Non, les esclavagistes blancs n'ont pas mangé leurs esclaves

Des vidéos TikTok affirment que des "maîtres blancs" auraient mangé leurs esclaves aux États-Unis, juste après l’abolition. C'est faux. Ces informations viennent d'une mauvaise interprétation d'un livre de Vincent Woodard.

Article rédigé par Antoine Deiana
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Illustration du travail d'esclaves en Amérique dans un champ de coton. (MIKROMAN6 / MOMENT RF)
Illustration du travail d'esclaves en Amérique dans un champ de coton. (MIKROMAN6 / MOMENT RF)

Les élèves du collège Jules Ferry à Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l'Essonne, nous ont posé des questions sur des vidéos TikTok qui parlent de cannibalisme à l'époque des colonies. Les esclavagistes auraient, selon ces vidéos, mangé leurs esclaves. Avec l'aide de plusieurs historiens spécialistes de l'esclavage, nous répondons à leurs questions.

C'est faux, il s'agit d'une mauvaise interprétation d'un livre

Maellys et Marie nous demandent s'il est vrai que "les esclavagistes blancs mangeaient les esclaves noirs, même après l’abolition." Elles citent notamment un ouvrage : The Delectable Negro.

C’est faux. Aucun historien spécialiste de l’esclavage n’a trouvé trace d’un tel phénomène institutionnalisé.

Le livre prit en référence et cité, The Delectable Negro, de Vincent Woodard, a été publié en 2014 par les presses de l’Université de New York. Sauf qu'il ne documente pas un cannibalisme réel, mais développe une lecture symbolique de la "consommation des corps noirs par les esclavagistes." Vincent Woodard, universitaire afro-américain décédé en 2008, travaillait à la croisée des études littéraires, queer et de l’histoire culturelle afro-américaine. Selon lui, le corps des esclaves était “consommé” au sens sexuel, social et économique : par le travail forcé, les viols, l’exploitation, la dépossession.

L’historienne Myriam Cottias confirme cette interprétation : "Le terme de “consumption” utilisé par Woodard renvoie à l’appropriation des corps esclaves par les maîtres, par le viol notamment." Elle ajoute que "cela peut aussi concerner des usages médicaux, comme les expériences gynécologiques réalisées sans anesthésie sur des esclaves noires par le médecin James Marion Sims au XIXe siècle."

L’historien Olivier Petre-Grenouilleau indique "n'avoir jamais vu de source historique évoquant des actes de cannibalisme d’esclavagistes sur leurs esclaves" et Anne-Claire Faucquez, historienne également, parle de récits symboliques : "Cela relève de l’imaginaire, comme la peur d’être mangé, exprimée par certains captifs africains. Mais ce ne sont pas des faits documentés."

L'esclavage enseigné de manière inégale à l'école

Nassim et Kamilia se demandent "pourquoi on ne nous parle pas de ça à l'école." La question du cannibalisme dans l'esclavage n'est pas évoquée dans les manuels scolaires, car ces faits n’existent pas, parce qu’aucun historien ne les ont documentés.

Plus généralement, l’histoire de l’esclavage reste inégalement enseignée en France.

Selon la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, l’histoire de l’esclavage est peu développée en primaire, mieux traitée au collège, mais sans aborder la première abolition de 1794 et très variable au lycée, avec un accent mis sur l’esclavage aux États-Unis, au détriment de celui pratiqué par la France.

"Ce n’est pas la même histoire de France qui est enseignée partout", déplore la Fondation. Myriam Cottias ajoute qu'on "enseigne surtout l’esclavage aux États-Unis, mais pas vraiment ce qu’il s’est passé en France et c’est problématique."

Elle cite un exemple frappant : l’absence de Saint-Domingue, l’actuelle Haïti, dans de nombreux manuels scolaires. Or, Saint-Domingue était la plus grande colonie esclavagiste française et l’un des lieux clés de la révolte des esclaves. Ne pas l’enseigner, c’est passer à côté d’un chapitre majeur de notre histoire.

C'est pourquoi elle plaide pour un enseignement plus équilibré, incluant les résistances, les héritages culturels, et les logiques racistes qui ont accompagné les traites et l’esclavage.

Le "whitewashing" une menace pour la mémoire des esclaves

Sélina se demande si "le whitewashing, existe bien".

Oui cela existe. Le whitewashing consiste à effacer ou blanchir des personnages noirs dans la culture et les représentations historiques. Cela se voit dans certains films ou illustrations et même dans les manuels scolaires.

Un exemple est cité par plusieurs chercheurs que nous avons contactés : un manuel d’histoire, publié au Texas dans les années 2000, qui décrivait les esclaves comme des "travailleurs immigrés" venus chercher du travail aux États-Unis. Il a depuis été retiré.

Sans forcément parler de whitewhashing, Myriam Cottias, pointe certaines séquences historiques qui sont moins enseignées en France aussi. Par exemple, l'esclavage dans les plantations dans les colonies françaises des Antilles n'est pas étudié au lycée dans la filière générale.

En résumé, un enseignement plus complet et équilibré sur l'esclavage représente un vrai enjeu de mémoire.

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