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Témoignages
"Ça a anéanti tous mes rêves" : la désillusion des enquêteurs de police, entre surcharge de travail et perte de sens
Le métier d'enquêteur n'attire plus comme avant, les écoles de police peinent à recruter. Plusieurs policiers ou anciens policiers témoignent de leurs conditions de travail et de leur déception. Les syndicats réclament notamment un allègement des procédures et la création d’une filière spéciale dès l’école.
Le blues des enquêteurs de police. Autrefois fantasmé, le métier n'a effectivement plus la cote. Ce sont eux qui ont traqué Mohamed Amra, qui identifient les voleurs de voitures ou qui mènent les gardes à vue d'auteurs de violences conjugales. Mais entre surcharge de travail et perte de sens, le ministère de l'Intérieur peine à recruter.
Pour comprendre pourquoi, direction chez un policier qui a une longue carrière dans l'investigation. Aujourd'hui, il veut tout arrêter. La police, pourtant, c'est sa passion, son rêve d'enfant. Celui qu'on appellera Théo pour protéger son anonymat est enquêteur depuis une trentaine d'années. Il expose toutes ses décorations chez lui, dans l'entrée : "Là, c'est la médaille qui m'a été offerte à mon départ du Quai des Orfèvres. Celle-ci, j'en suis très fier."
Le Quai des Orfèvres, le nom du siège historique de la police judiciaire. Âgé d'une cinquantaine d'années, Théo est officier de police judiciaire. Dans son commissariat du nord de la France, c'est lui qui mène et coordonne les enquêtes. Mais pour la première fois, il est à bout. "Je n'ai plus le goût... Avant, quand on était le vendredi, je me disais : 'vivement lundi'. Maintenant, j'y vais à reculons. Il n'y a plus de sens. J'ai des collègues qui ont 700, 800, 1 000 dossiers par tête. C'est impossible." Lui arrive-t-il de prendre une plainte et de se dire que cela ne servira à rien ? "Honnêtement, oui. Mais tout policier vous le dira", répond-il.
Une prime pour attirer des nouvelles recrues
Submergé par le nombre de procédures à traiter, Théo se dit aussi fatigué par le manque de considération, par les changements imposés par sa hiérarchie. "Au gré des différents gouvernements, les priorités de politique nationale changent régulièrement, poursuit-il. Pendant un moment c'étaient les cambriolages, ensuite c'étaient les violences intrafamiliales, maintenant, c'est le narcotrafic. Tous les ans, il y a une priorité, tout est prioritaire. Mais à chaque fois, on ne nous donne pas forcément les moyens."
Une prime d'une centaine d'euros par mois est versée aux officiers de police judiciaire pour attirer de nouveaux enquêteurs. Elle est peu attractive parce qu'elle est sensiblement la même que celle allouée aux policiers sur le terrain. Théo gagne 2 500 euros net par mois. "Vous travaillez les week-ends, vous travaillez les jours fériés", ajoute-t-il.
"Vous voulez prendre des congés en même temps que votre femme, vous ne pouvez pas parce qu'il n’y a pas de places, parce qu’il y a des affaires à traiter. Actuellement, j’ai 400 heures supplémentaires depuis un an et demi."
Théo, ancien enquêteur de policeà franceinfo
Cet enquêteur a déjà tenté de chercher un autre travail. "Je ne vais pas vous mentir, oui j'ai déjà regardé", admet-il. Et Théo n'est pas le seul, il existe un groupe Facebook baptisé “Démission police nationale”, qui fédère 5 000 adhérents. Selon ses administrateurs, un sur deux est un enquêteur. Le ministère de l'Intérieur estime qu'il manque 2 000 officiers de police judiciaire. Problème : les écoles peinent à recruter, comme franceinfo a pu le constater avec une policière stagiaire.
Inès, 28 ans, est enquêtrice dans la police. Elle aussi y pense depuis qu'elle est petite. "J'ai très souvent regardé des feuilletons. À l'époque j'étais à fond sur Julie Lescaut, notamment", sourit-elle. Alors quand elle intègre l'école de police de Roubaix, en décembre, elle se sent un peu à part parmi ses camarades. "J'étais la seule dans ma classe à vouloir faire de l'investigation, donc on avait souvent ces discussions-là, où on me demandait si j'étais sûre de mon choix, pourquoi est-ce que je voulais faire ça, raconte-t-elle. C'est vrai que quand on entre dans la police, on a envie d'être dehors, sur le terrain, sur la voie publique, pour chasser les voleurs et les méchants. Personne n'a envie d'être bloqué dans un bureau, en tout cas pas au début de sa carrière."
"Pas du tout comme je l'imaginais"
Pour devenir enquêtrice, Inès, comme ses camarades, doit passer un examen en fin de parcours. Un examen que beaucoup ratent volontairement pour ne pas rejoindre l'investigation. 700 copies blanches ont été rendues en 2024, une centaine de stagiaires a même séché l'épreuve.
Mais Inès, elle, reste déterminée. Jusqu'à ce qu'elle se confronte à la réalité. "Au mois de mars, on doit faire notre stage de deux semaines dans un commissariat, raconte-t-elle. Je choisis un commissariat dans le 93. Et je me rends compte que le judiciaire, ce n'est pas du tout comme je l'imaginais. On prend des plaintes parce qu'on est obligés de les prendre. Et parfois on sait qu'il ne va pas y avoir de suite, mais on les prend quand même."
"Je sais que je n’ai pas été utile, que je n’ai pas aidé les gens alors que c’est tout ce qui me motive à devenir policière."
Inès, ancienne policière stagiaireà franceinfo
"Ceux qui étaient le plus passionnés et le plus investis dans leur travail n'avaient pas d'enfants, pas de vie familiale, poursuit-elle. J'ai l'impression qu'il fallait faire un choix entre les deux. Je me suis demandé si c'était vraiment ma place, d'autant plus que j'avais choisi un commissariat où je souhaitais être affectée plus tard, en tout cas en Seine-Saint-Denis. Et là, ça a anéanti tous mes rêves." Même si elle doit rembourser 4 000 euros, Inès prend la décision d'arrêter sa formation et la police après son stage.
La semaine de quatre jours enterrée
Pour libérer du temps aux enquêteurs, des services ont testé la semaine de quatre jours. Une quinzaine de services l'a expérimentée en vue de l'étendre, mais pour le ministère de l'Intérieur, cela alourdit la charge de travail des enquêteurs. Le projet a donc été enterré il y a quatre mois. "Si vous avez 400 dossiers sur votre bureau, avec la semaine de quatre jours vous allez en avoir 500 ou 600, et vous aurez toujours la boule au ventre en allant au travail. Vous l'aurez juste un jour de moins par semaine", explique Yann Bauzin, président de l'association nationale de la police judiciaire.
Comme les syndicats, il réclame un allègement des procédures, du nouveau matériel informatique et la création d'une filière spéciale dès l'école. Le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, promet une série d'annonces dans les prochaines semaines pour redorer le blason de l'investigation.
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