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Quels sont les bienfaits de la lecture ? Pour le sociologue Jean Viard, "il s'agit de reconstruire une société de l'imaginaire, une société du rêve"

Tout le week-end des milliers de manifestations animent les Nuits de la lecture. L'occasion de revenir sur l'essence même de la lecture et son rôle dans notre vie digitalisée et stressante.

Article rédigé par Jules de Kiss - Jean Viard
Radio France
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Temps de lecture : 4min
L'acteur Lambert Wilson en pleine lecture, durant la première édition des Nuits de la lecture. 8000 manifestations sont prévues partout en France jusqu'à dimanche soir. (MIGUEL MEDINA / AFP)
L'acteur Lambert Wilson en pleine lecture, durant la première édition des Nuits de la lecture. 8000 manifestations sont prévues partout en France jusqu'à dimanche soir. (MIGUEL MEDINA / AFP)

Jean Viard est sociologue, mais il est aussi un éditeur, aux éditions de l'Aube. Précision utile pour notre sujet du jour : la lecture. Jusqu'au dimanche 21 janvier, ce sont les Nuits de la lecture, troisième édition, avec des événements un peu partout en France.

franceinfo : Pourquoi la lecture est-elle importante ?

Jean Viard : Je suis un homme du monde du livre. J'en ai édité 3 ou 4 mille, j'en ai écrit plus de 30, mon père écrivait des livres, donc c'est peu dire que le livre est mon univers. Quand on lit, on commence par déchiffrer des petits signes noirs sur une feuille blanche, et à la fin on comprend qu'un cheval galope dans une forêt et que le cavalier se tient à la crinière pour ne pas tomber. Vous lisez cela sur des petits dessins, mais dans votre tête vous avez la forêt, le cheval, le cavalier, etc. Votre esprit crée tout à partir de simples lettres. Il y a donc un énorme travail du cerveau, de l'imaginaire, et c'est magnifique.

La lecture vous fait aussi vivre d'autres vies. Vous pouvez vous retrouver habitant du Moyen Âge, vous pouvez être anglais, si vous êtes un homme vous pouvez devenir une femme, etc. Vous allez lire des vies qui ne sont pas celles que vous avez vécues, vous voyez que le monde regorge de possibilités, que vous pouvez changer d'existence, de territoire, de coiffure, de pratiques sexuelles, etc. Cette réalité est d'autant plus forte dans les milieux très populaires où, souvent, le monde réel est petit, étriqué, bloqué. Le livre ouvre des portes.

Les Nuits de la lecture – sur le thème du corps, cette année – se déroulent dans les musées, les bibliothèques, les librairies, mais aussi les prisons. Cela fait-il écho à votre propos ?

Bien sûr ! Pour les détenus, la lecture reste la meilleure façon, si on peut dire, de s'échapper. Il y a une vraie bataille pour ouvrir aussi les portes chez les jeunes, avec cette politique de donner un chèque aux jeunes pour qu'ils puissent acheter des livres ou aller au spectacle. Le Pass Culture – auquel, honnêtement, je ne croyais pas trop – est un vrai succès et s'avère très efficace. La librairie devient un lieu de familiarité, la bibliothèque du collège ou du lycée n'est plus l'endroit où l'on est envoyé quand on est puni mais un refuge pour lire.

Il y a 8000 événements autour de la lecture durant le week-end. Il s'agit là de reconstruire une société de l'imaginaire, une société du rêve. L'autre jour, je discutais avec le patron de Dassault Systèmes, Bernard Charles. Il me disait comment Hollywood a créé la Silicon Valley. Cette formule m'a profondément marqué, c’est-à-dire que c'est la structure des lieux culturels qui permet les innovations technologiques et, en ce moment, les innovations pour la guerre climatique et pour une nouvelle révolution industrielle autour de l'IA. J'ajoute une chose : un livre, le soir, permet de ralentir sa journée, surtout quand on a été un peu trop sur sa tablette ou ses écrans. Et on a besoin de ralentir pour mieux dormir.

Aujourd'hui, on lit beaucoup sur les écrans. Est-ce que l'écran est l'allié de la lecture mais l'ennemi du livre ?

C'est vrai, l'écran est l'allié de la lecture. On s'est remis à lire grâce aux écrans, même si c'est souvent un langage un peu résumé. On était un grand pays de culture. On est le pays d'André Malraux, on est le pays de Jack Lang. La culture doit rester au centre, mais la difficulté est de diffuser la culture dans les milieux populaires, toutes les cultures du monde. En même temps, ne rêvons pas. Jadis, l'information arrivait aux gens par l'Église, par le curé. Ne croyons pas qu'on vivait, avant, dans un monde d'hyper culture et que c'est aujourd'hui l'inverse. Non, on lit davantage qu'avant. On a jamais publié autant de livres : c'est le cœur du processus.

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