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Reportage
"Il y a eu une prise de conscience" : un an après une série de scandales, les vendanges de Champagne sous pression pour améliorer les conditions de vie des saisonniers
En 2023, les vendanges en Champagne avaient été émaillées de scandales, avec des décès en pleine récolte, l'emploi de sans-papiers ou des mauvais traitements. Un an après ce qui a été qualifié de "vendanges de la honte", comment le secteur a-t-il réagi ? Franceinfo a enquêté.
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Lors des vendanges de 2023, la Champagne a été ébranlée par plusieurs drames. Dans un contexte de fortes chaleurs, cinq saisonniers avaient trouvé la mort. Des enquêtes avaient aussi été ouvertes pour "traites d'être humains", avec le recours à des sans-papiers sous-payés ou pour des ouvriers logés dans des hébergements jugés indignes.
En cette fin septembre, alors que les vendanges commencent dans le Bordelais, elles se terminent en Champagne, où franceinfo s'est rendu. Qu'en est-il un an après ? Comme chaque année, entre 100 000 et 120 000 vendangeurs sont venus de toute la France et de l'étranger, pour cueillir le raisin à la main, comme l'exige la prestigieuse appellation. Épernay, dans la Marne, est la capitale du champagne.
Conditions toujours difficiles et salaires incertains
Dans l'un des vignobles qui entourent le centre-ville, Inga est penchée sur les grappes. Venue de Lituanie, ce sont ses premières vendanges. La jeune femme nous l'assure, tout va bien... Ou presque : "On a juste besoin d'eau, pour boire quand il fait chaud, juste besoin d'eau", dit-elle. Des bouteilles sont bien disponibles, mais elles se trouvent tout au bout du rang de vigne, dans le camion de l'employeur.
Justine, à quelques kilomètres de là, est revenue travailler dans une maison qu'elle connaît bien, contrairement à son salaire : "Cette année, j'avoue que je ne sais pas. Comparé à un salaire où, dans les champs, on est payés 1 100-1 200 euros par mois, là si on peut sortir la même chose en 10 jours, on sera contents. Ça dépend aussi du rythme auquel on va", explique-t-elle.
"En Champagne, on sait qu'il faut débiter, c'est pour ça qu'on travaille à la tâche."
Justine, travailleuse dans les vignes de Champagneà franceinfo
À la tâche signifie que la rémunération dépend de la quantité ramassée. Mais cette année, il y a moins de raisins, donc moins de travail. Certains recruteurs, qui font l'intermédiaire entre viticulteurs et vendangeurs, en profitent. Devant la gare d'Épernay, cette année encore des hommes, souvent venus d'Afrique, parfois sous statut de réfugié, attendent qu'une des camionnettes qui vont et viennent les recruter à n'importe quel prix.
Djibril est venu de Paris pour ses quatrièmes vendanges. "Ils viennent, ils nous proposent 60 ou 50 euros la journée", raconte-t-il, alors que le minimum légal par jour s'élève à un peu plus de 73 euros.
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La question de l'hébergement loin d'être résolue
Djibril a trouvé une place payée à un tarif proche de ce minimum légal, mais en étant logé dans des conditions très difficiles : "Là où j'ai dormi il y a trois jours, là où j'ai travaillé, c'était une pente, une montagne, décrit-il. Ils nous ont mis des tentes : tu ne peux pas dormir, tu glisses, je n'ai pas dormi de toute la nuit." Alors que loger les vendangeurs sous des tentes est interdit, on en voit beaucoup autour d'Épernay, sur des terrains ou dans les bois.
"Quand les vendanges commencent, on vient, on se démerde pour dormir, on dort dans la rue. Dans la 'capitale du champagne', comme ils disent, ils sont tous comme ça : ils n'ont pas de logement. Avant, si, à l'époque..."
Djibril, travailleur dans les vignes en Champagneà franceinfo
L'inspection du travail nous indique avoir identifié plusieurs logements sous tente, qui s'est ensuivi d'un relogement immédiat par les employeurs. Mais selon elle, les contrôles se passent globalement bien.
Beaucoup de vignerons expliquent qu'ils ne peuvent plus héberger ces saisonniers à cause du nombre de normes exigées : "C'est devenu trop coûteux", disent-ils. Romain Colin nous accueille sur une de ses parcelles au sud d'Épernay. Cette année, il a embauché directement des gens du voyage, qui ont leur caravane, ou des vendangeurs bulgares via un prestataire qui s'occupe de l'hébergement. Mais parfois les prestataires non plus ne trouvent pas de logements et font eux-mêmes appel à des prestataires. Une sous-traitance de la sous-traitance, qui éloigne encore plus vendangeurs et viticulteurs, regrettent certains professionnels.
Pour améliorer les choses, un plan inédit a été mis en place cette année. Une sorte de guide des bonnes pratiques a été distribué aux viticulteurs, intermédiaires et vendangeurs. Une ancienne base militaire a aussi été réhabilitée près de Reims, pour accueillir plus de 700 vendangeurs cette année. Et puis certaines grandes maisons prennent des initiatives : Moët & Chandon rénove des bâtiments pour en faire des logements et veut moins faire appel aux prestataires, cherchant à recruter au moins 60% de vendangeurs en direct.
Un secteur sous pression qui se sait attendu au tournant
En plus d'une vingtaine d'inspecteurs du travail - plus nombreux que l'an dernier - et en plus de la gendarmerie, la CGT sillonne des parcelles avec des tracts en huit langues, pour rappeler leurs droits aux vendangeurs. L'employeur, un prestataire de services, arrive et la discussion s'engage. "Je pense qu'il y a eu une grosse prise de conscience de toute la profession l'année dernière, assure-t-il, même en étant prestataire, on est énormément exposé". Le secteur se sait attendu au tournant sur cette question des conditions de travail. Les drames de l'an dernier ont été médiatisés jusqu'à l'étranger, "au risque de ternir l'image du champagne et de sa région" emblématique, reconnaît le Comité interprofessionnel, qui représente les vignerons et les grandes maisons.
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Pourtant, une ombre au tableau persiste cette année encore : un décret polémique, publié début juillet, permet aux employeurs de faire travailler les vendangeurs 10 jours d'affilée. Si cette mesure est saluée par les vignerons, qui plaident le bon sens car il s'agit d'une période très courte, la CGT et certains élus dénoncent un décret scandaleux, qui met en danger les salariés.
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