Triple A : infantilisation et "décrédibilisation" des dirigeants
Comme chaque lundi, avec Psychologies Magazine. Pour parler aujourd’hui de trois lettres. Ou plutôt d’une seule et même lettre répétée trois fois et qui est au cœur de l’actualité depuis des semaines.
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Sujettes à toutes les préoccupations, inquiétudes et analyses, le sort de notre pays, de l’Europe, voire plus, semble dépendre d’elles. Vous l’avez compris, on parle aujourd'hui du A et plus précisément du "triple A", avec Anne Laure Gannac, rédactrice en chef adjointe à Psychologies Magazine.
"Le triple A", on sait ce que cela signifie : c’est la meilleure note donnée par les agences de notation à notre pays notamment et qui lui permet d’emprunter à des taux d’intérêt moindres par rapport aux autres pays qui n’ont qu’un double A, par exemple les Etats-Unis. Mais signifie t-il vraiment que cela, pour nous ? A force d'être entendu, répété, ce triple A ne finit-il pas par avoir sur nous un autre impact, un impact psychologique ? C'est en tout cas ce que vous suggérez,
On sait à peu près tous ce que signifie ce triple A. Mais si l'on revient quelques semaines en arrière : à l’exception des diplômés en économie, qui connaissait cette expression ? Jusque-là, pour la plupart d’entre nous, si le triple A était un label de qualité visible sur les marchés, c'était au stand charcuterie, pour désigner l’andouillette ! Là oui, on connaissait les 3 A, et même les 5 A. C’est dire, d'ailleurs : l’andouillette fait encore mieux que la France !
Et soudain, nous apprenons l’existence de ce triple A, cette note attribuée à la France par des autorités supérieures -à l'identité et au fonctionnement très flous-, mais de toute évidence puissantes et influentes, puisque le poids de notre dette en dépend.
Sous l'effet indirect de "ce triple A", ceux qui incarnent l'autorité se retrouvent infantilisés
Ce qui signifie d'un point de vue plus imagé que la France, symboliquement rassurante, enveloppante, jouant un rôle de parent protecteur en quelque sorte -ne dit-on pas "mère patrie"?-, se retrouve projetée dans la peau d’un élève noté par d’autres qui, apprend-on dans le même temps, la surveille de très, très près.
Et cela nourrit l’angoisse, -l’inquiétude du moins- qui peut nous habiter en ce moment. Dans un climat d'incertitude et de crise, on est d'autant plus en attente de figures d'autorité fiables, sûres, sécurisantes. Mais c'est le contraire qui se produit : sous l'effet indirect de "ce triple A", ceux qui incarnent l'autorité se retrouvent infantilisés, ramenés à l'état de petits enfants sur les bancs de l'école.
Et du coup, leur crédibilité est mise à mal.
Comment donc réaffirmer cette autorité?
Cela passe par des images : celle d’un couple incarné par Merkel et Sarkozy. Les dessinateurs de presse et les journalistes les ont beaucoup caricaturés dans cette posture de couple, mais ce n'est pas anodin ; ils nous renvoient vraiment cette image.
Et puis, cette réaffirmation de l'autorité, elle passe par des mots, bien sûr : alors on nous exhorte à "faire des efforts", on nous menace de "sanctions", on nous rappelle que "voler, c’est mal" -on parle ici du discours relatif aux indemnisations de la sécurité sociale. Autrement dit, on nous parle comme à des enfants qui ont besoin d’être recadrés.
Est-ce le principe de tout discours lié à un plan de rigueur et en situation de crise ?
Sans doute. Par ailleurs, ce discours de recadrage pourrait avoir le pouvoir de nous rassurer : le vocable de la rigueur semble dessiner la colonne vertébrale qui fait défaut dans un monde en mouvement, instable. Et puis, il vise à nous responsabiliser. Comme tout discours d'autorité. Mais c'est là que le bât blesse. Car la capacité à rassurer et à responsabiliser dépend de certaines conditions...
Elèves, employés, professeurs bientôt : plus personne n’échappe à l’évaluation
"Responsabiliser" vient du latin "respondere", répondre. Soit, par extension : "répondre de", rendre des comptes. Cela n'est possible que si, d'une part, nous savons à qui nous devons rendre ces comptes. Or, on l'a dit : ce "triple A" nous apprend que ceux dont on pensait jusqu'à présent qu'ils détenaient l'autorité, le pouvoir, ne sont, en gros, que des élèves notés par d'autres dont nous ne connaissons à peu près rien. Pour filer la métaphore scolaire, disons qu'on ne sait plus qui est le maître d'école.
D'autre part, nous ne pouvons rendre des comptes que dans un cadre prédéfini, si nous savons exactement quels comptes nous avons à rendre. Si vous voulez responsabiliser quelqu'un, encore faut-il lui faire comprendre qu’il a le pouvoir d’agir et sur quoi. Or, comment nous sentir, à notre échelle, le pouvoir de sauver le "triple A" ? Comment responsabiliser les gens autour d’un objectif qui consiste à tout faire pour permettre à la France de garder sa bonne note ? Cela paraît impossible. Parce que c'est trop abstrait.
Ce triple A est abstrait : mais comme le sont toujours les notes, finalement. C’est le propre des évaluations, des chiffres, des notes : ils nous plongent dans l’abstraction. Alors que nous y avons recours dans le but de rationaliser, de simplifier la réalité, il nous font basculer dans un autre paradigme, dans une autre réalité.
Mais le fait est que nous vivons parmi les notes et les chiffres. Plus que jamais. Ce "triple A" n'est qu'une manifestation parmi d'autres de notre société de l’évaluation : tout se note, tout se chiffre, tout s’évalue. Elèves, employés, professeurs bientôt : plus personne n’échappe à l’évaluation, elle a envahi toutes nos relations interpersonnelles.
Avec comme conséquence de nous inciter à l'obsession de la performance à tout prix, à toujours plus de compétition. Donc plus de pression, de stress et d'individualisme.
De plus en plus d'économistes, pensons à Stiglitz par exemple, nous exhortent à revoir notre conception de l’économie : à penser moins en terme de PIB, et davantage en terme de qualité de vie, de bien-être. Ce "triple A" qui centralise toutes les inquiétudes nous montre que nous en sommes encore bien loin.
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