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Reportage
"Grâce au travail, mes journées en prison passent plus vite" : des détenus salariés plébiscitent le travail au centre pénitentiaire de Châteauroux
Une soixantaine de patrons et le président du Medef sont invités lundi par Éric Dupond-Moretti à la prison de Bois-d'Arcy dans les Yvelines. Le garde des Sceaux veut les convaincre de développer le travail en prison, comme au centre pénitentiaire de Châteauroux. En France, moins d'un détenu sur trois travaille, faute de contrats.
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Quelques couloirs seulement séparent les coursives et les cellules de l’immense hangar où sont situés les ateliers. Le surveillant principal du centre pénitentiaire de Châteauroux (Indre) ouvre de ses clefs la grande porte à barreaux et on se retrouve dans un environnement qui ressemble très peu à un lieu de privation de liberté. 41% des détenus de la prison travaillent ici, de 7h30 à 13h30. Dans le premier espace de travail, une dizaine d’hommes découpent, en petits morceaux de quelques centimètres, des brindilles dans le bruit des sécateurs. "Ici, les détenus fabriquent ces petits tapis de paille que nous retrouvons sous la bûchette de chèvre que nous achetons au supermarché, décrit Ophélie Lhermitte, responsable des ateliers pour l'administration pénitentiaire. Ça n’est pas que de la décoration, c’est dans le cahier des charges AOP pour un meilleur affinage". Elle est la seule personne en uniforme dans la pièce. Pour le reste, on se croirait dans une usine ordinaire.
Un peu plus loin, deux hommes conditionnent des bobines de fil de couture. Derrière une paroi haute, le bruit de la meuleuse couvre les autres sons, des détenus façonnent des pièces automobiles. Juste à côté, d’autres préparent les commandes de l'entreprise d’électronique Legrand. "Ce sont ici des interrupteurs qui sont produits, commente Ophélie Lhermitte. Les pièces sont assemblées comme un puzzle selon un processus bien ordonné puis les interrupteurs sont empaquetés et repartent à l’entreprise qui nous renvoie très peu de pièces. Preuve que les détenus respectent bien la conformité et travaillent bien".
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Anthony, 31 ans, opère le contrôle qualité de différents produits fabriqués ici. Incarcéré il y a qutare ans, il est monté en grade jusqu’à seconder aujourd’hui le contremaitre qui, lui, n’est pas un détenu. Anthony ne s’imaginait pas vivre en prison sans travailler. Il est resté six mois dans l’oisiveté avant d’accéder aux ateliers et c’est un souvenir difficile pour lui. "J’ai besoin d’être dans le même rythme structuré que mes proches qui vivent dehors, confie-t-il. J’ai besoin de me lever le matin, d’avoir une activité. Grâce au travail, mes journées en prison passent plus vite. Si je devais rester en cellule tout le temps à regarder la télé ou à jouer aux dames avec mon codétenu, je deviendrais fou. Je cogiterais, je ruminerais et mon mental serait mauvais. Ici, je résiste, je donne du sens à mes journées qui passent plus vite."
Sans travail, le temps hors cellule n’excède parfois pas une heure par jour, le temps de la promenade. L’autre avantage du travail en prison que n’ignorent pas les détenus salariés à Châteauroux comme ailleurs, c’est que le travail, avec la bonne conduite, est l’un des critères majeurs pour obtenir une réduction de peine. Un détenu qui travaille sera souvent mieux vu par le juge d’application des peines.
L'indemnisation des victimes déduite des salaires
Ces détenus demandent évidemment à signer des contrats et à venir aux ateliers, car cela leur permet aussi de se constituer chaque mois un petit pécule, même s’ils gagnent moins qu’un ouvrier qui produirait la même chose sur une chaîne à l’extérieur de la prison. C'est ce qui peut séduire, d'ailleurs, une entreprise : l’accès à une main d’œuvre moins coûteuse. C'est le sens de l'invitation lancée par Éric Dupond-Moretti à des patrons du CAC40, dont ceux des groupes Accor, Carrefour, Auchan ou encore Adecco, ainsi qu'au président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux : ils ont rendez-vous en prison mardi 4 avril, à Bois-d'Arcy (Yvelines). Le ministre de la Justice veut les inciter à faire travailler les détenus.
Grâce à la loi du 1er mai 2022, les salaires des détenus ont été revalorisés, mais restent à 45% du smic. Leurs droits sociaux ont été renforcés avec la création de vraies assurance maladie et assurance chômage, avec un système de retraite, mais toujours pas de congés payés, ni de droit syndical.
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A l'atelier textile de la prison de Châteauroux, Karim, 44 ans contribue entre autres à la fabrication d’étuis à lunettes, de rideaux de cabines Photomaton et de draps. "Je suis, comme beaucoup de détenus, un gros fumeur. Sans l’argent que me procure le travail, je serais dépendant des autres détenus pour me donner des cigarettes. Vous imaginez les tensions que ça peut créer ! L’autre solution serait de demander de l’argent à ma femme. Mais dehors, avec l’inflation, nos deux enfants à élever, elle a autre chose à faire que des économies pour moi. Ça m’embêterait vraiment si je devais lui réclamer des sous." Les cotisations sociales classiques, l’indemnisation des victimes, mais aussi les frais d’avocat que doivent verser les détenus condamnés sont déduits des salaires bruts en prison.
