Après la bataille des données, les géants du numérique doivent dompter la fée électricité
Leur dépendance à l'alimentation électrique pour fonctionner, la hausse régulière du coût de l'énergie et leur impact en termes de CO² imposent aux géants du numérique de se doter de stratégies industrielles en matière de production d'électricité.
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Rien de tel que d’être privé d’un bien pour en apprécier la valeur. Les presque 24 heures de coupure totale d’électricité en Espagne et au Portugal le 28 avril 2025 ont permis d’illustrer à quoi pouvait ressembler notre "nouveau monde" numérisé et hyperconnecté sans accès à la puissance électrique.
Les écrans, les automates, les systèmes de paiement, les communications, les objets domotiques et autres équipements industriels se sont retrouvés à l’arrêt. Soit une illustration d’une double dépendance : numérique et énergétique.
Et la situation ne va pas aller en s’améliorant avec le déploiement des usages de l’intelligence artificielle. D’autant – et c’est un rapport officiel publié mi-avril 2025 par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui le pointe – que les perspectives de consommation électrique par l’IA sont "une des questions énergétiques les plus urgentes et les moins bien comprises aujourd’hui".
Des activités énergivores
Les chiffres sont édifiants. La consommation des centres de données sollicités pour faire fonctionner les modèles algorithmiques devrait doubler d’ici 2030. Pour atteindre environ 945 TWh (Térawattheures). Ce qui représente aujourd’hui la totalité de la dépense électrique d’un pays comme le Japon.
Ce qui est notable c’est la rapidité de la progression, puisqu’en 2024 ces infrastructures représentaient 1,5% de la consommation électrique mondiale (soit 415 TW/h), et qu'elles ont connu une croissance annuelle de 12% au cours des 5 dernières années.
Un triple défi
Les défis sont de trois ordres. D’une part, la capacité à produire cette électricité supplémentaire. D’autre part, la question de l’existence et de la disponibilité des équipements permettant la production et la distribution de cette énergie. On note aujourd’hui une concentration géographique avec actuellement un trio Chine, États-Unis et Europe qui représentent 85% de la consommation des centres d’hébergement de données.
Enfin, cette augmentation de la dépense énergétique s’accompagne d’une hausse des émissions de CO² : les data centers produiraient actuellement 180 millions de tonnes de CO² et atteindraient 300 millions de tonnes d’ici 2035. Certes, c’est minime par rapport à des émissions mondiales globales qui se mesurent en dizaines de milliards de tonnes de CO² (42 MdT en 2024) mais la progression est néanmoins fulgurante.
À titre indicatif, l’enquête annuelle de l’ARCEP – l’autorité de régulation notamment du secteur des télécoms – pour un "numérique responsable", publiée mi-avril 2025, indique qu’en 2023 le volume de gaz à effet de serre émis par les opérateurs de communications électroniques, les opérateurs de centres de données et les fabricants de terminaux s’élevait à 950.000 tonnes équivalent CO². Soit l’empreinte carbone annuelle de près de 102.000 personnes en France.
Au rayon des "bonnes" nouvelles les commissaires de l’ARCEP constatent qu’en France les émissions directes de gaz à effet de serre de l’ensemble de ces acteurs diminuent de 10 à 15% par an depuis 2021. Des chiffres à la baisse, notamment grâce aux fabricants de terminaux qui améliorent le traitement des gaz industriels, recourent à des gaz moins polluants et adoptent des fluides moins nocifs pour la couche d’ozone.
Une sécurisation des approvisionnements
Depuis 2024, les grands conglomérats du numérique (Amazon, Oracle, Microsoft…) annoncent régulièrement des investissements – notamment sur le territoire des États-Unis pour acquérir ou construire des capacités de production d’électricité d’origine nucléaire. Il s’agit pour ces entreprises d’assurer leur autonomie énergétique afin de garantir la disponibilité de leurs équipements et de maîtriser les coûts financiers de leurs factures. L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) constate que, pour l’instant, le charbon représente encore 30% des besoins des centres de données. Mais leurs experts estiment que les énergies renouvelables et le gaz naturel devraient être de plus en plus sollicités "en raison de leur compétitivité en termes de coûts et de leur disponibilité sur les marchés clés".
Le défi est toujours de trouver de l’énergie à un prix abordable et en quantité abondante. Illustration explicite de l'engagement américain dans ce domaine : la création en février 2025 par Donald Trump d’un Conseil national pour la domination énergétique. Son rôle ? "Faire de l'Amérique une puissance énergétique dominante" selon les termes du décret présidentiel.
La guerre de l’énergie est bel et bien lancée.
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