Philippe Claudel en soutien à Boualem Sansal, et le plus vieux Cold Case de France

Dans Tout Public du lundi 17 février 2025, l'écrivain Philippe Claudel apporte son soutien à Boualem Sansal, et le journaliste Pierre-Philippe Berson pour son enquête dans Society Magazine sur la plus vieille affaire non résolue de France.

Article rédigé par Frédéric Carbonne
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Pierre-Philippe Berson, journaliste à Society, invité de franceinfo le 17 février 2025. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Pierre-Philippe Berson, journaliste à Society, invité de franceinfo le 17 février 2025. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

L'écrivain et président de l'Académie Goncourt Philippe Claudel, apporte son soutien au micro de Tout Public à Boualem Sansal, auquel est consacrée une soirée ce mardi 18 février à l'Institut du monde arabe. Il dénonce des conditions de détentions de l'écrivain franco-algérien qu'il juge "arbitraires" et "préoccupantes". "Je ne pensais pas que ma génération d'écrivains allait de nouveau connaître l'incarcération de quelqu'un qui est simplement coupable d'avoir dit le fond de sa pensée, d'avoir écrit des romans, d'avoir fait œuvre de littérature", partage l'écrivain.

Alors que Philippe Claudel ne pourra pas se rendre à la soirée de soutien, une lecture du texte Vous m'entendez ?, écrit de sa plume aura lieu. Dans cette lettre, il se met à la place de Boualem Sensal et le fait parler. L'écrivain a souhaité partager son texte pour qu'il puisse être diffusé sur la page internet de Tout Public :

Vous m'entendez ?

"Je tourne, tourne, tourne en rond, et tourne encore. Je marche, peu, très peu, et très longtemps. Je marche, je tourne, je marche en rond, je tourne mal. Au début, je riais. J'en riais. Oui, je vous l'avoue, je riais de cela. Me disant que cela, non, ce qui arrivait, ce qui m'arrivait, non, ce n'était pas réel, ce n'était pas possible, on jouait, on jouait avec moi, on se jouait de moi, on avait fait de ma vie une comédie burlesque, et du monde, une scène. Je me disais, les spectateurs vont peut-être s'amuser quelques minutes mais cela ne durera pas, le metteur en scène lui-même finira par se lasser, par se dire que le pauvre comédien seul en scène et qui n'est même pas comédien, est décidément un piètre pitre, qu'il n'amuse personne, qu'il est encombrant, qu'on ferait mieux de faire tomber le rideau, d'arrêter le spectacle, et de le foutre dehors. Mais non. Non. Je suis là. Encore là. Sur la scène. Les lumières ne se sont pas éteintes. Le metteur en scène n'a pas démissionné. Le public s'est clairsemé, mais on me fait continuer. C'est grotesque de demander à un vieil homme comme, moi, malade, et qui ne rit plus, de jouer la comédie. La comédie de l'écrivain dangereux qui par ses seules paroles pourrait faire s'effondrer un régime. Je suis un homme paisible, libre de ma pensée, qui vit désormais dans le doute, la peur, la contrainte. Je tourne, je tourne en rond. Je marche très peu. Je me grippe, me détraque, m'absente. Je tourne mal. Très mal. Je suis une vieille toupie. Mon axe s'effrite. Je suis seul en scène. Je ne vois plus les lumières. Je ne vois plus le public. Je n'entends même plus le metteur en scène. Et vous, vous m'entendez ? Vous ? Vous m'entendez encore ? Vous m'entendez ? Répondez je vous prie ! Répondez ! Je ne vous entends pas ! Je ne vous entends plus… Vous m'entendez ?"

Philippe Claudel, pour Boualem, 14 février 2025

"Il ne faut surtout pas que la mobilisation cesse."

Philippe Claudel

franceinfo

Philippe Claudel dénonce par ailleurs le "silence assourdissant" qui a suivi l'incarcération de l'écrivain franco-algérien, "entretenu par beaucoup de personnes", ce qui l'a "étonné". Un silence qui côtoie néanmoins depuis trois mois "une vraie dimension de fraternité, salue Philippe Claudel, (…) qui revendique que le pire, ce serait le silence, la surdité et l'oubli". C'est ainsi que Philippe Claudel appelle à ce que la mobilisation "continue, qu'elle aille crescendo, et que tout le monde se mobilise, pas seulement le monde de la littérature".

Le plus vieux cold case de France

À la une du dernier Society Magazine, le plus vieux cold case de France, l'affaire Méchinaud. Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1972, la famille Méchinaud passe le réveillon de Noël chez des amis à Cognac en Charente ; alors qu'ils prennent la route pour rentrer chez eux, ils n'arriveront jamais à destination, et disparaîtront à jamais. Une affaire qui montre les lacunes des enquêtes policières dans les années 1970. "C'est vertigineux", déclare Pierre-Philippe Berson, auteur de l'enquête pour Society, alors qu'"aujourd'hui, une disparition inquiétante se compte en quelques minutes ou quelques heures, à l'époque, il faut attendre trois semaines pour que la disparition soit signalée".

"Dès le départ, il y a une sorte de vertige, qui préfigure d'une certaine façon l'absence de résolution."

Pierre-Philippe Berson

franceinfo

Et alors que l'enquête commence à la mi-janvier 1973, aucune piste ne retient l'attention des policiers. La disparition des quatre corps, ni même de la voiture, ne les mène vers "aucune piste ou vers un quelconque mobile possible", partage le journaliste. Quelques mois d'enquête s'ensuivent, puis l'affaire s'enlise et est abandonnée. Il faut attendre le début des années 2000 et la prise de fonction du gendarme Stéphane Chalumeau pour qu'il rouvre l'enquête après avoir consulté les affaires non élucidées de la gendarmerie de Cognac. De là réapparaît la figure de Maurice Blanchon, voisin de la famille, et "amant auto-déclaré" de la mère de famille, suspecté depuis une cinquantaine d'années, sans qu'aucune preuve à charge ne puisse peser contre lui. "C'est un personnage ambigu qui m'a donné rendez-vous sur le parking du Lidl de Cognac un samedi après-midi", se rappelle le journaliste. Ce personnage soulève en effet de multiples questions auprès des enquêteurs, relate Pierre-Philippe Berson. "Maurice se présente comme l'amant, mais il est surtout le voisin, donc c'est la personne qui voyait quasiment tout. Et pour plusieurs enquêteurs, se pose cette question : était-il vraiment l'amant, ou cette théorie ne sert-elle pas de paravent à une autre hypothèse, qui serait que ce soit une autre personne qui soit à la fois l'amant et l'auteur de l'assassinat."

Une affaire qui n'est pas près d'en finir, pressent le journaliste, étant donné que le pôle Cold Case de Nanterre a pris en charge cette affaire. "Le pôle Cold Case de Nanterre s'est saisi de l'affaire, ayant des éléments qui permettent de croire que l'affaire va être résolue dans les prochains jours, semaines, voire années", assure Pierre-Philippe Berson.

L'article de Pierre-Philippe Berson est à retrouver en intégralité dans le dernier numéro de Society Magazine.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.