Pierre Arditi : "Je suis tout à fait nostalgique de ma vie d'avant et je sais qu'il y a toute une série de choses que je ne vivrai plus"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi 5 mars 2025 : le comédien Pierre Arditi. Il est sur la scène du Théâtre Hébertot dans la pièce "Le Prix", aux côtés de Ludmila Mikaël, jusqu’au 30 avril prochain.

Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
L'acteur Pierre Arditi, en mai 2024, à Arles. (FARINE VALÉRIE / MAXPPP)
L'acteur Pierre Arditi, en mai 2024, à Arles. (FARINE VALÉRIE / MAXPPP)

Pierre Arditi est cet acteur né pour jouer. Le théâtre a toujours existé dans sa vie, héritage transmis par son père, peintre communiste, décorateur de théâtre. Un chagrin d'amour à l'âge de 28 ans va le convaincre que le théâtre sera sa vie. Il a également obtenu le César du meilleur acteur dans un second rôle pour le film Mélo (1986) ainsi que celui du meilleur acteur pour Smoking/No Smoking (1993), deux réalisations d'Alain Resnais.

Jusqu'au 30 mars 2025, il est au théâtre Hébertot à Paris dans la pièce Le Prix, aux côtés de Ludmila Mikaël. Il incarne, Otto Hahn, le chimiste allemand lauréat du prix Nobel de chimie en 1944, reçu en 1946, pour la découverte de la fission nucléaire. Ce travail a été rendu possible grâce à sa collaboration avec Lise Meitner, une femme juive dans une Allemagne nazie. Cette pièce se déroule le 10 décembre 1946 au Grand Hôtel de Stockholm et Lise vient régler ses comptes.

franceinfo : Ce dialogue est d'une justesse absolue quand on vit l'époque actuelle notamment. Est-ce aussi une caisse de résonance à votre histoire, sachant que vous êtes issu d'une famille juive ?

Pierre Arditi : C'est vrai. Je ne connaissais pas Lise Meitner et Otto Hahn, j'ai donc appris que ces gens-là avaient existé, et effectivement, elle est venue solder les comptes. C'est ça l'expression exacte. Il y a surtout le fait qu'il soit obligé de la faire partir parce que ce régime fanatique la menace. Il y a une petite partie de ma famille qui est allée faire un tour là où il ne fallait pas et qui est partie dans les nuages. Donc, de temps en temps, comme ça, ça me prend à la gorge quand je joue. C'est inégal, il y a des jours où ça prend et d'autres, non. C'est une chose qui hante encore mes jours. Alors tout ça, est pour le moment loin, mais quelques dangers semblent poindre à l'horizon, d'une autre manière, mais tout aussi dangereuse.

Lise Meitner a effectivement collaboré avec lui pendant 30 ans. Son nom n'est jamais apparu. Il a reçu le prix Nobel de chimie seul. Est-ce que le théâtre permet de gommer ce terme d'oublié de l'histoire ?

Oui, en racontant l'histoire et les oubliés de l'histoire. Évidemment, ça permet éventuellement de rendre justice. Pour répondre d'une manière différente à votre question, le théâtre permet tout. Il permet de vivre d'abord. Et qu'est-ce qu'il y a de plus précieux que la vie ? Rien.

"Ce qui est ennuyeux avec la vie, c'est qu'elle s'arrête à un moment donné. C'est dommage parce qu'on aimerait bien continuer."

Pierre Arditi

à franceinfo

Le théâtre, ça permet tout. Il y a deux catégories d'acteurs. Les acteurs qui font ça pour se perdre, pour s'oublier. Et la seconde catégorie qui fait ça pour se trouver. J'appartiens à la seconde. Par exemple, on vous dit toujours : "il faut se dépasser", non, il ne faut pas se dépasser. Cela ne veut absolument rien dire. Il faut s'atteindre. Se dépasser, cela signifierait qu'il faut courir et rattraper quelqu'un qui serait vous, qui vous regarde et qui tout d'un coup vous lâche parce qu'il court plus vite que vous. Et vous, à un moment donné, votre rêve, ce serait de courir à sa hauteur et ensuite de l'échapper, c'est-à-dire d'échapper à vous-même, c'est grotesque. Il faut s'atteindre, mais c'est beaucoup plus difficile.

Dans la pièce, il y a une phrase qui est mise en exergue : "Un homme sans passé est un homme sans avenir".

Si on ne sait pas d'où on vient, on ne peut pas savoir où on va. C'est à peu près la même chose. Moi, à mon âge maintenant, il y a une autre phrase, terrible celle-là, "ce qui nous reste à vivre, c'est ce que nous avons vécu". Et malheureusement, c'est vrai.

"À un moment donné, on se réfugie dans ce que nous avons vécu, bien ou mal."

Pierre Arditi

à franceinfo

 Il me reste à vivre beaucoup moins que ce que j'ai vécu. Je suis tout à fait nostalgique de ma vie d'avant et ma vie d'aujourd'hui, je m'y accroche tant que je peux, mais je sais qu'il y a toute une série de choses que je ne vivrai plus.

Quel regard portez-vous sur ce que vous avez déjà accompli jusqu'à aujourd'hui ?

La première personne que j'ai besoin de satisfaire, c'est moi. Je suis relativement narcissique, mais peut-être pour une bonne raison. Tout ça a fait que je me connais assez bien et que je suis très intransigeant avec moi-même. Et c'est un titre de gloire, car c'est très difficile d'être intransigeant avec soi-même, parce qu'on peut se débrouiller avec tout ça. Quand les gens vous aiment bien, vous pouvez vous débrouiller avec ça, vous en contenter. Moi, je ne m'en contente jamais. C'est un des métiers quand vous réussissez un peu, la meilleure des récompenses, c'est celle-là. Quand les gens viennent vous dire : "merci, on a passé une soirée formidable, on vous adore", c'est du miel. Est-ce que ce miel aurait existé si j'avais été différent ? Je n'en sais rien. Je ne crois pas. Je ne me suis pas dépassé, je me suis atteint, mais je continue de courir. Simplement, maintenant, je ne cours plus derrière lui, je cours à côté. Et quelques fois, il me regarde avec un clin d'œil et celui que je devais être ne me dépasse plus, je le suis devenu.

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