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Reportage
"Mon stand de bières, les gens passaient devant et ne s'arrêtaient même plus" : en France, les brasseries artisanales traversent une crise inédite
L'an dernier, 10% des producteurs et vendeurs de bière français ont fait faillite, d'après le syndicat national des brasseries indépendantes.
Après une période de forte croissance, les producteurs et vendeurs de bière traversent une crise inédite. Selon le syndicat national des brasseries indépendantes, 10% d'entre eux ont fait faillite l'an dernier, soit quelque 250 établissements.
Exemple en Eure-et-Loir, à Néron, près de Chartres, où la brasserie d'Hugo est en liquidation judiciaire. Au bord d'une route de campagne, il a lancé son affaire il y a trois ans, dans un local d'une quinzaine de mètres carrés : "C'est ici que j'avais mon local de production. Pouvoir juste vivre de ma passion, c'était l'objectif."
"Baisse des ventes, baisse du chiffre d'affaires et des charges qui restent les mêmes"
Mais aujourd'hui, ses six cuves en acier sont vides. Les dernières bouteilles de bière prennent la poussière et l'outil de production est sous un carton : "C'est toujours un petit pincement au cœur de revenir dans la brasserie. Si j'avais la possibilité de le refaire, je le referais." L'aventure, comme il dit, a pourtant bien commencé. C'est un cadeau de sa femme, au départ, qui lui a donné l'idée : "Un stage, pour une fête des pères, chez un brasseur pour fabriquer sa propre bière. Il y avait de plus en plus de brasseries qui naissaient. Je me suis fait un petit peu tout seul avec le confinement : internet, les bouquins... Et je me suis lancé comme ça."
Mais dès la deuxième année, tout s'enraye : "Ça a commencé avec la guerre en Ukraine. Moi, je fonctionnais au gaz et à l'électricité, tout a augmenté. Le prix du verre, de la bouteille, par exemple, a quasiment doublé." Il essaie de ne pas trop augmenter ses prix, se met à travailler le week-end, mais ses clients n'ont plus vraiment les moyens : "Je faisais beaucoup de marchés. Les gens allaient plutôt acheter leurs légumes, un poulet, et puis mon stand de bières, les gens passaient devant et ne s'arrêtaient même plus. Baisse des ventes, baisse du chiffre d'affaires et des charges qui restent les mêmes..."
"J'avais une bonne trésorerie au départ mais elle a fondu comme neige au soleil."
Hugo, brasseur à Néronà franceinfo
Il doit aussi faire face à la concurrence des deux nouveaux brasseurs installés à côté et rembourser son prêt à la banque : "Quand on travaille deux fois plus, pour arriver à moins que ce qu'on faisait l'année précédente... Là où j'ai craqué, c'est quand j'ai pris la décision d'arrêter, de mettre la clé sous la porte. Ça a été un moment très difficile à digérer. On se fait rattraper et après il faut faire des choix..." La liquidation judiciaire est en cours, la fermeture de sa brasserie devrait être prononcée dans un mois.
"La politique du moment crée une certaine morosité"
Les brasseries les plus récentes ont donc beaucoup souffert, ces derniers mois, mais celles avec plus d'expérience aussi ont du mal. À Paris, la brasserie artisanale de la Goutte d'or est devenue une institution du quartier Barbès depuis 12 ans. Mais ici aussi, les difficultés s'accumulent, explique le gérant Antoine Gautier : "On a clairement eu la tête sous l'eau." D'abord, il y a le PGE, le prêt garanti par l'Etat, contracté pendant la crise sanitaire : "On a tenu grâce au PGE. Sauf qu'on rembourse 25% de son chiffre d’affaires en quatre ans et ça c'est dur, c'est très dur." Sans compter l'inflation, la météo maussade de l'an dernier et l'instabilité politique.
"Tout le monde trinque en ce moment, les bars, restos et brasseries.... Indéniablement, la politique du moment crée une certaine morosité et le fait de ne pas savoir où on va, c'est un vrai problème."
Antoine Gautierà franceinfo
Résultat : le chiffre d’affaires a diminué de 20%, par rapport à 2019. Alors la brasserie de la Goutte d'or se réinvente. À côté des barriques, il y a maintenant une partie bar, avec des longues tables, des guirlandes et de la musique. Florian habite le quartier : "Ça fait aussi partie de la démarche parfois d'être prêt à soutenir des commerces locaux, même s'ils ne sont pas forcément alignés avec les prix de la grande distribution." Cette fidélité des clients permet de compenser les pertes et de retrouver l'équilibre, explique Antoine Gautier : "Le bar, ça a été une des solutions pour tenir. On fait un peu de concerts, on essaye de faire vivre le quartier. C'est une des raisons pour lesquelles on est encore là. Il fallait absolument trouver autre chose." Il a également réduit son volume de production, comme la grande majorité des brasseurs de bière en France.
Un secteur qui emploie 8 500 personnes
Tout le secteur est touché et pour 2025, il faut s'attendre à de nouvelles fermetures, prévient Magalie Filhue, déléguée générale de Brasseurs de France, principal représentant du secteur. Parce que la tendance s'est inversée. En 2015, on était à une ouverture de brasserie par jour : "Effectivement, on s'y attendait. Je crois qu'il y a peu de secteurs économiques qui ont vécu une crise Covid et une crise inflationniste sur des entreprises aussi jeunes".
"C'est la première année où on a plus de fermetures que d'ouvertures, en 2024."
Magalie Filhue, déléguée générale de Brasseurs de Franceà franceinfo
250 fermetures au total, soit 10% du secteur : "Mais quand on regarde les sondages, il n'y a pas du tout un désamour ou un manque d'intérêt. Aujourd'hui, le consommateur français aime aller à la rencontre des brasseurs. On sait qu'il y a des marchés qui se développent. Par exemple, le marché de la bière sans alcool. Donc on est encore très sereins pour le secteur de la brasserie." Brasseurs de France vient aussi de lancer des formations pour aider les nouveaux à se lancer dans ce secteur qui emploie aujourd'hui 8 500 personnes.
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