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Reportage
"Je suis de l'IGPN, c'est un contrôle inopiné" : comment la "police des polices" teste l'accueil dans les commissariats
C’est une facette méconnue de la police des polices : dans la plus grande discrétion, les "bœuf-carottes" envoient certains de ses membres faire du "testing" sur l’accueil des victimes dans les commissariats. Exceptionnellement, franceinfo a pu assister à deux d’entre eux.
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La nuit est tombée sur cette petite ville du sud-ouest de la France*. Il est 20 heures, et c'est le moment qu'a choisi Christine, commissaire à l'IGPN, pour tester l'accueil du commissariat : "Je vais me présenter pour des violences psychologiques par mon conjoint, et si on me demande des détails, je dirai que je suis accompagnée d'un collègue [pour justifier la présence du reporter de franceinfo] et que je suis en déplacement professionnel".
Christine n'en est pas à son premier "testing". Elle en a réalisé plusieurs dizaines, et sait parfaitement que son scénario est un peu piégeux. "Les violences psychologiques ne sont pas encore toujours très bien comprises des policiers, l'affaire se passe dans un autre département, depuis plusieurs années, et puis pourquoi d'un seul coup venir déposer plainte à 20 heures ? Le pourcentage de chances est important que le chef de poste, parce qu'il est seul, ne prenne pas la plainte".
"On ne va pas vous laisser comme ça"
Pas cette fois. Le policier, qui assure la permanence toute la nuit au commissariat – pendant que la patrouille est dehors – répond à l'interphone, puis sort sur le trottoir. "Cela fait quelques années que je subis des violences, plutôt psychologiques. De temps en temps des violences physiques", prétend Christine. "Ça dure depuis combien de temps ?", lui demande le policier. "Depuis quelques années", répond-elle. La prise de contact, un peu incongrue, se fait à la lumière d'un lampadaire – il ne peut pas faire entrer d'office le public lorsqu'il est seul le soir, question de sécurité, précisera-t-il plus tard. "On va s'organiser pour prendre votre plainte, on ne va pas vous laisser comme ça. Je vais vous faire patienter au chaud à l'accueil", rassure-t-il Christine après quelques questions. Il lui précise toutefois qu'"il n'y aura pas de réponse tout de suite, parce que le dossier sera transféré [sur son lieu de domicile]".
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Pour la commissaire, la première étape est terminée – et concluante. Il est temps de révéler qui elle est. "Je suis de l'IGPN, c'est un contrôle inopiné", annonce-t-elle aux deux policiers une fois entrée dans le commissariat, avant de les féliciter : "Vous avez très bien réagi", ajoute Christine, qui relève néanmoins l'étrangeté du premier contact sur le trottoir, "ça peut-être gênant" pour la confidentialité. Il est 20h15, rendez-vous est fixé au lendemain matin pour la suite du contrôle. Le testing c'est le moment le plus rapide, ensuite il y a la visite des locaux. L'agent de l'IGPN observe les conditions de confidentialité pour les victimes et s'entretient avec le chef du commissariat.
"TAC" et "GED", les violences conjugales au cœur des préoccupations
Depuis le Grenelle des violences conjugales en 2019, la thématique est devenue centrale dans les contrôles inopinés de l'IGPN. Dans le hall exigu de ce commissariat du sud-ouest, Christine remarque à l'accueil une sorte de chevalet artisanal en carton, sur lequel figurent deux ronds de couleur, bleu pour l'un, orange pour l'autre : c'est le "Tac", le tableau accueil confidentialité. L'agent d'accueil est supposé, notamment lorsqu'il détecte une potentielle détresse chez la victime, lui présenter le code couleur. Si elle désigne le rond orange, c'est qu'elle demande une plus grande confidentialité.
La commissaire va passer plusieurs heures, dans les couloirs et les bureaux du commissariat, à interroger les uns et les autres – et notamment le "plaintier", un homme qui prend en moyenne une dizaine de plaintes par jour. Elle s'assure notamment qu'il connaît la "Ged", la grille d'évaluation du danger, un questionnaire qui permet d'identifier des critères de dangerosité du compagnon ou mari pour la plaignante. Dans ce petit commissariat, l'a priori est positif. Son chef, un commandant de police expérimenté, reconnaît que la venue de l'IGPN "est toujours un moment de tension", mais il n'est "pas très inquiet".
