"Bach est là pour nous remettre les pieds sur terre" : Alexandre Tharaud rend hommage au compositeur allemand dans un nouvel album

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 31 janvier 2025 : le pianiste Alexandre Tharaud. En octobre 2024 est sorti son album "Bach" et il est concert à la Philharmonie de Paris du 31 janvier au 2 février, ainsi que le 28 février.

Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le pianiste Alexandre Tharaud, à Deauville, le 2 septembre 2022. (MARTIN ROCHE / OUEST-FRANCE / MAXPPP)
Le pianiste Alexandre Tharaud, à Deauville, le 2 septembre 2022. (MARTIN ROCHE / OUEST-FRANCE / MAXPPP)

Alexandre Tharaud est l'un des pianistes préféré des Français. Son instrument l'accompagne depuis sa plus tendre enfance alors que sa carrière a débuté, il y a plus de 30 ans. Il a passé trois décennies à peaufiner son jeu, à poser ses mains et à parcourir les touches de cet instrument devenu son plus grand confident et partenaire de vie, de joies et parfois de peines. Depuis quelques semaines, il a sorti l'album Bach et il est en concert avec ses concertos contemporains qui sortiront en CD digital, en avril 2025.

franceinfo : Que vous procure aujourd'hui le plaisir de jouer ?

Alexandre Tharaud : D'abord une sensation physique. Pour moi, le piano, c'est toucher l'ivoire. Je me souviens, quand j'étais enfant, je me mettais sur les pédales en laiton de ce vieux piano droit qui venait de mes arrière-grands-parents dans notre appartement. J'aimais lui toucher, au fond, toutes ces matières. Encore aujourd'hui, quand j'arrive sur une scène, pas en public, mais le matin, pendant la répétition, la première chose que je fais, c'est de me pencher à l'intérieur, dans son ventre et de le renifler.

C'est par la scène que vous avez découvert le monde artistique. Au départ, vous vouliez être, soit prestidigitateur, soit danseur, mais en tout cas, vous vouliez jouer avec la scène.

Oui, je trouve que la scène, c'est l'endroit où on se sent le mieux. C'est absolument incroyable. D'ailleurs, les gens qui en ont fait ne peuvent plus s'en séparer. C'est un lieu où on a l'impression de vivre tout, à la puissance 1 000, et vous êtes protégé.

"J'ai l'impression que dans la vie, il y a deux endroits où on est vraiment protégé, c'est son lit et la scène."

Alexandre Tharaud

à franceinfo

Deux lieux, d'ailleurs, où l'on fait l'amour et où on ressent les choses de manière décuplée.

Vous avez décidé de vous attaquer à Bach, un personnage qui a été boudé très longtemps, en tout cas tout au long de sa vie. Qu'est-ce qui vous plaît chez ce compositeur ?

Bach, c'est notre patriarche à tous, nous musiciens. Quand on a six mois de piano, notre professeur nous donne un petit prélude de Bach et tout au long de la vie, déjà au conservatoire, vers quatorze-quinze ans, il accompagne l'adolescent avec des suites anglaises. Il le forge, il aligne son corps avec le clavier dans cette période si difficile de l'adolescence, il le construit encore une fois. Ensuite, au jeune âge adulte, le jeune pianiste se sent galvanisé par Bach dans cette carrière difficile de soliste avec les décalages horaires et le répertoire qu'on doit toujours renouveler. Bach est là pour nous recentrer et nous remettre les pieds sur terre.

Bach avait deux maîtrises, la composition d'une part et le contrepoint. Est-ce que quand on interprète Bach, on ressent ce travail de composition et ce travail de contrepoint ?

Absolument. Le contrepoint, c'est arriver à mettre plusieurs phrases musicales, plusieurs mélodies en quelque sorte, ensemble, les unes sur les autres. C'est fascinant comme Bach nous offre l'horizontalité et en même temps la verticalité. 

"Quand vous mettez plusieurs mélodies l'une sur l'autre, il faut que les harmonies marchent ensemble et donc on a cette impression de verticalité et d’horizontalité."

Alexandre Tharaud

à franceinfo

Quand nous, pianistes, on travaille ce compositeur, on perfectionne l'indépendance des mains. On a l'impression déjà que devant un clavier, tout est aligné, les touches noires, les touches blanches. On est de profil par rapport au public, mais face au clavier, à la partition, à la musique et aux cordes qui vibrent. Bach nous forge et nous cimente dans cette position.

Que représente cet album de Bach ?

J'imagine qu'il me représente un peu parce que de disque en disque, maintenant, j'en suis à 60, c'est toujours une sorte de photo d'un instant de ma vie. Comme certaines personnes collectionnent les photomatons toute leur vie. Depuis les années de conservatoire, maintenant depuis 30 ans, très régulièrement, je prends une partition de Bach pour chœur, pour orchestre, pour orgue ou pour clavecin et je la transcris à mon instrument, donc c'est un peu une histoire. Il raconte ce parcours comme ça depuis l'adolescence, mon parcours de transcripteur.

Est-ce que par moments vous en avez eu marre du piano ?

Tout le temps. Je n'ai d'ailleurs pas de piano à la maison depuis 28 ans. Ça prouve que je n'ai pas besoin de lui, mais c'est un instrument, un médium par lequel on peut faire passer les messages des compositeurs.

Et est-ce que parfois, il vous manque ?

Oui, c'est pour ça que je ne vis pas avec lui, comme un vieux couple, il faut garder la flamme. Vous savez, on peut être vite fatigué dans la vie quand on est pianiste, soliste, voyageur. Quand j'ouvre la lumière de la chambre d'hôtel à Tokyo ou à New York, que le soir, je dois jouer un concerto de Liszt ou de Prokofiev, parfois je n'en ai pas envie, et ça arrive souvent. Donc on a les clés et toute la journée va nous préparer, à trouver l'inspiration, la force physique, mentale aussi, de se montrer en pleine lumière parfois devant 2 000 personnes. C'est tout un travail de garder ce désir d'être en scène, de partager la musique.

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