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Les ratés du climat (2/6) : la laborieuse ratification du Protocole de Kyoto
En 1997, le Protocole de Kyoto, premier traitĂ© international qui impose aux pays industrialisĂ©s des rĂ©ductions impĂ©ratives de leurs Ă©missions de gaz Ă effet de serre, est adoptĂ©. Mais il ne sera ratifiĂ© quâau bout dâun Ă©puisant processus qui durera 8 ans, pendant lesquels il perdra beaucoup de sa crĂ©dibilitĂ©.
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DĂšs la premiĂšre COP Ă Berlin en 1995, les diffĂ©rents gouvernements se mettent d'accord pour rĂ©diger un protocole qui impose des rĂ©ductions d'Ă©missions impĂ©ratives aux pays industrialisĂ©s. Et pour cela, ils se donnent deux ans. Tout va assez vite Ă l'Ă©poque. "Le Protocole de Kyoto a Ă©tĂ© nĂ©gociĂ© finalement assez rapidement, en trois ans, se souvient Amy Dahan, historienne des sciences, directrice de recherches Ă©mĂ©rite au CNRS. Et il faut se rappeler qu'Ă cette Ă©poque, la nĂ©gociation Ă©tait seulement entre les pays historiquement dĂ©veloppĂ©s : Europe, Ătats-Unis, Canada, Australie. Et il Ă©tait entendu que les pays de l'ex-Union soviĂ©tique Ă©taient inclus. Mais Ă©videmment, ils Ă©taient en profonde dĂ©sindustrialisation. Il s'agissait de se donner un certain nombre d'objectifs de dĂ©croissance des Ă©missions des gaz Ă effet de serre pour l'annĂ©e 2020 par rapport Ă l'annĂ©e 1990. Et franchement, il s'agissait d'en faire le moins possible pour chacun, câest-Ă -dire chacun essayer d'en avoir le moins possible."
DÚs la COP2, à GenÚve en 1996, les gouvernements se mettent d'accord sur un élément trÚs controversé : les mécanismes flexibles, qui seront la grande innovation du Protocole de Kyoto. A l'époque, ces mécanismes ne font pas du tout l'unanimité : il s'agit de s'appuyer sur le marché, plutÎt que sur des limites strictes. On pourra acheter de quotas d'émissions si on est au-dessus de la limite fixée, et en revendre si on est en dessous. Il s'agissait de donner plus de flexibilité aux entreprises, et les Etats-Unis avaient fait de ces mécanismes la condition sine qua non de leur participation au futur Protocole. Ils étaient pourtant loin de faire l'unanimité, ces mécanismes. "Il faut savoir que les raisons pour lesquelles nous n'étions pas trÚs favorables à ce qu'on appelle une coordination par les quantités, c'est qu'il n'y a pas de papa maman qui peut couper le gùteau en disant qu'il y a la distribution juste, explique l'économiste Jean-Charles Hourcade, qui a participé directement à la rédaction de quatre rapports du GIEC et a suivi de trÚs prÚs, à ce titre, les négociations du Protocole de Kyoto.
"Un ensemble d'industries qui se mettent d'accord, qu'on puisse négocier avec elles une baisse des émissions à telle date, ça marche. Mais pour un pays, vous rentrez dans des questions de justice qui sont absolument pas possibles à résoudre. Et donc on dit que ça ne marchera pas."
Jean-Charles Hourcade, économiste
Mais Ă la COP2 de GenĂšve, le principe est actĂ©. Lorsque les dĂ©lĂ©guĂ©s arrivent Ă Kyoto en 1997, les grands principes du Protocole sont dĂ©jĂ dĂ©cidĂ©s, et on imagine volontiers que la nĂ©gociation finale aurait pu n'ĂȘtre qu'une formalitĂ©. Loin de lĂ . C'est tout le contraire qui va se passer. L'administration amĂ©ricaine voulait un systĂšme de ce type-lĂ , mais il n'avait pas le soutien du CongrĂšs Ă ce moment-lĂ , raconte Paul Watkinson, ancien chef de la dĂ©lĂ©gation française dans les nĂ©gociations climat. "Il faut se souvenir qu'avant la nĂ©gociation de Kyoto en 2007, quelques mois auparavant, le SĂ©nat a quand mĂȘme votĂ© une rĂ©solution Ă 98 contre zĂ©ro pour refuser tout protocole qui n'impliquait pas d'engagement aussi pour les grands Ă©mergents, dont la Chine, explique-t-il. C'est la rĂ©solution Byrd-Hagel, qui interdit la ratification amĂ©ricaine du Protocole de Kyoto. Et le 25 juillet 1997, la rĂ©solution est votĂ©e Ă l'unanimitĂ© du SĂ©nat. "Donc, mĂȘme si Al Gore a signĂ© cet accord, c'Ă©tait dĂ©jĂ connu que les AmĂ©ricains ne pouvaient pas prĂ©senter ça au SĂ©nat pour ratification."