"Liste de courses"
Changement de décor. Le second contrôle auquel franceinfo a pu assister se déroule dans un grand commissariat de la région parisienne. Là aussi, on constate que la taille du hall ne favorise pas la confidentialité des échanges avec l'agent d'accueil. "C'est lié à la configuration du bâtiment", déplore, un peu impuissant, le commissaire local, au cours de l'entretien long d'une cinquantaine de questions. Le testing, là encore s'est bien passé. Mais pour l'IGPN, il y a une étape cruciale qui peut en dire bien plus long : l'appel aux victimes. Catherine, commissaire divisionnaire, est repartie du commissariat avec une "liste de course" : des notes de service, des synthèses du temps moyen d'attente pour les plaignants, et surtout 60 plaintes déposées dans les mois qui ont précédé.
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De son bureau, au siège de l'IGPN, elle rappelle les victimes, pour savoir comment elles ont été accueillies. Jusqu'à tomber sur un homme qui explique que, s'il s'est présenté à ce commissariat, c'est parce que, quinze minutes plus tôt, il a été purement et simplement congédié d'un autre commissariat, dans une commune avoisinante. C'est ce qu'on appelle à l'IGPN 'se faire shooter'. "Je suis une personne à mobilité réduite", précise-t-il.
"Ils m’ont laissé dans le froid, ne m’ont pas ouvert la porte, et après on m’a dit qu’il ne prendraient pas ma plainte, qu’ils n’avaient pas le temps et qu’ils avaient autre chose à faire."
Une victimeà franceinfo
Ce commissariat, c'est déjà décidé, aura prochainement la surprise d'une visite inopinée. Une autre victime, qui avait déposé plainte pour harcèlement de son mari, raconte quant à Catherine qu'elle "ne voulait pas trop expliquer (son cas) à l'accueil pour que les gens qui attentaient, entendent. Mais la dame (de l'accueil) elle a parlé et les gens ont entendu".
Pastille rouge. Une fois les appels aux victimes passées, l'IGPN délibère pour attribuer une pastille de couleur au commissariat visité : verte, jaune, orange, ou rouge si cela s'est particulièrement mal passé. Récemment, un commissaire de l'IGPN s'est vu refuser sa plainte pour un vol d'ordinateur, avant qu'une autre victime sous ses yeux soit également "shootée" par le même policier : dans ce cas, la pastille rouge ne souffre d'aucune contestation. Le commissariat aura droit dans les mois qui viennent à une nouvelle visite surprise, et des recommandations seront adressées d'ici à son chef.
En 2024, l'IGPN a mené 86 visites inopinées dans des commissariats de l'hexagone. Mais, explique la police des polices, pas question de donner détails sur la couleur des pastilles pour ne pas jeter l'opprobre sur tel ou tel commissariat. Il y a eu des pastilles rouges, mais on ne saura pas combien.
Le public souvent plus tolérant que l'IGPN
Quand on a vingt ou trente ans de police, ne risque-t-on pas de faire preuve de trop de bienveillance lors des contrôles ? Valérie Martineau, sous-directrice de l'inspection, l'évaluation et l'audit interne à l'IGPN, s'en défend : "Bien sûr qu'on a notre passé. Mais là, on est sur un sujet fondamental de l'accueil des victimes. La police se doit d'accueillir les victimes, de les protéger, de les écouter".
Elle ajoute même que les auditeurs de l'IGPN sont "plus sévères avec les policiers que le public. Il n'est pas rare que les victimes au téléphone fassent preuve d'indulgence à l'endroit des services de police, en disant que les policiers travaillent dans des conditions catastrophiques, ou qu'ils ont tellement de travail. Le public est presque empathique et souvent plus tolérant que les auditeurs eux-mêmes".
*il a été demandé par l'IGPN de ne pas dévoiler le nom des villes des contrôles.
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