"La question de fond c'est : comment on se rassemble et comment on ne met pas en exergue chaque fois que ce qui nous sépare", Jean Viard
Un nouveau pronom, non genré, "IEL", ajouté dans la version en ligne du dictionnaire Le Robert a déclenché une polémique. Décryptage de cette question de société avec le sociologue Jean Viard.
Jean Viard, sociologue, directeur de recherche au CNRS, revient aujourd'hui dans Question de société sur un ajout qui fait polémique dans la version en ligne du dictionnaire Le Robert. Un nouveau pronom non genré : "IEL". Le ministre de l'Éducation nationale. Jean-Michel Blanquer, désapprouve, l'ancienne prof de français, Brigitte Macron aussi. Le Robert, de son côté, défend cet ajout.
franceinfo : Vous, vous en pensez quoi, Jean Viard, de ce nouveau pronom ?
Jean Viard : Je pense qu'il y ait une minorité qui ne veuille pas se définir par rapport au masculin et au féminin, ça existe, une minorité. Elle n'a pas été respectée historiquement. Elle a été niée. C'est quelques % de population, mais c'est vrai qu'ils ont été niés, donc le fait de les reconnaître est quelque chose de positif et de leur donner des droits, etc. C'est aussi des débats effectivement sur le mot, des débats sur les toilettes mixtes, etc. Donc ça, je le reconnais. Mais après, c'est un peu comme le droit de vote à 16 ans, c'est des sujets qui apparaissent, portés par des minorités très urbaines, est-ce que ce sont vraiment des sujets qui portent du sens dans nos sociétés ?
Et j'ai tendance à penser qu'au fond, on a délaissé les milieux populaires, on a bien vu avec la crise des gilets jaunes, le sentiment d'abandon dans lequel ils étaient. On voit bien que la question des banlieues, on en parle quasiment plus alors que la situation est extrêmement dure, notamment avec en plus tous les problèmes de drogue qui s'y passe, etc. Et au fond, est-ce qu'on n'a pas délaissé les questions sociales pour, effectivement, des questions respectables, et je les reconnais comme telles, mais qui, quelque part, sont des micro questions ? C'est un peu la préoccupation qui m'anime quand je vois ces discussions.
Est-ce que ces différents combats, on ne peut pas les mener de front ?
Si on pourrait, sans doute. Mais de fait, ce n'est pas ce qui se passe. Donc c'est ça qui est compliqué. De fait, on pourrait, mais c'est aussi parce que les milieux se sont éloignés, que les milieux populaires sont partis dans les périphéries urbaines ou dans des quartiers que les gens qui occupent le monde de la scène publique, connaissent mal. Donc, il y a un écart.
Avant, il y avait le Parti communiste, il y avait des structures syndicales, il y avait des grands mouvements d'éducation populaire qui tiraient des liens entre les différents mondes, les enseignants allaient enseigner dans les milieux défavorisés, etc. c'était vrai pour le sport aussi. Les profs de sport étaient généralement bénévoles le weekend et le soir, pour entraîner les jeunes, etc. Et tous ces liens se sont beaucoup défaits et donc, au fond, on s'est éloignés les uns des autres, je pense, et c'est aussi ça que j'entends.
C'est pour ça que tout ça m'éclaire un peu une société en archipel, pour reprendre l'expression maintenant bien connue, qui me pose des problèmes, parce que qu'est-ce qui va rassembler ? Sur quoi on se rassemble ? Je ne dis pas ça pour dire il faut pas respecter les petites minorités, il faut les respecter. Et après tout, pourquoi pas leur donner un droit nouveau en termes d'orthographe. Mais la question de fond, c'est comment on se rassemble; et comment on ne met pas en exergue chaque fois que ce qui nous sépare.
Et sur le plan symbolique, qu'est-ce que ça représente d'avoir ce pronom "IEL" qui entre dans la version en ligne du dictionnaire Le Robert, mais dans le dictionnaire Le Robert, tout de même ?
Oui, mais bien sûr, ça a un certain poids. C'est pas une décision, j'allais dire de l'Académie française, mais ce n'est pas une décision directement politique, mais c'est une volonté qui vient d'ailleurs des États-Unis, de respecter tout ce qui est hyper différencié, tout ce qui est hyper genré, etc. Et c'est pour ça, je ne veux pas non plus critiquer au sens où, ce sont des minorités souffrantes. Ça mérite respect et attention et affection, je dirais.
Mais après, effectivement, on découpe la société en micro tranches. Et cette société micro découpée, on va dire elle n'a pas un commun extrêmement fort, et on le voit bien dans la difficulté qu'on a à se parler, à parler politique, etc. les uns avec les autres. On est dans une société, on pourrait dire découpée et ça, ça me fait du souci. Il faut garder un "nous" qui fait qu'on se rassemble et qu'on ne fait pas que des micros chapelles les unes à côté des autres. Pour l'instant, je dirais que ce qui rassemble est plus faible que ce qui sépare.
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