"Je touche environ 400 euros chaque mois pour 6 heures de travail par jour. Ce n’est pas énorme, mais c’est déjà ça."
Karim, détenu salarié à l'atelier textile de la prison de Châteaurouxà franceinfo
Des représentants de l’association France Victimes seront également présents auprès de la soixantaine de patrons invités à la prison de Bois-d’Arcy, car les victimes ont aussi intérêt au développement du travail en prison : le développer, c’est aussi le diversifier. Si, à Châteauroux, ce sont des emplois de manutention qui prédominent, des détenus formés font depuis peu du codage informatique à la prison de Melun. À la prison de Douai, une boulangerie se met en route chaque matin. À Nantes, il y a un plateau téléphonique et, aux Beaumettes, à Marseille, un restaurant (Les Beaux Mets) devenu renommé dans la ville.
Participer à la lutte contre la récidive
Quelle que soit la nature de l’emploi confié à un détenu, les bénéfices observés semblent les mêmes. "Le principal intérêt est de faire travailler une main d’œuvre qui, bien souvent, n’a jamais connu le marché du travail avant d’arriver ici. Beaucoup sortent leurs premières fiches de paie, indique Artémis Mandereau de l’Agence du travail d’intérêt général et l’insertion professionnelle des personnes placées sous-main de justice (Atigip). Notre but, c’est de les accompagner techniquement en leur apprenant des gestes, un savoir-faire. L’accompagnement est aussi humain : on leur apprend à respecter des horaires, un cahier des charges clients, des cadences, des objectifs. Ils doivent intégrer le respect des collègues, la cohésion de groupe, doivent apprendre à faire preuve d’initiative. Et dans tout cela, l’objectif, c’est de les valoriser en tant que personnes. Ils arrivent en prison pour diverses raisons, mais ici, ça n’est pas notre sujet. Le sujet c’est la réinsertion. Certains font valider à la fin de leur peine les progrès accomplis ici sous forme de validation des acquis de l’expérience. Ça peut être très précieux pour eux à la sortie".
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Artémis Mandereau explique qu’il est assez rare de voir un détenu salarié être libéré et revenir plus tard en prison. Le travail en prison serait donc un outil efficace de lutte contre la récidive. D’après les cadres de la prison, il est très rare de voir éclater une bagarre dans les ateliers. Une seule a été recensée l’an passé. "C’est un endroit où, clairement, l’atmosphère n’est pas la même qu’ailleurs dans l’établissement. Les incidents n’y existent quasiment pas. Les détenus qui travaillent ensemble développent des liens de camaraderie, apprennent à se connaître et s’entendent mieux globalement", constate Ophélie Lhermitte, responsable de la zone de travail pour l’administration pénitentiaire à la prison de Châteauroux.
Une flexibilité intéressante pour les patrons
Ces paroles de détenus et ces commentaires de professionnels laissent à penser que le travail en prison serait la solution à bien des problèmes. Des freins empêchent pourtant son développement. Les entreprises sont réticentes à confier une part de leur production à des auteurs de crimes ou délits, avec la crainte que la rigueur ne soit pas la même qu’avec une production à l’extérieur. Les patrons ignorent aussi la souplesse que représente le travail en prison avec des CDD disponibles très rapidement. Ces patrons ignorent également qu'il y a des facilités, la pénitentiaire prenant en charge une partie de la gestion administrative. Enfin, les biens produits derrière les barreaux sont par définition 100% "made in France", argument de vente éprouvé ces dernières années.
>> Lire en prison, la grande évasion grâce aux associations comme "Lire pour en sortir"
Lynda Boudjema, directrice de la prison de Châteauroux, déplore comme beaucoup d’autres chefs d’établissement pénitentiaire en France de devoir refuser encore à beaucoup de détenus l'accès au travail. Elle cherche et espère développer de nouvelles coopérations avec des sociétés de son secteur. " Nous avons encore des espaces vides dans le hangar, des capacités inexploitées, regrette-t-elle. Le travail en prison est méconnu, à tort. Les patrons ne doivent pas hésiter à nous solliciter. On leur ouvrira avec plaisir les portes de l’établissement, pour leur faire visiter nos ateliers, leur montrer nos machines. Cela peut faire sens pour une entreprise. Certes, les personnes détenues ont commis des crimes ou des délits et sont écartées pour un temps du reste de la société, mais ce sont des personnes qui ont vocation à revenir parmi nous tous demain ou après-demain. Quand on fait ce constat, on peut se dire qu’offrir un emploi, remettre sur les rails une personne qui est en train de purger sa peine, c’est participer à la lutte contre la récidive, c’est lutter contre la délinquance. Et ça, je suis persuadée que c’est la responsabilité de tous". L’audacieuse directrice a même osé, il y a quelques mois, fait sortir quelques détenus pour aller travailler, le temps d’une semaine dans les vignes, pour les vendanges.
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