"Les identitarismes sont tels qu'on s'interdit même d'emprunter quoi que ce soit à une autre culture", regrette le philosophe Souleymane Bachir Diagne
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mardi 19 novembre 2024 : le philosophe Souleymane Bachir Diagne. Il vient de publier un nouvel ouvrage aux éditions Albin Michel, "Universaliser - L’humanité par les moyens d’humanité".
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Souleymane Bachir Diagne est l'un des plus grands philosophes de notre temps. Il est, après Omar Blondin Diop, l'un des premiers sénégalais à avoir intégré l'École normale supérieure à Paris. Depuis 2008, il est professeur de philosophie à l'Université de Columbia à New York, où il dirige l'Institut d'Études Africaines, offrant de casser ce mutisme imposé à l'Afrique. Il vient de publier un nouvel ouvrage : Universaliser - L’humanité par les moyens d’humanité, aux éditions Albin Michel.
franceinfo : Avec votre dernier ouvrage, vous encouragez un monde pluriel et prônez une humanité universelle qui doit lutter contre l'identitarisme, le tribalisme et le nationalisme. Comment fait-on alors pour réinventer l'universel ?
Souleymane Bachir Diagne : Comme l'indique le verbe 'universaliser', on se met tous ensemble. On considère qu'il n'y a pas d'universel donné qui serait l'universel d'une certaine région du monde, qui aurait ainsi la mission de l'apporter au reste du monde. On considère comme dans une citation de Léopold Sédar Senghor que je donne, qu'il faut se mettre ensemble et cette fois-ci, dit-il, "inventer ensemble l'humanisme dont notre siècle".
C'est vrai que vous mettez depuis le début dans vos ouvrages, au centre de votre travail, le mutisme africain. À l’intérieur de cet ouvrage, vous parlez de la décolonisation, de ce que signifie ce mot, et donc ces époques qui vont avec. Ce sont des clefs ?
Ce que je mets sous le mot de décolonisation, c'est le fait qu'il y ait une sorte d'insurrection de toutes les cultures du monde, de toutes les langues du monde, qu'elles ne soient pas écrasées par une uniformisation. C'est aussi cela que visait la colonisation, s'assimiler les autres, les rendre identiques à soi.
"Le pluriel du monde est important, mais il est tout aussi important qu'il soit orienté vers un horizon d'universalité."
Souleymane Bachir Diagneà franceinfo
Je voudrais qu'on parle justement de l'importance et de la force de la philosophie. Vous dites que l'esprit est immortel. Est-ce que la philosophie permet justement de dépasser notre côté mortel ?
Oui et c'est la raison pour laquelle d'ailleurs, il n'y a rien de plus important que la classe de philosophie. En France et dans le monde francophone, nous partageons cette classe de philosophie, c'est-à-dire que nous estimons qu'au moment où les élèves terminent leurs études secondaires, ils et elles doivent avoir une année de réflexion philosophique. C'est fondamental. Et la raison pour laquelle cette classe est importante, le fait d'avoir eu un enseignement de philosophie, c'est précisément qu'on prend l'habitude de construire et de penser, par exemple, des concepts comme l'humanité. Ce n'est pas naturel de penser l'humanité. Ce qui est plus naturel, évidemment, c'est de penser son clan, ceux qui vous ressemblent, ceux qui ont la même couleur de peau ou qui ont la même religion, le même langage, la même langue, etc.
"L'idée d'humanité elle-même est une construction philosophique."
Souleymane Bachir Diagneà franceinfo
Ce que vous visez, vous, c'est l'unanimité. C'est ça le travail que vous essayez d'accomplir ?
Il faut bien entendre qu'unanimité signifie une seule âme, un seul esprit. Ça ne signifie pas qu'on écrase les différences sous une imposition d'une orientation commune. Partager le même esprit, c'est parler même langage. Et cette unanimité, en effet, il faut travailler à la faire advenir et j'essaye d'y contribuer et mon livre essaye d'y contribuer.
Cela vous peine de voir toutes ces guerres, cette haine ? Vous parlez de cette haine à l'intérieur de cet ouvrage. Vous dites qu'on a plus tendance à se haïr qu'à s'aimer, qu'à vouloir être ensemble.
Mais oui, ça me désespère, ça désespère tout le monde. Ce n'est pas simplement de la peine. Et j'utilise à dessein ce mot de désespérer parce que la tentation est celle-là, de se dire qu'au fond, notre monde est ainsi fait, que l'homme est un loup pour l'homme et qu'il en sera toujours ainsi. Eh bien, il faut sortir, s'arracher de cette tentative et de cette tentation de désespéré pour au contraire se dire qu'une aspiration à l'humanité est aussi la réalité de qui nous sommes. Et c'est dans la direction de cette aspiration à l'humanité, une humanité une que nous devons nous diriger. Et c'est là le sens de l'action que nous devons mener.
Nelson Mandela disait que plutôt que de construire des murs, il serait de bon ton qu'on construise des ponts. Est-ce que c'est ça la philosophie et l'objet de votre travail ?
L'objet de mon travail est là. En effet, que signifie un pont construit entre les cultures et les langues ? Cela signifie que les langues et les cultures ne sont pas des insularités, qu'il est possible pour une langue de parler à une autre langue. Et en faisant cela, nous traduisons une culture dans le langage d'une autre culture. Nous sommes aujourd'hui dans un climat où les identitarismes sont tels qu'on s'interdit même d'emprunter quoi que ce soit à une autre culture, comme si nous étions tous dans des couloirs déterminés et qu'il ne fallait pas empiéter sur le couloir de quelqu'un d'autre. C'est la signification de l'Apartheid. L'Apartheid disait que les cultures humaines sont des sortes de couloirs qui ne communiquent pas et qu'elles doivent être développées de manières séparées.
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