Reportage
"On ne peut pas se démultiplier" : entre incendies, noyades et déshydratations, les pompiers submergés par les sollicitations de la période estivale

Avec l'arrivée des touristes, les pompiers des stations balnéaires françaises voient leur travail décuplé pendant les vacances d'été.

Article rédigé par Marc Bertrand
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Un véhicule du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) 34, à la Grande-Motte, début juillet 2025. (MARC BERTRAND / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Un véhicule du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) 34, à la Grande-Motte, début juillet 2025. (MARC BERTRAND / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Les sapeurs-pompiers de l'Hérault ont lutté contre leur premier gros incendie qui a ravagé 400 hectares, samedi 5 juillet. Mais leur activité principale l'été, c'est la "bobologie" ! Les pompiers de la côte méditerranéenne voient leur travail décuplé avec l'arrivée des touristes pour les grandes vacances alors qu'ils sont déjà sursollicités, à tel point qu'ils ont parfois l'impression d'être devenus les "bouche-trous" des services publics.

Franceinfo a suivi, pendant une journée, les pompiers de La Grande-Motte dans le département de l'Hérault. Une station balnéaire qui passe de 9 000 à 100 000 habitants pendant l'été. Et ça commence de très bon matin, par la sonnerie d’un bipeur. Les pompiers dévalent les escaliers du dortoir. Le temps de serrer sa ceinture, de chausser les rangers, Aurélien et son équipage démarrent l'ambulance : "On a une boîte de nuit, ici, dans le secteur. Et au petit matin, tout ce qui est alcoolémie... On va les récupérer."

"On est là pour tous types d'interventions"

Il découvre le profil de la jeune femme qui doit être secourue : "Aurélie, 24 ans, qui apparemment a un peu abusé des shooters de vodka. Être réveillé à 5 heures du matin pour aller chercher quelqu'un qui est en train de vomir, c'est sûr que ce n’est pas l'intervention qui fait le plus rêver. Mais on est là pour tous types d'interventions."

Sur le parking de la discothèque, la jeune femme est assise par terre, les bras ballant. Le secours à personne, comme l'appellent les pompiers, est en augmentation dans l’Hérault : plus 10% en un an, selon la préfecture. Sur la route de l'hôpital, Aurélien feuillette ses dernières fiches d'intervention : "Une personne de 88 ans déshydratée qui a chuté chez elle, qu'on a dû transporter à l'hôpital. Une réaction allergique à une piqûre de guêpe... Voilà, le petit panel."

Un véhicule du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) 34, à la Grande-Motte, début juillet 2025. (MARC BERTRAND / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Un véhicule du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) 34, à la Grande-Motte, début juillet 2025. (MARC BERTRAND / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Il y a aussi les téléalarmes des personnes âgées, les malades qu'il faut emmener à l'hôpital faute d'ambulance privée disponible... Les missions se sont multipliées ces dernières années, d'après le président du syndicat national des pompiers professionnels de l'Hérault, qui est aussi pompier à La Grande-Motte, Gil Arnaud : "On pallie au manque général. Dans la société, on est la dernière roue de secours. Les sapeurs pompiers sont les bouche-trous de tout le monde. À un moment, même si on augmente les effectifs, on ne peut pas tout faire, c'est impossible."

"Si on est bloqué pendant une heure à l'hôpital, lorsqu'il y a un risque vital, comme une noyade ou un arrêt cardiaque, on ne peut pas se démultiplier."

Gil Arnaud

à franceinfo

Les noyades justement, c'est le sujet d'inquiétude sur le bord de mer. Sur la ligne droite bordée par les campings qui sort de la caserne, l'ambulance vient de passer en trombe, suivie par Laurent, l'adjoint au chef de centre dans son 4x4 : "On part pour un aquastress. Un enfant de deux ans, sorti de l'eau par ses parents sur la plage de Carnon." L'immense plage est écrasée sous la chaleur. Sous un parasol, une maman serre son petit garçon dans les bras : "Il jouait tranquille et d'un coup... Plouf."

"Je ne sais pas comment va se passer la fin de l'été"

Le petit va bien. Mais l'infirmière sapeur-pompier, Ludivine, dit qu’il y a déjà eu deux noyades en une semaine dans le secteur : "Là, depuis le début des grosses chaleurs, en juin,le nombre est assez important. Je ne sais pas comment va se passer la fin de l'été mais c'est un peu inquiétant." Le téléphone collé à l'oreille, elle attend d’avoir le médecin du Samu, le seul qui peut l’autoriser à laisser le garçon sur place.

Des casiers dans la caserne des sapeurs-pompiers de la Grande-Motte, dans l'Hérault. (MARC BERTRAND / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Des casiers dans la caserne des sapeurs-pompiers de la Grande-Motte, dans l'Hérault. (MARC BERTRAND / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Les lignes du 15 surchargées, les ambulances qui font la queue à l'entrée des hôpitaux... Tout ça, le préfet de l'Hérault en a pleinement conscience. François-Xavier Lauch est en visite à La Grande-Motte ce jour-là, il inaugure le poste de secours des CRS de plage : "On prend 14 000 habitants de plus par an. En dix ans, c'est l'équivalent du département de la Lozère qui arrive en nouvelle population. Ça n'existe pas ailleurs en France."

"Il y a un déport d'un certain nombre de prises en charge qui étaient faites par la médecine générale vers les services d'urgence et les services de secours.

François-Xavier Lauch

à franceinfo

"C'est un sujet sur lequel on travaille pour tenir dans cette période difficile où on n'a pas assez de médecins", conclut le préfet de l'Hérault. Les pompiers de La Grande-Motte le disent, ils font partie des chanceux : le département donne beaucoup de moyens, ils ne manquent pas de volontaires. Ils ont même des jeunes saisonniers qui viennent renforcer la caserne, qui passe de 9 à 14 pompiers de garde entre l'hiver et l'été.

"Voir mon pays partir en cendres, ça me fait mal au cœur"

Les pompiers de la Grande-Motte ont aussi été envoyés ce week-end en renfort, sur l'incendie de l'autoroute A9. C'est le premier gros incendie de l'été. Chris, la cinquantaine, cheveux gris en pic et biceps tatoués, regarde les quelques gouttes de pluie qui tombent devant la caserne : "Regarde, le béton est déjà sec. Tout est sec. Il n'y a pas de goutte d'eau sur les végétaux."

"Là, si le mistral se renforce, ça va sécher encore plus et là tu craques une allumette et c'est fini, ça part à la vitesse d'un cheval au galop, alerte Chris. On a beau faire des campagnes de prévention, les gens sont inconscients. Quand ils arrivent l'été, c'est open bar. Moi, voir mon pays partir en cendres à cause de gens qui n'en ont rien à faire, ça me fait mal au cœur."

La grande pinède protégée, qu'on peut apercevoir derrière la caserne, est une des dernières du bord de mer, c'est le joyau des pompiers de la Grande-Motte. Les pompiers passent leurs journées à la surveiller.

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