I Muvrini continue son combat pour la non-violence dans "Nulu 33" : "Dans cette période, les anticorps culturels sont importants"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 20 juin 2025, l'auteur, compositeur, interprète et membre du groupe corse, I Muvrini, Jean-François Bernardini. Le groupe sort un nouvel album, "Nulu 33".

Article rédigé par Elodie Suigo, Étienne Presumey
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Le groupe I Muvrini, en concert à Saint-Etienne, en avril 2022. (CHARLY JURINE PRO / MAXPPP)
Le groupe I Muvrini, en concert à Saint-Etienne, en avril 2022. (CHARLY JURINE PRO / MAXPPP)

Jean-François Bernardini est l'un des fondateurs du groupe corse I Muvrini, ce qui signifie les petits mouflons, des ovins sauvages qui ressemblent à des moutons domestiques, mais loin de l'image du mouton qui suit sans vraiment réfléchir. I Muvrini est tout l'inverse, une famille de passionnés de chant corse et de musiques du monde, de variétés et de poésie aussi. Depuis sa création, le groupe s'est constitué un beau répertoire avec à la clé huit disques d'or, deux Victoires de la musique, des chansons qui leur ressemblent dans le combat qu'ils mènent pour la non-violence. Le 30 mai 2025, I Muvrini a sorti Nulu 33, leur nouvel album qui comprend 11 titres pour célébrer la vie, tous ensemble.

franceinfo : Vous venez aussi de publier Zeru Vergogna, que vous définissez comme une semi-fiction, avec Laurina Marchi, aux éditions AGFB. Les deux œuvres se rejoignent dans le besoin de célébrer la vie, comme l'écrivait Sénèque "faire vouloir au peuple ce qu'il ne veut pas, voilà la vraie puissance".

Jean-François Bernardini : On va essayer justement de faire vouloir au peuple ce qu'il veut. Je crois que dans cette période, les anticorps culturels sont importants. Dans cette période où la langue poétique a de moins en moins de place, où on a envie quelquefois de s'extraire de ce narratif quotidien de tous les dysrégulés du monde qui nous asphyxie. C'est bien quelquefois de prendre de la hauteur, et la culture est, non pas un refuge, mais peut-être cette oasis dont on a besoin.

Votre devise reste que rien ne nous sépare et de nous mettre au service de ce qui est plus grand que nous. Qu'est-ce que ça signifie ?

On a tous besoin d'avoir quelque chose plus grand que notre clocher, notre nombril, notre petit chemin. On a besoin de cette hauteur qui nous fait humain, le lien entre les humains n'est pas fait que de sang. Il est fait de liens immatériels, de nourriture immatérielle et de nourriture spirituelle. C'est très important de savoir d'où l'on vient. C'est très important de savoir d'où l'on part, de cette nourriture qui fait votre colonne vertébrale, de ce que le monde paysan universel, pas que Corse, vous apprend. Avec la musique, c'est merveilleux de pouvoir tisser ce lien en permanence. Je voudrais vous dire que dès le début, il était impossible, inimaginable qu'un groupe venant de Corse, chantant dans une langue qui est parlée par quelques dizaines de milliers de personnes, trouve des ports d'attache partout en Europe et au-delà. Ça, je crois que c'est une réponse, un message que nous envoie la société mondiale, il y a besoin de liens.

"Il y a besoin de tisserands dans un monde où il y a beaucoup de déchirures."

I Muvrini

à franceinfo

La scène, c'est justement le moment de vérité où on est les yeux dans les yeux avec le public et où effectivement les textes sont entendus. Il y a surtout une espèce de cohésion d'équipe et de famille, qui se crée.

On est toujours stupéfait, dans cette société de l'emballage, combien les publics viennent aujourd'hui chercher auprès de ces musiques une nourriture, du pain pour le cœur, pour l'âme du sens. L'art, c'est faire face et la scène, c'est un moment privilégié pour partager ça. J'ai presque envie de dire qu'il n'y a rien de plus beau qu'une salle pleine, une salle où on allume la lumière. Être dans la lumière, ça ne veut pas dire, je veux que ça scintille partout. Être dans la lumière, c'est porter une lumière intérieure dans le cœur, dans l'âme des gens qui sortent en vous disant, ça fait du bien, ça nous met debout. C'est peut-être de cette vraie nourriture culturelle, dont nous sommes tous en quête. C'est très important de nourrir ce qui nous fait humain, où que l'on soit sur la planète, cet esprit, cette lumière, cette nourriture fondamentale.

Vous chantez en corse, "Ne demande pas la lune, nous avons déjà les étoiles et la terre et les nuages", ça signifie qu'on ne se contente pas assez de ce qu'on a ?

Comment voulez-vous que l'on donne de l'empathie à la planète si nous-mêmes, nous n'en avons pas reçu dès la toute petite enfance ? Vous savez, j'entendais récemment une voix du peuple Mapuche en Argentine qui disait, le fleuve, il est là depuis des millénaires. Sa vie à lui, elle est aussi importante que la nôtre, parce que c'est une vie d'éternité. Donc, si on perd ce rapport au vivant, notre interdépendance avec ce qui nous entoure, avec les fleurs, les sources, les arbres, les fontaines, l'air que nous respirons, l'eau que nous buvons, nous sommes hors-sol. Devant nous, ce n'est pas un mur, c'est une réconciliation avec ce vivant qui est devant nous et tous, nous en sommes capables. Encore faut-il partir de cette prise de conscience et dire, on peut faire quelque chose.

"Nous croyons, nous, non pas aux lendemains qui chantent, nous croyons aux petits pas."

Jean-François Bernadini

à franceinfo

Là où tu es, commence par un petit pas, le plus petit possible que tu puisses faire, mais cette addition de petits pas, c'est elle qui transforme et qui est à l'origine de la métamorphose du monde dont nous pouvons rêver ensemble.

Quand on écoute le titre Campa, ça rejoint ce qu'il y a dans le livre Zeru Vergogna, c'est-à-dire ce qui a été dit et qui a été nommé, on peut le surmonter. Est-ce que c'est la solution ?

Ça commence par allumer cette lumière, notre véritable nature. Vivre, c'est un miracle, et donc, Campa, c'est cet hymne, cette manière de célébrer et de dire, ce droit-là, il est fondamental et essentiel. Nous avons du mal à repérer ce qui est invisible, ce qui n'est pas dit tous les jours. Pourtant, c'est bien de cela dont nous avons profondément besoin. La musique, à sa manière, a cette fonction essentielle de donner, de nous reconnecter avec ce qui est de la nourriture pour l'âme, pour le cœur et la conscience.

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.