Témoignages
"On veut nous empêcher de faire quelque chose qui nous plaît" : ces joueuses de rugby voilées réagissent à la proposition de loi pour interdire le port du voile dans le sport

Rencontre avec trois jeunes joueuses du club de rugby de Saint-Denis, en région parisienne, qui portent un voile pendant leurs entraînements, alors que l'Assemblée nationale s'apprête à examiner le projet de loi sur son interdiction lors de compétitions sportives.

Article rédigé par franceinfo
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L'interdiction du port du voile dans les compétitions sportives, y compris au niveau amateur, voulue par une proposition de loi ne convient pas aux premières concernées, des joueuses de rugby voilées. (MICHEL CLEMENTZ / MAXPPP)
L'interdiction du port du voile dans les compétitions sportives, y compris au niveau amateur, voulue par une proposition de loi ne convient pas aux premières concernées, des joueuses de rugby voilées. (MICHEL CLEMENTZ / MAXPPP)

C'est une proposition de loi qui divise la classe politique et le gouvernement : l'interdiction du port du voile dans les compétitions sportives, y compris au niveau amateur. Les premières concernées, trois jeunes joueuses au club de rugby de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, ont accepté de témoigner auprès de franceinfo. 

Dans l'équipe, lors de l'entraînement, la moitié des joueuses portent un voile, ou plutôt une cagoule sportive. C'est le cas également lors des matches, et ce, même si la Fédération française de rugby a interdit cet été de porter, "tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse". Un règlement qui, pour l'instant, n'est pas appliqué.

Mais évidemment, avec le débat parlementaire en cours, cela devient plus concret et cela heurte Fazla et Camissa, 18 ans. Elles jouent au rugby depuis trois ans. "Vraiment, ça nous touche que nous, on nous vise comme ça, à nous attaquer sans raison, parce qu'en soi, ça dérange vraiment personne", dit Fazla. "J'ai l'impression qu'on est la seule religion qui est pointée du doigt à chaque fois", ajoute Camissa, qui déplore que d'autres joueurs, fidjiens ou tongiens, dessinent parfois des croix chrétiennes sur leurs straps "et ça ne dérange personne, mais un voile, ça dérange".

"J'ai l'impression qu'on est la seule religion qui est pointée du doigt à chaque fois."

Camissa, joueuse de rugby amatrice

à franceinfo

Pour ces jeunes femmes et plusieurs dirigeants de clubs contactés par franceinfo, ce texte dont le nom précis est "Proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport" cible les musulmanes.

C'est également ce que ressent une autre joueuse de 18 ans : "Je suis un peu énervée, sans vous mentir, confie d'emblée celle qui joue au rugby depuis six ans. Les lois qui ont été faites en 1905 pour la laïcité, ce sont des lois qui sont justement censées nous libérer, nous permettre de pratiquer librement nos religions. Là, j'ai l'impression qu'on nous opprime, peut-être que c'est un mot assez fort, reconnaît-elle, mais en fait, j'ai l'impression qu'on veut m'empêcher de faire quelque chose qui me plaît, juste parce que je suis voilée. Et moi, ça m'énerve. Dans certains pays du Moyen-Orient, on va interdire aux femmes de chanter, de se montrer. Mais en France, on veut nous empêcher de faire du sport. Je ne comprends pas trop, surtout pour un pays qui se dit aussi libre que la France, qui prône les libertés individuelles. Je trouve ça un peu hypocrite."

Au nom de la laïcité ?

La notion de laïcité et son interprétation posent problème, tout comme un autre argument des défenseurs de cette loi, les risques "d'entrisme" et de"séparatisme". Le but de cette proposition de loi, c'est de faire en sorte que "les salles et les terrains de sport" ne deviennent pas "de nouveaux espaces d’expression du séparatisme", selon François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l'Intérieur qui a soutenu cette loi au Sénat.

Or, pour ces jeunes femmes, c'est tout l'inverse, elles disent s'ouvrir aux autres, grâce au sport. "Ça nous a permis de découvrir d'autres personnes, mais sans se poser la question de sa religion, témoigne Fazla. Dans l'équipe, on n'est pas forcément toutes voilées ou toutes musulmanes et ça ne dérange personne. Le rugby permet de créer des liens, mais sans pour autant se poser la question de la religion ou de l'origine ou quoi que ce soit."

"Le rugby, ça ouvre sur le monde justement, et ce n'est pas quelque chose de communautaire comme on voudrait nous faire croire, où les femmes voilées se retrouvent dans des clubs de rugby pour pouvoir jouer entre elles. Au contraire !", enchérit Camissa. 

"C'est en dehors de l'école"

Les trois jeunes femmes passent leur bac et au lycée, elles enlèvent leur voile. Alors quelles différences font-elles entre l'école et un terrain de rugby ? "Au lycée, on sait qu'on n'a pas le droit au voile, mais quand on est en dehors du lycée, on fait un sport en dehors du lycée. Ça nous dérangerait d'enlever notre voile, parce que c'est en dehors de l'école", estime Camissa.

"Surtout qu'on vient au rugby pour décompresser !, ajoute Fazla. On ne peut pas mettre de côté notre religion pour le sport, même si on sait que le sport, c'est tout pour nous maintenant". Pour leur autre coéquipière aussi, enlever son voile pendant son entraînement serait impossible. "Je suis Française donc je dois me plier à la loi, et sachant que l'école, c'est obligatoire, je n'ai pas trop le choix. Mais je ne pense pas que je l'accepterai pour le rugby. Je pense que je fais assez de sacrifices pour la République, mais d'un côté, elle n'en fait pas pour moi."

Les trois avouent qu'en cas d'interdiction du voile dans le sport, soit elles arrêteront le rugby, soit elles trouveront une parade que certaines appliquent déjà au niveau Élite, elles mettent des casques sur le voile ou un casque faisant office de voile. 

Soutien des dirigeants

Du côté des dirigeants, tous ceux qui ont été contactés par franceinfo et qui ont des femmes voilées dans leurs clubs les soutiennent, comme Olivier Glévéo, président du club de Saint-Denis Rugby 93. "On demande beaucoup à ces jeunes filles. Donc il faut que nous, en tant que président, on leur montre que le club on fait corps, qu'on a envie qu'elles continuent à pratiquer leur sport. Ce n'est pas anodin de venir jouer au rugby, au milieu des cités, pour des jeunes femmes, c'est vraiment passer un cap. Elles l'ont fait et on veut que ça continue." 

Pour ce dirigeant, ces filles sont donc simplement des joueuses de rugby rapides, véloces, intelligentes. Il insiste sur le fait que pour l'instant, aucun dirigeant de clubs délégués ou arbitres n'a porté de réclamation lors d'un match.

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