Mike Ibrahim raconte les difficultés de la mémoire et de la transmission : "Par l'échange, on arrive à se construire une vérité commune"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Jeudi 11 septembre 2025, l'auteur, compositeur et interprète Mike Ibrahim. Son nouvel album, "La ballade de Salvatore Lupo" est sorti vendredi 5 septembre.

Article rédigé par Elodie Suigo, Étienne Presumey
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Mike Ibrahim, invité de franceinfo, le 11 septembre 2025. (franceinfo / Radio France)
Mike Ibrahim, invité de franceinfo, le 11 septembre 2025. (franceinfo / Radio France)

C'est par les mots que Mike Ibrahim a réussi à se raconter, à nous conter le monde tel qu'il le perçoit, lui, le citoyen du monde assumé. Il a grandi entre la Martinique et Paris, autant de décors et de couleurs pour alimenter l'encre de sa plume. Il a d'ores et déjà écrit pour les plus grands Julien Clerc, Johnny Hallyday et pour lui-même. Il a reçu le Prix de la chanson de l'année décerné par l'Union des auteurs-compositeurs pour Tomber sous le charme de Christophe Maé. Depuis, vendredi 5 septembre 2025, son nouvel album, La ballade de Salvatore Lupo, est disponible. Salvatore Lupo est cet homme qui a permis de retrouver et d'officialiser la mort de 298 migrants qui avaient disparu dans la mer au large de la Sicile, en 1996. Pendant des mois et des années, il y a eu une espèce de déni pour protéger les rivages et donc les pêcheurs.

franceinfo : Cet album raconte avant tout l'importance de la mémoire, parfois solide, parfois instable. Est-ce que c'est essentiel d'avoir bonne mémoire ?

Mike Ibrahim : Je crois en la force du récit plus qu'en la force de la mémoire en fait. C'est ça qui est important, parce que c'est ça qui peut se transmettre. La mémoire, on ne peut jamais vraiment la transmettre. Les mémoires informatiques s'effacent en un clin d'œil, peut-être que dans 20, 30 ans, tous les disques durs seront effacés et qu'il va falloir justement reconstruire des mémoires. Je pense qu'il faut chérir les mémoires transmissibles et pas les rames qu'il y a dans les ordinateurs, tous ces trucs-là, ça s'efface.

"J'essaye plutôt d'écrire des récits et pour moi, c'est ça l'idée de la mémoire, la réécrire, se réinventer."

Mike Ibrahim

à franceinfo

Votre dernier album comporte onze titres, onze tableaux de ce que la mémoire a finalement d'immense ou de restreint. Vous abordez les croyances, notre capacité à entendre ou à écouter, à tenir compte de ce que les gens nous racontent. C'est important ça aussi de faire prendre conscience à toutes celles et ceux qui écoutent cet album que l'histoire, c'est quelque chose qu'il faut absorber et accepter ?

Il faut absorber, il faut écouter, il faut surtout échanger. Comme dit Édouard Glissant, "Il faut essayer de changer en échangeant". Par l'échange, en fait, on arrive à se construire une vérité commune et c'est ça qui est important. En fait, c'est la vérité commune, et pas qu'on ait chacun nos vérités dans notre coin, en essayant de les imposer à l'autre.

Vous nous racontez à travers le titre l'Île de la désolation, la douleur de l'histoire commune qui est ancrée dans chacun de nous et davantage chez les insulaires et pourtant, cette île, elle est vitale en fait.

Oui, le côté insulaire est vital, mais le côté insulaire peut être isolant, sclérosant. Après cette chanson, L'Île de la désolation ne parle pas directement de la Martinique. C'est une île qu'il y a près des Kerguelen, donc vraiment au bout du monde au pôle Sud. C'est une île où il n'y a rien, il n'y a que des manchots. Mon père partait en mission aux Kerguelen parce qu'il travaillait pour le CNRS et donc en fait, c'est vraiment une chanson sur l'absence du père, sûr, qu'est-ce que c'est d'être un enfant de divorcés et aussi sur les légendes qu'on construit sur nos parents. Après, en grandissant, on découvre que la légende n'est pas forcément la réalité. Et voilà. Cette chanson, c'est vraiment plus une lettre à mon père, mais c'est une chanson un peu amère, qui parle de vengeance, mais toujours avec amour.

Est-ce qu'on arrive à pardonner, surtout quand on devient soi-même papa, en se disant qu'il ne faut pas reproduire la même chose ?

Oui, mais en fait la question, ce n'est pas tant pardonner l'autre, mais se pardonner soi-même.

"Les enfants culpabilisent beaucoup pour tout et quand il arrive quelque chose à leurs parents, ils ont toujours l'impression que c'est de leur faute."

Mike Ibrahim

à franceinfo

Si les parents ont un gros problème, les enfants vont internaliser et culpabiliser. Donc moi, plutôt que de chercher à pardonner à mes parents, j'essaie plutôt de pardonner à l'enfant qui est en moi en lui disant que ce n'est pas de sa faute. Ce qui s'est passé et tous les problèmes qu'il a vécus étaient des choses d'adultes.

Il y a un côté très Henri Salvador dans le phrasé dans certaines chansons sans la légèreté qu'il avait, mais avec un côté assez marqué de prise de conscience et d'importante de dire les choses.

D'après ce qu'on m'a raconté, il avait aussi un côté très sombre. Je pense qu'il offrait au public quelque chose d'assez joyeux parce que, c'est un peu comme ça aussi qu'on l'a connu. Il a eu des succès pour des chansons assez légères, mais j'ai cru comprendre aussi qu'il avait des parts d'ombre qui sont un peu arrivées sur la fin de sa vie, qui sont remontées à la surface. Mais en tout cas, c'est un grand compliment parce que c'est quand même un de nos grands chanteurs.

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