de bon au début des années 2030. Ce sera un moment très difficile, en termes de communication : beaucoup de gens risquent de penser que l’Accord de Paris ne rime plus à rien, et que c’est fichu.
Alors qu’on est évidemment face à un problème graduel, où chaque dixième de degré d’élévation de la température fait une énorme différence. Et certains insistent sur le fait que même si on dépasse 1,5°C maintenant, il serait possible d’y revenir à la fin du siècle, mais ça suppose de miser beaucoup sur la technologie, et notamment sur la géo-ingénierie.
"Cette hypothèse du dépassement est dangereuse, parce qu’elle ne nous permet pas d’anticiper des impacts du changement climatique associés à une hausse des températures supérieure à 1,5°C, et surtout parce qu’elle risque de nous entraîner sur des trajectoires de réchauffement bien plus élevées."
François Gemennesur franceinfo
Alors, faut-il garder l’objectif ou l’abandonner ? C’est un débat compliqué. Personnellement, j’aurais tendance à considérer qu’il est important de le maintenir, surtout dans le moment présent. Mais il faut le prendre pour ce qu’il est : un marqueur d’ambition politique, bien davantage qu’un objectif scientifique. Une sorte de boussole, comme on peut se fixer un objectif de zéro SDF en matière de lutte contre la pauvreté, ou de zéro Covid en matière de santé publique.
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