Le retrait américain décidé par George W. Bush
MalgrĂ© tout, le Protocole de Kyoto est signĂ© dans la douleur, le 11 dĂ©cembre 1997. Il prĂ©voyait une double condition pour entrer en vigueur : ĂȘtre ratifiĂ© par 55 pays au moins, qui ensemble devaient reprĂ©senter au moins 55% des Ă©missions mondiales de gaz Ă effet de serre. Ă lâĂ©poque, les Etats-Unis et la Russie reprĂ©sentent autour de 45% des Ă©missions mondiales : il faut donc que l'un ou l'autre, et idĂ©alement les deux, ratifie le Protocole pour qu'il entre en vigueur. Mais en mars 2001, George Bush annonce que les Etats-Unis se retirent du Protocole de Kyoto. Â
Ă ce moment-lĂ , beaucoup pensent qu'il s'agit du dernier clou dans le cercueil du Protocole. Mais les Nations Unies vont tenter le tout pour le tout, et abattre leur derniĂšre carte : on va organiser une COP de rattrapage, le COP 6bis, pour essayer de recoller les morceaux, Ă Bonn, six mois plus tard. Et malgrĂ© le retrait amĂ©ricain, ou peut-ĂȘtre grĂące au retrait amĂ©ricain, la confĂ©rence est un succĂšs : on parvient Ă se mettre d'accord sur plusieurs points essentiels, notamment les sanctions Ă appliquer pour ceux qui seraient dĂ©faillants. Et Ă la COP7 de Marrakech, en dĂ©cembre, on finalise les derniĂšres rĂšgles d'application. Cette fois-ci, tout est prĂȘt : on se met mĂȘme d'accord pour une date de mise en Ćuvre: le Protocole sera officiellement lancĂ© Ă la grande confĂ©rence des Nations Unies sur le dĂ©veloppement durable, prĂ©vue Ă Johannesburg en 2002, dix ans aprĂšs le Sommet de la Terre de Rio.Â
On avait juste oubliĂ© un petit dĂ©tail : il manquait encore des ratifications⊠Notamment celle du Japon, oĂč le gouvernement subit des pressions importantes de l'industrie automobile pour ne pas ratifier le texte, alors que c'est au Japon qu'il a Ă©tĂ© signĂ© ! Le Japon va finalement ratifier le Protocole en juin 2002, prĂšs de cinq ans aprĂšs sa signature. Pareil au Canada : le pays va ratifier le texte dans la douleur en 2002, malgrĂ© la trĂšs forte opposition des provinces productrices de pĂ©trole, comme l'Alberta. Mais le Canada ne parviendra jamais Ă atteindre ses objectifs, et se retirera du Protocole en catimini en 2011, pour Ă©viter les sanctions.
Le 16 fĂ©vrier 2005, enfin, le Protocole de Kyoto entre en vigueur, aprĂšs ratification de la Russie. Le processus de ratification aura pris un peu plus de sept ans, sept longues annĂ©es pendant lesquelles on aura perdu Ă©normĂ©ment de temps, mais aussi sept annĂ©es pendant lesquelles le Protocole â et donc la coopĂ©ration internationale en matiĂšre de lutte contre le changement climatique â allait perdre Ă©normĂ©ment de crĂ©dibilitĂ©. Car il Ă©tait loin d'avoir rĂ©glĂ© toute la question : il prĂ©voyait une baisse d'Ă©missions de 5,2% par rapport au niveau de 1990, mais uniquement pour les pays industrialisĂ©s. Et 1990, pour les pays du Sud, ça ne reprĂ©sente pas grand-chose. Le Protocole de Kyoto Ă©tait en fait un Protocole assez expĂ©rimental, Ă durĂ©e limitĂ©e, qui n'imposait des rĂ©ductions d'Ă©missions qu'aux pays industrialisĂ©s. Et qui va souffrir, quasiment dĂšs sa naissance, d'un manque de crĂ©dibilitĂ©.
"Les ratés du climat", un podcast franceinfo de François Gemenne en collaboration avec Pauline Pennanec'h, réalisé par François Richer, mis en ondes par Thomas Coudreuse. Un podcast à retrouver sur le site de franceinfo, l'application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcasts, Podcast Addict, Spotify, ou Deezer.
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