Témoignages
Cinq ans de la crise du Covid-19 : "Je n'ai jamais vraiment réussi à m'intégrer dans ma promotion", confient ces bacheliers de 2020

Ils ont passé leur bac en 2020, en pleine épidémie de Covid et se sont ensuite lancés dans les études supérieures dans un contexte particulier. Cinq ans après, franceinfo donne la parole à cette génération marquée par les confinements.

Article rédigé par Noémie Bonnin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Les jeunes qui ont passé le bac en 2020 ont débuté leurs études dans un contexte très particulier, entre restrictions diverses et isolement. (LILIAN CAZABET / HANS LUCAS VIA AFP)
Les jeunes qui ont passé le bac en 2020 ont débuté leurs études dans un contexte très particulier, entre restrictions diverses et isolement. (LILIAN CAZABET / HANS LUCAS VIA AFP)

Si l'épidémie de Covid, cinq ans après, est bien terminée. Les effets de cette période se constatent encore, chez un certain nombre d'étudiants. Notamment les jeunes qui ont passé le bac en 2020, après un printemps confiné, et qui ont ensuite débuté leurs études dans un contexte très particulier, entre restrictions diverses et isolement. Certains ont du mal à se remettre de ces bouleversements.

Audrey a 22 ans aujourd'hui. Les souvenirs qu'elle garde du premier confinement, alors qu'elle était en Terminale dans le Val d'Oise, sont encore nets : "Beaucoup de solitude, l'impression que c'est un gros trou noir." Comme beaucoup, elle a souffert de la brutalité de la décision. Du jour au lendemain, devoir rester chez elle, le plus souvent entre les quatre murs de sa chambre, en tête-à-tête avec son téléphone et son ordinateur, l'a traumatisée.

"Ça me stresse quand il y a beaucoup de monde"

Même le bac qu'elle décroche à la fin de l'année lui laisse un goût amer, puisqu'il est basé uniquement sur le contrôle continu : "Un bac sans bac... Pas d'épreuve, pas de joie qu'on peut voir chez les autres. Et puis même la remise du diplôme : juste un papier donné sur un coin de table, et puis au revoir." En septembre 2020, Audrey commence une licence de langue, à la fac, mais à mi-temps : l'épidémie est encore très présente. La jeune femme se sent seule et perdue. Un nouveau confinement mettra un point final à son cursus, au bout de quelques mois seulement.

Cinq ans après, Audrey, qui s'est réorientée dans une école d'infirmière, souffre encore d'isolement social avec une phobie de la foule : "Ça me stresse quand il y a beaucoup de monde ou alors quand ça va être très rapproché, par exemple, refaire la bise pour moi ce n'est toujours pas possible. C'est complètement incohérent et je le sais, j'ai des connaissances en plus."

"On n’est pas sous la même menace qu'au temps du Covid. N'empêche que le cerveau n'arrive pas à faire la part des choses."

Audrey

à franceinfo

Audrey dit éviter au maximum les sorties étudiantes. Le seul endroit où la jeune femme se sent en sécurité, finalement, c'est lorsqu'elle est seule dans sa chambre.

Cette crainte de l'autre, franceinfo l'a constatée chez beaucoup de jeunes rencontrés pour ce reportage. Hugo, par exemple, dans le Rhône. Lui aussi a passé le bac en 2020 et aujourd'hui, il est loin d'avoir la vie d'étudiant fêtard que l'on imagine parfois : "Je n'ai jamais vraiment réussi à m'intégrer dans ma promotion. Entre la fatigue, les stages, les cours, je ne sors pas. Je pense que je peux dire que je suis isolé."

"Les cours en numérique, j'ai du mal à les suivre"

L'étudiant faisait beaucoup de sport avant l'épidémie. Le premier confinement l'a stoppé net. Aujourd'hui, il n'a toujours pas repris. Cette solitude se mêle à une détestation du numérique. Hugo est traumatisé par la période où tout passait par un écran : "Aujourd'hui, je ne réponds plus aux messages rapidement, ma boîte de messagerie sature. Il y a plein de notifications tout le temps et ça ne me donne pas du tout envie d'aller sur mon téléphone. Même tous les cours qui sont en numérique, j'ai du mal à les suivre. J'essaye mais on décroche très vite, dès les premières minutes, et en plus ça ne marche jamais."

Le service de santé universitaire, mars 2025. (NOEMIE BONNIN / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Le service de santé universitaire, mars 2025. (NOEMIE BONNIN / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

D'après la directrice du service de santé étudiant de plusieurs universités parisiennes, cette difficulté persistante dans les relations sociales est courante pour cette génération. Muriel Prudhomme constate aussi une très grosse crainte, encore aujourd'hui, d'un nouveau confinement : "Dès qu'il y a un mouvement social avec la fac qui est fermée et des cours qui rebasculent en distanciel, tout de suite ça les inquiète et on voit un pic d'appels téléphoniques. On sent qu'on est toujours un peu sur le fil du rasoir."

"À cet âge-là, ils ont besoin d'être rassurés sur leurs capacités à créer du lien social"

D'un point de vue général, la proportion d'étudiants qui souffrent de dépression, ou qui ont des idées suicidaires, est plus élevée qu'avant le Covid, selon une étude récente de l'université de Bordeaux. "Ce que l'on observe dans nos études, c'est qu'il y a toujours une détérioration de la santé mentale des étudiants et que nous ne sommes pas revenus aux chiffres d'avant épidémie de Covid, analyse Mélissa Macalli, chargée de recherche Inserm en santé publique. A l'université de Bordeaux par exemple, on a observé qu'il y avait plus de 40% d'étudiants avec une syptomologie dépressive modérée à sévère, contre 26% avant l'épidémie". Le phénomène se remarque d'ailleurs dans plusieurs autres pays européens.

Les confinements sont intervenus, pour ces jeunes, à un moment-clé, où ils sont censés se construire socialement : "À cet âge-là, ils ont besoin de créer du lien social, d'être rassurés sur leurs capacités à créer du lien social."

"Se préparer pour la vie professionnelle, c'est aussi se préparer à avoir du lien social et à avoir une place dans la société."

Muriel Prudhomme

à franceinfo

Cette place, certains étudiants commencent à la trouver. Il y a par exemple Lisa, en master direction de projets culturels, qui tente de sortir de son anxiété sociale et de ses idées noires en s'engageant à fond dans une association étudiante, pour motiver ses camarades à sortir et à voir du monde.

Audrey s'épanouit, elle, dans sa formation d'infirmière : "C'est ça que je veux apporter aux gens. Les aider au moment où ils vont le plus mal et où c'est sensible pour eux. C'est ce que je fais et c'est ce que j'aime, donc c'est soigner ou rien." Une révélation inspirée par le Covid : la seule note positive qu'elle tire de cette période.

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