Reportage
"Quand je suis malade, je ne me soigne pas" : la psychose du monde du tennis professionnel face au dopage "par contamination"

À l'image d'Iga Swiatek et Jannik Sinner, ces cas de dopage sont de plus en plus fréquents dans le monde du tennis professionnel, au point de bouleverser leurs habitudes de vie.

Article rédigé par Emma Sarango
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le tournoi de qualifications de Roland Garros a débuté le lundi 19 mai. (MAXPPP)
Le tournoi de qualifications de Roland Garros a débuté le lundi 19 mai. (MAXPPP)

À deux jours du début de Roland-Garros, franceinfo s'intéresse aux affaires de dopage qui ont touché, cette année, le sommet du tennis mondial. Jannik Sinner, le N°1 mondial et Iga Swiatek, la tenante du titre. Dans les deux cas, les joueurs ont plaidé "la contamination", c'est-à-dire une administration accidentelle. Selon l'Italien, le produit interdit était contenu dans un spray utilisé par son physiothérapeute. La Polonaise, elle, assure avoir acheté un médicament en vente libre qui contenait la substance dopante. Des hypothèses qui ont été retenues et acceptées par les instances antidopage.

Ces cas de plus en plus fréquents de "contamination" dans le tennis créent une psychose chez les sportifs. Franceinfo l'a constaté cette semaine à Roland-Garros où se tenait le tournoi de qualifications pour le Grand Chelem parisien.

"Quand on va en Chine, on nous demande de ne pas manger de viande"

Les joueuses et joueurs, qui sont sur le court, ne sont pas les meilleurs mondiaux et pourtant eux-mêmes sont devenus un peu paranoïaques. La Française Jessica Ponchet, par exemple, proche du Top 100 mondial, raconte un quotidien de méfiance : "Quand je suis malade, je ne me soigne pas. J'en suis à ce point-là. Quand on va en Chine, on nous demande de ne pas manger de viande parce qu'elle est contaminée par des stéroïdes et que ça rend les joueuses positives extrêmement souvent."

Grégoire Barrère, ancien Top 50, lui aussi est prudent quand il prend ces jours-ci ses antihistaminiques pour les allergies. Mais lui, pense également que la thèse des contaminations a parfois bon dos : "Il y a des choses qui sont bizarres parfois. J'ai vu un peu les affaires ces derniers temps, on ne sait pas trop sur quel pied danser et quoi penser. Je ne suis pas super convaincu." D'autres joueurs comme l'Australien Nick Kyrgios ou le Suisse Stan Wawrinka ont exprimé des doutes sur les cas de contamination cette saison.

"Quelqu'un qui se dope va avoir des concentrations très élevées"

Cette thèse est-elle crédible ? Pour le savoir, franceinfo s'est rendu au sein du laboratoire de toxicologie du CHU Raymond Poicaré, de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, situé à Garches. Le laboratoire du professeur Jean-Claude Alvarez, l'un des spécialistes mondiaux du dopage et de la contamination. Ce jour-là, il analyse le cheveu d'un sportif contrôlé positif : "Ça, vous voyez, ce sont des cheveux qui ont été broyés." Sachant qu'un cheveu pousse d'un centimètre par mois, cet expert judiciaire des tribunaux de Paris peut remonter le temps : "Si on fait un prélèvement aujourd'hui, le premier segment d'un centimètre c'est avril, le deuxième c'est mars, le troisième février, le quatrième janvier... Et on va pouvoir dire, dans les quatre derniers mois, voilà tout ce qu'il a pris."

"Il", c'est le sportif qui, une fois contrôlé positif, engage le professeur Alvarez pour prouver qu'il n'est pas dopé. Ce fut le cas de la Polonaise Iga Swiatek et, avant elle, de la Roumaine Simona Halep, toutes deux vainqueures de Roland-Garros. Car ce laboratoire est l'un des seuls au monde à détecter des concentrations au picogramme près, c'est-à-dire douze zéros après la virgule : "Quelqu'un qui se dope, il a pris tous les jours du produit et donc il va en avoir des concentrations très élevées." 

"Simona Halep avait des concentrations 200 fois plus faibles que quelqu'un qui prend de manière efficace le Roxadustat."

Jean-Claude Alvarez

à franceinfo

Encore faut-il, alors, retrouver le produit à l'origine de la contamination. Pour Iga Swiatek, titrée l'an dernier à Roland-Garros, le professeur Alvarez a reçu une valise entière à analyser : "Ses crèmes de jour, ses crèmes de nuit, ses rouges à lèvres... De manière à essayer de trouver l'origine du produit." C'est finalement dans un médicament en vente libre que le produit interdit a été détecté. Pour Simona Halep, en revanche, c'était dans un supplément alimentaire. Ces protéines en poudre, fabriquées souvent en Chine ou aux Etats-Unis,sont utilisées par 80 % des sportifs, or un tiers des lots est contaminé, selon une récente étude australienne.

"Tous les athlètes dopés avec le Turinabol disaient que c’étaient des vitamines"

Pourtant, les instances antidopage sont très prudentes avec la théorie de la contamination, notamment la toute puissante AMA (Agence mondiale antidopage) basée à Montréal, au Canada. Le Français Olivier Rabin dirige le département science et médecine de l'agence mondiale. Lui, rappelle la philosophie générale de l'antidopage : si un athlète est contrôlé positif à une substance interdite, alors c'est lui, le responsable. "Tous les athlètes qui étaient dopés avec le Turinabol, ils vous disaient que c’étaient des vitamines. 'Je ne savais pas ce que je prenais'."

"Aujourd'hui, on a dit à l'athlète : 'Vous avez un devoir, vous ne pouvez pas dire, je ne savais pas qu'on m'injectait quelque chose.'"

Olivier Rabin

à franceinfo

C'est la raison pour laquelle même si la contamination est reconnue, il y a une condamnation, une suspension. Mais de quelle durée ? C'est là l'objet des critiques qui ont frappé l'agence mondiale antidopage cette année. Un mois pour Iga Swiatek, quatre ans puis finalement neuf mois pour Simona Halep.

Pourquoi ce deux poids deux mesures ? "Si vous décidez de commander sur internet un complément alimentaire qui va faciliter votre force musculaire et votre récupération musculaire, là, potentiellement vous savez que vous pouvez prendre un risque. En revanche, si vous avez une migraine et que vous consommez un médicament antalgique, et qu'il s'avère que ce médicament contient des traces d'un diurétique... Vous ne pouvez pas juger les deux cas de la même façon. La responsabilité n'est pas la même."

L'Agence mondiale antidopage a néanmoins créé un groupe de travail sur la contamination pour réfléchir à l'évolution des règles. L'une des pistes serait de classer les suppléments alimentaires comme médicament pour contraindre davantage le fabricant à s'assurer qu'il n'y ait aucune trace d'un produit interdit dans les lots.

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