Reportage
"Psychologiquement, c'est compliqué" : un an après une crue dévastatrice, la douloureuse reconstruction de La Bérarde, en Isère

Un an après la crue torrentielle qui avait dévasté une partie du hameau, les habitants ne peuvent toujours pas dormir chez eux. De quoi provoquer la frustration de certains d'entre eux.

Article rédigé par franceinfo - Matthieu Bonhoure
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Lucie avance au milieu des gravas, des rochers, devant des maisons dévastées au moment de la crue, où la vie s'est arrêté en quelques instants. (MATTHIEU BONHOURE / FRANCEINFO)
Lucie avance au milieu des gravas, des rochers, devant des maisons dévastées au moment de la crue, où la vie s'est arrêté en quelques instants. (MATTHIEU BONHOURE / FRANCEINFO)

Des scènes qu'ils ne sont pas prêts d'oublier. Le 21 juin 2024, Le hameau de La Bérarde, à Saint-Christophe-en-Oisans en Isère, a été enseveli sous 14 mètres de boue et de rocs après des pluies diluviennes qui ont fait sortir le torrent de son lit. Les maisons, ses chalets et son église se retrouvent broyées par un torrent de boue et de pierres, emportant tout sur son passage. 97 personnes sont évacuées d'urgence en hélicoptère. 

Près d'un an plus tard, les habitants ont toujours interdiction, via un arrêté municipal, de passer la nuit chez eux. Ils ne peuvent accéder au hameau que la journée. La route, que seuls les habitants sont autorisés à emprunter, est toujours condamnée.

"Là, il faut imaginer qu'il manque trois chalets"

Lucie, qui tient un restaurant dans La Bérarde, fermé depuis un an, nous emmène dans son 4x4 pour la visite du hameau. Si le paysage est magnifique, entouré de sommets avec vue sur la vallée, le village est toujours dans un état apocalyptique, avec des rochers dans tous les sens et pas un seul brin d'herbe. Et toujours ce torrent, énorme, qui traverse en plein milieu. "Juste à droite, juste à côté, il y avait notre chapelle qui est complètement partie... Là, il faut imaginer qu'il manque trois chalets. Ici, on avait une épicerie", décrit Lucie, en montrant un énorme trou. 

Des marcheurs passent alors : "La chapelle était surélevée sur un talus. Chapelle dans laquelle je m'étais mariée, comme beaucoup de gens de la vallée", se rappelle Stéphane, accompagné de sa femme et de son fils. "Il y avait tellement de plaques commémoratives dedans, des photos, des noms, dont celle de mon oncle..."

"J'ai encore peut-être des sanglots dans la voix maintenant. Plus d'un an après."

Stéphane, habitant de La Bérarde

à franceinfo

En fond, il y a toujours le bruit du torrent, mais "ce qui me gêne, souligne Lucie, c'est cette cicatrice qui coupe le village en deux. C'est tellement monstrueux." Il y a cette maison éventrée, le salon complètement détruit,où l'on voit encore des photos, le rouleau de pâtisserie qui traîne, au milieu des gravats.."Il s'agit quand même de notre village, d'histoires de famille et on ne veut pas que ce soit terminé, déplore la restauratrice, parce que ne pas pouvoir vivre là, c'est juste impensable. Le deuxième été où on n'est pas là, psychologiquement, c'est compliqué."

Hugo, fils de Laurent, arrose les fleurs dans des bacs devant sa porte. En face, il y avait la maison de leurs voisins qui a été emportée par la crue. (MATTHIEU BONHOURE / FRANCEINFO)
Hugo, fils de Laurent, arrose les fleurs dans des bacs devant sa porte. En face, il y avait la maison de leurs voisins qui a été emportée par la crue. (MATTHIEU BONHOURE / FRANCEINFO)

Certains habitants bravent l'interdiction

Pour autant, il y a certaines maisons devant lesquelles il y a de la vie, comme celle de Laurent, qui arrose des fleurs devant sa porte. "Ce n'est pas grand-chose. Autour, c'est un océan de rochers, de caillasse, de sable. Mais la fleur, c'est la vie, c'est de dire 'Voilà, il y a des gens qui habitent un peu, qui vivent ici'". 

Il a grandi à La Bérarde et est l'ancien commandant des secouristes de haute montagne de l'Isère. Et pourtant, depuis plusieurs jours, il brave l'interdiction municipale et dort ici. "J'ai servi l'administration ma vie entière. Des décisions qui sont expliquées, c'était mon devoir de les respecter", explique-t-il. Mais pour lui, "quand on nous impose quelque chose qu'on ne comprend pas, nous imposer une vallée déserte, ce n'est pas possible". "Ce sera le combat d'une vie, donc quand on campe", conclut Laurent. 

Des habitants du hameau de La Bérarde se retrouvent sur la place du village pour échanger à propos de l'avenir de leurs maisons. (MATTHIEU BONHOURE / FRANCEINFO)
Des habitants du hameau de La Bérarde se retrouvent sur la place du village pour échanger à propos de l'avenir de leurs maisons. (MATTHIEU BONHOURE / FRANCEINFO)

Dans sa maison, il n'y a pas d'eau courante, pas d'électricité, juste des petites lampes pour s'éclairer. Dans le reste du hameau, il y a des débris de maisons un peu partout, des bouts de murs avec du carrelage encore dessus. Et puis, au détour, on voit un couple en train de déjeuner dans leur jardin. Tina et son mari habitent ici depuis 15 ans. "C'est un torrent dangereux, reconnaît Tina. Hier soir, par exemple, il pleuvait, donc on est allés regarder comment était le débit. Dès que les cailloux commencent à rouler et à faire un bruit, à ce moment-là, on ne reste pas là."

"La France ne nous aide pas"

Lucie se dirige de l'autre côté de l'eau, où un pont de fortune a été installé récemment sur des conteneurs. Son restaurant est touché, la partie détruite tient sur des étais. "Je n'ai jamais joué au Loto, mais depuis les événements, je joue." Et si jamais elle devait gagner, Lucie utiliserait ses millions pour le hameau, affirme-t-elle : "Si je joue, c'est pour La Bérarde. Parce que de toute façon, la France, elle ne nous aide pas." 

"On est citoyens français, on paie nos impôts, on fait tout ce qu'il faut. Et aujourd'hui, clairement, on nous laisse tomber."

Lucie, habitante

à franceinfo

Des études d'aménagement lancées

De son côté, Jean-Louis Artaud, le maire de la commune, garde espoir : "Ça va prendre du temps, mais franchement, je crois qu'il y a un avenir. Pas comme avant, c'est sûr, mais qu'on ait une Bérarde, j'y crois." Il explique que des études d'aménagement ont été lancées et les résultats vont bientôt tomber.

Une fois les travaux faits, les habitants pourront retourner chez eux, assure Jean-Louis Artaud. Ava,t de glisser : "Mais aujourd'hui, ce n'est pas possible d'intégrer un village où il n'y a aucune sécurité et aucun service. Si j'autorise, ce sera carrément de ma responsabilité. Et là, je ne me sens pas enclin, à dire, 'Ok, on habite'". 

Des travaux qui, s'ils sont engagés, seront titanesques et pourront coûter plusieurs millions d'euros, pendant plusieurs années, de quoi s'assurer que l'eau ne revienne plus jamais dans le cœur du village.

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